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— Seulement Azeff n’est pas mort, reprit Pierre Bault. Il y a une semaine environ, il s’est embarqué à Nice sur le Méditerranée-Express à destination de Paris en compagnie de sa maîtresse. Sous un faux nom bien sûr mais je l’ai reconnu, et s’il vient à Paris ce ne peut être que pour une seule raison : abattre l’homme qui s’est mis en travers de son chemin et l’a mené à deux doigts de la mort.

— En ce cas, pourquoi n’avez-vous pas prévenu Antoine ? reprocha Mélanie.

— Parce qu’il n’y avait pas urgence, bien au contraire. Chaque fois qu’il rentre de mission, on laisse s’écouler un certain temps avant de faire de nouveau appel à lui. Un retour à la vie normale, presque anonyme, à la peinture pour laisser les remous se calmer. Je me suis contenté de prévenir… en haut lieu sachant bien que si M. Laurens savait son ennemi revenu il n’aurait rien de plus pressé que lui courir sus. Et on ne veut pas de ça…

— En haut lieu ?

— En haut lieu ! C’est pourquoi j’ai pris peur à la lecture de cet article. Je suis donc accouru pour essayer de le retenir. Il me reste à gagner au plus vite Paris pour le convaincre de rentrer. En espérant qu’il ne sera pas trop tard… Mesdames, je vous remercie beaucoup de votre accueil.

— Comment êtes-vous venu jusqu’ici ? demanda Mélanie. Il me semble avoir entendu le bruit d’un moteur.

— En effet. J’ai, en Avignon, un ami qui possède une de ces raretés, fit-il avec un léger sourire. Il a bien voulu me la prêter.

— Vous savez conduire ?

— Cela vous étonne d’un simple employé des Wagons-lits ? j’ai appris beaucoup de choses dans ma vie, madame. Je sais même conduire une locomotive.

— Je n’ignore pas que vous êtes quelqu’un d’étonnant mais si vous voulez bien m’attendre quelques instants, je partirai avec vous.

Victoire ne laissa pas au visiteur le temps de protester.

— Vous n’allez pas faire ça ! Monsieur Antoine…

— Monsieur Antoine est en danger par ma faute ! coupa fermement Mélanie. Il est temps que j’aille mettre de l’ordre dans mes propres affaires. Sinon M. Bault n’arrivera jamais à le convaincre de rentrer. Vous voulez bien m’emmener… et payer pour moi un billet de train ? Je vous rembourserai dès que nous serons à Paris et si vous voulez bien mettre un comble à votre amabilité en télégraphiant pour que l’on vienne me chercher à la gare, ma dette sera vite réglée…

— Vous voulez prévenir votre famille ?

— Non. Le fondé de pouvoirs de mon grand-père. Je sais que je peux compter sur lui. J’imagine même qu’il éprouvera, en me revoyant, un certain soulagement…

Et Mélanie s’envola vers les hauteurs pour préparer son mince bagage.

Troisième partie

L’AFFRONTEMENT

Chapitre IX

LA MAISON DES CHAMPS-ÉLYSÉES

Le train qui ramena Mélanie ne ressemblait pas vraiment au Méditerranée-Express. Simple convoi de voyageurs, il lui offrit le confort, relatif quand il s’agit d’y passer la nuit, d’un wagon de première classe. Elle y dormit cependant grâce à ce magnifique sommeil de la jeunesse et beaucoup mieux qu’elle ne l’avait fait dans son luxueux sleeping où elle n’avait même pas ouvert les draps. La seule chose qui la gênât fut de porter à nouveau le costume de son voyage de noces et d’avoir, pour ce faire, remis l’odieux corset. Mais elle avait ajouté à son chapeau une épaisse voilette marron qui enveloppait sa tête, dissimulant ses cheveux aussi bien que son visage. Deux personnes seulement – un couple âgé – occupaient le même compartiment et, devant l’évidente volonté d’isolement de cette jeune dame, ils n’essayèrent pas de lui parler. Ils devaient d’ailleurs descendre à Lyon.

Pierre Bault, bien sûr, voyagea dans le même train mais, afin d’être certain qu’on ne les remarquerait pas, il salua Mélanie après l’avoir installée en ajoutant seulement qu’à l’arrivée il veillerait sur elle et s’en occuperait au cas où Olivier Dherblay n’aurait pas reçu ou pas compris son télégramme. Et il se chercha une place ailleurs.

Néanmoins, en dépit de cette protection discrète, Mélanie se sentit un peu désorientée quand, vers neuf heures du matin, elle mit le pied sur le quai de la gare parisienne. Il y avait beaucoup de monde et elle se trouva un peu encombrée de ses bagages. Un porteur se présenta à point nommé et en se retournant, elle aperçut Pierre qui, tout en échangeant quelques mots avec un employé à casquette galonnée, ne la quittait pas des yeux. Elle lui sourit en esquissant un geste de la main et se mit en marche à la suite de l’homme en blouse bleue. À mesure qu’elle avançait en fouillant la foule du regard une inquiétude lui venait : si Dherblay n’avait pas reçu son télégramme ? Il pouvait être absent ? Et si le « petit bleu » n’avait pas été délivré à temps ? Que ferait-elle ?… Une chose était certaine : pour rien au monde elle n’irait chez sa mère.

Et soudain, elle l’aperçut. Il se tenait debout, auprès de la grille d’entrée du quai, les mains au fond des poches d’un grand manteau de drap anglais gris dont le col relevé remontait jusqu’à ses oreilles. Sourcils froncés, il observait le flot vomi par le train, guettant une silhouette, un visage. Lui toujours si froid et si calme semblait inquiet. Alors Mélanie courut vers lui :

— Dieu merci, vous êtes venu ! Vous ne pouvez pas savoir comme je me sens soulagée…

D’un geste presque brutal, il la saisit aux épaules, scrutant le mystère de ce visage voilé :

— C’est vraiment vous ? Ce télégramme a manqué me faire devenir fou car vous êtes bien la seule Mélanie que je connaisse. Et l’on vous disait morte…

Pour toute réponse elle souleva l’épaisse voilette pour qu’il pût voir sa figure. Il eut alors un grand soupir de soulagement et laissa retomber ses mains comme si elles venaient de perdre toute leur force.

— Je ne comprends rien à cette histoire mais que Dieu soit béni ! Soyez-le aussi d’avoir pensé à m’appeler, moi !

Cet homme d’affaires si flegmatique semblait curieusement ému et Mélanie lui sourit. Elle avait foi en la rigueur de sa loyauté mais n’avait jamais imaginé qu’il pût éprouver des émotions.

— J’ai un peu honte de vous avouer que je n’ai aucune confiance en ma mère, fit-elle en rajustant son fragile rempart. Quant à mon oncle, j’ignore où il se trouve. Je me suis souvenue alors de ce que vous m’aviez dit, dans cette même gare : je pouvais venir habiter l’hôtel de grand-père…

— J’y suis passé prévenir Soames avant de venir ici, tout en restant tout de même assez dubitatif. La maison vous attend et je vais vous y conduire. Venez, ne restons pas ici ! Vous avez des bagages ?

— Ils sont aux mains de ce porteur mais je n’ai rien de plus que ce que j’ai emporté sur le Méditerranée-Express.

— Vous aurez très vite tout ce qu’il vous faut. N’oubliez pas que vous êtes riche…

Il la guida vers sa voiture qui attendait dans la cour de la gare et elle poussa un soupir de soulagement en retrouvant le confort moelleux de cet élégant coupé et le parfum de lavande et de tabac anglais qui y régnait. Il faisait froid, en ce dernier jour d’avril. Une pluie fine embrumait Paris, ajoutant encore à la grisaille des bâtiments, et Mélanie se sentit glacée jusqu’à l’âme. Château-Saint-Sauveur, son soleil, ses fleurs et surtout la chaleur de ses habitants lui paraissaient aussi lointains que la Chine.

Olivier Dherblay l’installa avec soin, enroulant même une couverture autour de ses jambes.

— Nous avons depuis huit jours un temps affreux, comme si l’hiver avait décidé de revenir… Je brûle de vous poser des questions, ajouta-t-il en s’installant auprès d’elle, mais vous devez être lasse.