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Chapitre X

LE PRINCE DU MENSONGE

Le lendemain était un dimanche et Mélanie, soulagée d’un grand poids par l’arrestation du terroriste, s’accorda les joies simples d’une grasse matinée. Si rapide qu’eût été son passage à l’Opéra il lui avait permis d’exorciser ce grand désir qu’elle avait eu d’applaudir le souverain anglais et la rencontre avec le commissaire Langevin valait à elle seule le déplacement.

Olivier Dherblay vint déjeuner mais partit de bonne heure pour assister à la garden-party donnée par l’ambassadeur d’Angleterre à l’issue du grand déjeuner officiel présidé par le roi. Elle n’essaya pas de le retenir, trouvant un plaisir nouveau à profiter seule de « sa » maison qu’elle visita de fond en comble. Elle passa un long moment dans le sanctuaire secret de son grand-père, la galerie de tableaux qu’elle n’avait jamais fait qu’entrevoir et où, cette fois, elle put se promener à son aise sans toujours bien comprendre les toiles qu’elle découvrait car les goûts du vieux Timothée se révélaient parfois d’une hardiesse confondante. Elle ignorait en effet qu’il aimait à se rendre, sous un habit modeste, dans les cafés enfumés de Montmartre ou même dans des ateliers misérables et des estaminets d’une banlieue encore campagnarde qui s’appelait Montparnasse.

Vers la fin du jour, elle écouta l’écho des fanfares et des acclamations populaires qui raccompagnaient le roi à la gare du Bois de Boulogne se briser sur son univers clos pour y mourir. En effet, à mesure que les bruits s’éloignaient, ils laissaient s’installer un grand silence comme si Paris, las d’avoir trop chanté et trop crié, ne souhaitait plus que le sommeil. La capitale se retrouva soudain au rythme feutré d’un dimanche ordinaire. On reprenait souffle avant d’aller manger la soupe familiale et de retourner, le lendemain, au travail. Seuls les journalistes, à leur bureau, rédigeaient dans la fièvre…

Le lundi matin, toute la presse délirait avec ensemble sur l’extraordinaire succès du voyage royal. On célébrait l’enchantement dans lequel Édouard VII, ce « vieil ami de la France », avait plongé les Parisiens déshabitués depuis si longtemps de crier « Vive le Roi » et qui semblaient s’en être donné à cœur joie. Quant à l’hymne anglais, on rappelait, avec un rien de condescendance cocardière, qu’il venait de France, Lulli l’ayant écrit pour que les demoiselles de Saint-Cyr pussent célébrer avec éclat la guérison de Louis XIV après une opération aussi gênante que délicate.

Les reporters s’étendaient longuement sur les différentes manifestations et surtout sur la « très brillante soirée de l’Opéra », mais sans mentionner les exploits discrets du commissaire Langevin. On rappelait aussi que, devant l’importance des foules déplacées, le préfet Lépine avait dû renforcer partout ses cordons de police et, enfin, on annonçait qu’en juillet prochain, le président Loubet, sa femme et M. Delcassé rendraient sa visite au souverain. Désormais l’Entente cordiale prenait corps et cessait d’être une vue diplomatique plutôt fumeuse.

En résumé, le bonheur était général, sauf peut-être chez la comtesse de Castellane qui, à l’Opéra justement, avait perdu l’un des trois colliers de diamants qui la paraient. Elle assurait d’ailleurs qu’on le lui avait volé et le Petit Parisien, jamais à court d’idées, rapprochait ce vol, si vol il y avait, de celui qui, deux mois plus tôt, privait un maharajah de ses plus belles émeraudes, et aussi d’un autre, survenu un an plus tôt dans une noble demeure du faubourg Saint-Germain au cours d’un grand mariage : cinq rangs de perles subtilisés sur la grande table où étaient exposés les cadeaux.

Ce matin-là, sachant qu’Olivier avait à faire à la Bourse, Mélanie, son petit déjeuner achevé, décida de partir en expédition et d’aller visiter cette maison de la rue de Thorigny qui ne répondait jamais au téléphone. Elle demanda donc à Soames de faire atteler le petit coupé. Mais là, elle se heurta à une résistance inattendue :

— J’ai reçu des instructions sévères, mademoiselle Mélanie ! Vous ne devez sortir en aucun cas, surtout seule.

— Je n’ai pas l’intention de conduire la voiture ! Jacquemin le cocher sera là. Et je n’ai qu’une toute petite course à faire. Voulez-vous me dire ce qui peut m’arriver ?

— Je ne veux pas le savoir. Vous n’êtes pas censée être encore ressuscitée et si l’on vous rencontrait…

— Là où je vais on ne risque pas de me rencontrer. En outre, nous n’avons pas que je sache de voitures armoriées et le petit coupé est tout à fait anonyme !

— Pas les chevaux ! fit Soames sévèrement. Ils comptent parmi les plus beaux irlandais de Paris.

— Alors allez me chercher un fiacre et dites à Mme Duruy de se préparer à m’accompagner. Cela vous va comme ça ?

— Un fiacre ? laissa tomber Soames du ton dont il eût dit : un limaçon ou une poubelle.

— Préférez-vous que je prenne le tramway ou un omnibus ?

Un cri d’horreur lui répondit. Chacun d’eux, campé solidement sur ses positions, défiait l’autre du regard. Soudain, Mélanie changea complètement d’attitude et se fit toute douceur :

— Cher Soames ! Il faut absolument que je sache ce qu’il est advenu de mon plus grand ami. Il habite le Marais et je veux aller jusque chez lui. Personne ne me verra : je tirerai les rideaux. Je crois savoir, ajouta-t-elle suavement, que le tramway C relie le Louvre à la Bastille mais comment parvenir d’abord jusqu’au Louvre ?

— Je préviens Mme Duruy et je fais atteler, soupira le majordome vaincu, mais si ces dames ne sont pas de retour dans… deux heures, j’avertis le commissaire Langevin !

D’un élan, Mélanie lui sauta au cou, puis grimpa dans sa chambre pour s’habiller.

Hélas, son expédition sous la houlette d’Ernestine ne lui apprit rien. Antoine possédait bien un appartement dans un vieil hôtel charmant mais un peu décrépit, qui avait vu passer Mme de Sévigné et logé le président de Brosses, mais la gardienne lui assura que, non seulement on ne l’avait pas vu depuis plus de deux mois mais que son valet de chambre était parti quelques jours plus tôt sans dire où il allait.

— N’y a-t-il donc pas de courrier à faire suivre ? demanda Mélanie.

— Non. M. Anselme a dit qu’il passerait le prendre un jour ou l’autre. Y a-t-il un message à lui donner ?

— Non… non merci ! Je ne faisais que passer. J’écrirai !

Le retour fut morose. Mélanie ne savait plus à quel saint se vouer pour retrouver Antoine. Elle avait beau penser que son valet était sans doute allé le rejoindre, cela ne la consolait pas beaucoup. Paris était si grand ! Où aller ? Où chercher ? Le seul fil conducteur qui lui restât, ce journaliste nommé Lartigue, n’était toujours pas rentré… Elle ignorait que la veille, mêlé à la foule qui regardait passer le cortège du roi, Antoine s’était longuement arrêté devant sa maison des Champs-Elysées et que, voyant le concierge sortir pour se joindre aux badauds, il avait causé avec lui. Hélas, l’homme, sévèrement chapitré par Dherblay, s’en était tenu à une seule confidence : depuis la disparition de M. Desprez-Martel, la grande demeure n’était plus habitée que par une poignée de serviteurs.

Antoine s’en alla alors rue Saint-Dominique mais sans trop y croire connaissant la tiédeur des sentiments de Mélanie pour sa mère. Il put d’ailleurs voir Albine rentrer chez elle, toute de noir vêtue en un deuil fort élégant qui rendait pleine justice à sa carnation de blonde. De toute évidence il n’y avait rien à attendre d’elle. Restait le compagnon de Mélanie à l’Opéra…

Sachant son nom, Antoine n’eut aucune peine à trouver l’adresse et, dès le lendemain, il se rendait avenue Victor-Hugo… au moment même où celle qu’il cherchait interrogeait sa concierge de la rue de Thorigny. Le peintre sonna. Vint un serviteur stylé dont il apprit que « Monsieur ne rentrerait pas de la journée » et qui, en outre, ne lui laissa aucun espoir d’être reçu sans rendez-vous.