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Cependant, Mélanie achevait enfin de descendre son escalier et s’approchait de sa mère.

— Regardez-moi bien, Mère, et vous verrez que je n’ai pas changé autant que l’on voudrait vous le faire croire. Il y a tant de choses que je pourrais évoquer pour vous convaincre si besoin en était.

— Prenez garde ! intervint Francis. La leçon a dû être bien faite !

— Je vous croyais intelligent, monsieur, fit Mélanie avec un sourire de dédain, mais il semble que sur ce point comme sur… d’autres dont j’ai eu à souffrir, vous deviez me décevoir. Mère, quand vous avez rencontré cet homme pour la première fois, c’était à Dinard chez lady Ellenborough. Vous portiez ce jour-là une robe mauve garnie de chantilly ton sur ton et il vous a dit alors que vous ressembliez à un bouquet de violettes de Parme. Cela vous a même décidée à changer votre parfum et, le lendemain, vous avez fait acheter « Duchesse de Parme » de chez Coty… que vous portez encore. Qui aurait pu apprendre cela à une comédienne ?

— S’il faut d’autres preuves, dit, du haut du tournant d’escalier, Mme Duruy qui descendait en portant tout ouverte la mallette en question, tandis que Soames suivait avec des vêtements sur le bras, voici vos bijoux, mademoiselle Mélanie… et l’alliance de mariage que vous refusez de porter désormais.

— Voici en outre, dit Soames, le costume que vous aviez revêtu pour votre voyage de noces et dans lequel vous êtes revenue ici. Je ne vois pas comment tous ces objets auraient pu venir en votre possession si vous n’étiez pas vous-même ?

Il jeta les vêtements sur une chaise pour se précipiter vers la porte qu’un nouveau personnage venait d’ouvrir. Cependant Mélanie prenait, sur le velours noir, le gros anneau d’or et le passait au doigt pour lequel il avait été forgé tandis que sa mère se penchait sur les bijoux… puis sur le tailleur de drap beige garni de skuns avant d’aller s’écrouler sur le siège qu’on lui avait apporté :

— Je ne comprends rien !… Je ne comprends vraiment plus rien ! sanglota-t-elle... C’est donc bien toi, Mélanie ?… Mais quelle histoire de fous !

La jeune femme allait s’approcher d’elle mais Albine n’esquissa pas le moindre geste pour l’accueillir. Elle avait beau se rendre devant les preuves qu’on lui assenait, cette espèce de résurrection ne semblait pas éveiller le moindre écho dans son cœur égoïste.

— Je suis heureuse, fit Mélanie avec tristesse, que vous acceptiez de me reconnaître…

— Il fallait vraiment tout cela pour que j’y croie ! Tu es tellement différente !… si élégante aussi !… Je me demande où tu as pu te procurer une telle toilette ?…

Le ton qui s’aigrissait acheva de placer Mélanie devant une consternante évidence : cette femme, uniquement frivole, n’avait de mère que le nom puisque sa première réaction la conduisait seulement à envier la robe que portait sa fille.

— Monsieur le commissaire Langevin ! crut devoir annoncer Soames à ces gens réunis au pied d’un escalier et agités de sentiments si divers.

Personne d’ailleurs ne parut y faire attention sauf Olivier et le marquis vers qui le policier se dirigea immédiatement :

— Je viens d’apprendre votre retour, monsieur de Varennes, dit-il sèchement, et je désire, sans plus attendre, vous poser quelques questions.

— Vraiment ? Lesquelles ?

— Je crois que la présence ici d’une jeune femme dont la police italienne s’évertue à rechercher le corps me paraît les justifier pleinement. Mais devons-nous rester dans ce vestibule ?

— Ne m’en veuillez pas de cet inconfort, Commissaire, fit Mélanie, mais je refuse de faire entrer M. de Varennes dans ma maison. Par contre, je ne m’oppose pas à ce que vous l’emmeniez jusqu’à votre cabinet. Je vois d’ailleurs que vous y songiez, ajouta-t-elle en désignant les deux agents en uniforme qui faisaient les cent pas dans la cour auprès de la voiture du commissaire.

— Ne vous gênez pas ! Faites-moi arrêter pendant que vous y êtes !…

— Je n’ai pas de plus cher désir… sinon celui de ne plus jamais vous revoir…

— Vous attendrez longtemps ce bonheur car vous êtes ma femme, que vous le vouliez ou non, et vous le resterez…

— Tiens ? Vous me reconnaissez à présent ?

— Par force et admettez que j’aie quelques excuses : une pareille transformation… en deux mois ! Cela tient du miracle.

— Ce qui tient du miracle pour moi, coupa Langevin, c’est que vous parliez de transformation au sujet d’une dame dont vous avez juré qu’elle s’était noyée. Et la police italienne…

— Je ferai tenir mes excuses à la police italienne que je reconnais avoir trompée sciemment, mais que ne ferait un mari bafoué pour préserver son honneur ?

— Un mari bafoué ? s’écria Mélanie. Qu’allez-vous encore inventer ?

— S’il vous plaît, madame, dit le commissaire, laissez-moi poser les questions ? Et tout d’abord qui était cette malheureuse dont on ne cesse de rechercher le cadavre…

— J’ai déjà dit que je présenterais des excuses mais à condition que tout ceci soit gardé secret. Il n’y a pas eu de femme noyée. Celle qui a bien voulu consentir à jouer auprès de moi le rôle de la marquise de Varennes est en excellente santé, du moins je l’espère. Cette nuit-là, je l’ai débarquée à un endroit de la rive dont nous étions convenus à l’avance.

— Et… pourquoi toute cette comédie ?

— Je le répète : pour préserver mon honneur. Pouvais-je vraiment claironner de par le monde que ma femme, la nuit même de nos noces, s’était enfuie avec son amant ?

Avec un cri de colère, Mélanie voulut se jeter sur lui toutes griffes dehors. Elle était possédée d’une telle rage que Dherblay et Soames eurent toutes les peines du monde à la maîtriser :

— Menteur ! criait-elle, sale menteur ! Vous n’êtes qu’un misérable et si vous n’êtes pas un assassin c’est parce que j’ai pu vous échapper… Tout à l’heure vous refusiez de me reconnaître mais comme vous y avez été contraint vous avez bâti une autre histoire ? De quelle boue êtes-vous donc fait ?

— Je vous en prie, madame, calmez-vous ! fit le commissaire. Je vous ai déjà entendue et vos propos m’ont paru beaucoup plus dignes de foi que cette extraordinaire histoire. Ainsi, monsieur, ayant constaté que votre femme s’était enfuie du train, vous avez tout de suite songé à appeler une amie à votre secours… au fait, quel est le nom de cette amie ?

— Je ne vous le dirai pas car je ne veux pas payer son amitié en la livrant aux investigations policières.

— Il faudra tout de même bien qu’elle apparaisse un jour !

— C’est peu probable : elle n’est pas en France…

— Bien. Laissons cela pour le moment ! Ce que vous avez donné comme explication au contrôleur du wagon-lits lorsqu’il vous a signalé la disparition de votre femme est tout à fait opposé à ce que vous nous racontez à présent. Il n’était pas question d’amant à ce moment-là mais de folie, il me semble ?

— À mon sens, c’est la même chose. Cette malheureuse est sous l’emprise d’un homme qui l’a rendue folle et je ne voulais pas qu’on la poursuive. Voyez-vous, j’étais certain qu’à un moment ou à un autre, elle s’enfuirait pour le rejoindre et je ne voulais pas que mon mariage tourne au ridicule.

— C’est sans doute pour cela que vous avez choisi de passer votre nuit de noces avec Mlle Lolita Fernandez des Folies-Bergère au lieu de rester auprès de votre femme ?

— Vous n’allez pas me reprocher d’avoir fait preuve de délicatesse ?