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— Tu vois, tu as pris froid ! Et ce pied en mauvais état ! Mais qu’est-ce qui t’a pris de galoper dans les arbres en pleine nuit ?

— J’aime ça mais je ne pense pas que vous puissiez comprendre. Avez-vous déjà grimpé aux arbres ?

— Jamais ! J’aurais craint d’abîmer ma robe. Et puis pour quoi faire, mon Dieu ?… Quoique tu aies réussi sans le vouloir un coup de maître ! Je me demande même si tu ne l’as pas fait exprès ?…

— S’il vous plaît, Mère, de quoi parlez-vous ?

— Mais de ton sauveur, voyons ! Ce Francis de Varennes est la coqueluche de Dinard ! D’autant plus qu’il semble réserver ses visites à cette vieille Américaine peinte que nous avons comme voisine.

— Pas à elle seule ! Il m’a dit qu’il vous avait été présenté. Cela devait être ailleurs puisque vous allez rarement chez Mrs. Hugues-Hallets ?

Le visage de la jeune femme s’illumina et elle en oublia son rôle de mère inquiète.

— Il s’en souvient ? Ah que c’est charmant ! C’était au dernier thé de lady Ellenborough et il est vrai que je me sentais en beauté. Je portais ma robe de voile lilas garnie de chantilly ton sur ton et la capeline assortie. Il m’a dit que j’avais l’air d’un bouquet de violettes de Parme et je me suis même demandé un instant si je ne devrais, pas changer de parfum ? Coty vient de sortir un extrait appelé « Duchesse de Parme » dont on dit merveilles… Mais revenons au beau Francis. J’espère qu’il est venu prendre de tes nouvelles ?

— Il n’est pas venu en personne. Il a envoyé son valet.

— Son valet ? N’est-ce pas un peu désinvolte vis-à-vis de… ta famille ?

— Si c’est à vous que vous pensez, Mère, soyez rassurée : je lui ai dit que vous étiez à Jersey…

— Ah !… exhala Albine qui parut soulagée d’un grand poids. Rien n’est perdu alors…

— En effet, rien n’est perdu, murmura Mélanie avec un rien d’amertume dont sa mère ne s’aperçut pas. Mais, au fait, pourquoi vous intéressez-vous tellement au marquis de Varennes ?

— Pourquoi je… Ne dis pas de sottises, voyons ! Ce n’est pas un intérêt particulier. Je parle comme toute la ville car cet homme est des plus intéressants. D’abord c’est un grand voyageur qui a parcouru une partie de l’Afrique et est resté longtemps en Égypte. Il arrive tout droit d’Angleterre où il a assisté au couronnement du roi Edouard. On dit qu’ils sont amis. On dit aussi… qu’il plaît beaucoup aux femmes et malheureusement ici il n’aura que l’embarras du choix ! ajouta-t-elle d’un ton mécontent.

— Je crois que le choix est fait !

Albine ouvrit de grands yeux arrondis :

— Qu’est-ce que tu dis ? T’aurait-il fait des confidences ? Ce serait un peu léger, il me semble ?

— Aucune, mais on voit bien des choses dans un arbre.

— Et qu’as-tu vu ?

— Sur la terrasse, pendant que Caruso chantait, je l’ai vu embrasser une belle jeune femme rousse toute vêtue de blanc mais que je ne connais pas…

— Tu as vu ça ? Comment était-elle ? Explique ! Raconte !

— Je vous ai dit tout ce que je savais, ne m’en demandez pas plus ! fit Mélanie agacée.

Elle n’avait plus envie du tout de parler de Francis avec sa mère. Elle n’avait même pas envie de parler de quoi que ce soit et, pour se débarrasser, elle dit :

— J’espère que vous avez fait bon voyage, Mère… mais je crois que vous devriez aller vous recoiffer. Vous avez quelques mèches !

— Des mèches ? Tu as raison, il faut que j’aille voir ça !

Et elle disparut dans un tourbillon de cerises et de foulard à pois, laissant sa fille constater qu’elle ne s’était même pas intéressée un instant à son pied blessé. Mais depuis longtemps Mélanie savait qu’Albine ne s’intéressait jamais qu’à elle-même…

Chapitre II

À QUELQUE CHOSE MALHEUR EST BON…

Au grand regret informulé de sa fille, Albine, soigneusement recoiffée et repoudrée, vint s’établir auprès d’elle pour le reste de la journée. Le but de la manœuvre ne faisait aucun doute pour l’éclopée : sa mère tenait à être là, toute prête à jouer son rôle avec grâce si le visiteur espéré se présentait. Pour tuer le temps, elle s’était munie d’un livre qui avait fait quelque bruit au printemps, L’Étrangère de Leroux-Cesbron. Le bruit était d’ailleurs la condition sine qua non pour qu’Albine Desprez-Martel née Pauchon de Creuse s’intéressât à un ouvrage. Passé sous silence par les critiques ou dédaigné par les salons, le plus merveilleux des romans ou le plus attachant des poèmes n’eût pas obtenu qu’elle en lût seulement la première page. Mais on avait parlé de celui-là et elle le lisait donc.

— Une femme du monde doit se tenir au courant de tout ! C’est une obligation morale, avait-elle coutume de répéter.

Elle se pencha sur L’Étrangère, dans une attitude qui lui semblait aussi gracieuse qu’intellectuelle, mais ne fit que se pencher. En réalité, elle épiait les bruits du dehors. Hélas, s’il vint du monde et en particulier Mrs. Hugues-Hallets pour prendre des nouvelles de sa petite voisine, le marquis de Varennes ne se montra pas et, quand elle remonta s’habiller pour passer la soirée au Casino, Albine était de fort méchante humeur.

Le lendemain après le déjeuner, elle voulut reprendre sa faction quand – miracle ! – Paulin vint demander si Madame et Mademoiselle voulaient bien recevoir M. de Varennes : du coup elle en oublia son rôle de tendre infirmière :

— Qu’il entre, bien sur ! s’écria-t-elle de cette voix vibrante qui faisait le succès de Mme Sarah Bernhardt. Nous le recevrons avec joie…

Ce « nous » était au moins excessif car à peine Francis – costume de coutil clair, cravate de soie grège, badine et canotier – eut-il fait son entrée que, lui laissant tout juste le temps de dire bonjour à sa fille et de s’enquérir de sa santé, elle l’entraînait au jardin sous le fallacieux prétexte qu’on « étouffait positivement » sous la véranda. Vexée et furieuse, Mélanie les vit s’éloigner sur le tapis émeraude de la grande pelouse, puis se perdre entre les massifs d’hortensias et d’héliotropes. Pendant un moment, elle essaya de suivre à travers l’épaisse végétation du jardin le reflet rose de l’ombrelle maternelle mais cela même disparût… et ne revint pas. Et quand Fräulein vint s’installer auprès d’elle pour lui tenir compagnie armée d’un chemin de table destiné à son trousseau et qu’elle parsemait de fleurs de myosotis et de devises gothiques, elle apprit qu’Albine et le « marguis » venaient de partir ensemble pour le cocktail du Casino qui réunissait, en fin d’après-midi, tout ce que Dinard comptait de personnalités et de jolies femmes… convenables tout au moins, les dames de petite vertu, même si elles menaient grand train, n’y étant pas admises. Et comme elles ne l’étaient pas davantage à l’Hôtel Royal, on n’en voyait guère à Dinard qui se voulait une sorte de club très fermé hanté par un monde d’une folle élégance où n’entrait pas qui le souhaitait.