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— Avez-vous donc l’intention de me garder enfermée ici ? Curieuse façon d’assurer le bonheur de quelqu’un.

— Nullement. Vous sortirez et même chaque jour… mais uniquement en ma compagnie. Et je ne vous conseille pas de profiter d’une de mes absences ! Elles seront rares d’ailleurs comme il se doit pour un homme qui retrouve celle qu’il aime. Et, de toute façon, personne ici, pas même votre mère, ne vous le permettra… Soyez-en tout à fait sûre !

— Ainsi, je vais devoir vous traîner après moi dans les magasins ? Comme ce sera amusant !

— Pourquoi pas ? C’est le privilège d’un homme amoureux que de chercher à parer celle qu’il aime. D’ailleurs n’avez-vous pas tout ce qu’il vous faut ?

— Certainement pas ! Je n’ai aucunement l’intention de porter les robes de mon trousseau nuptial. Je compte même en faire don à une maison de retraite pour veuves peu fortunées.

Francis se mit à rire :

— Je reconnais que votre mère, soucieuse de paraître plus jeune que vous, vous a affublée d’étrange manière. Mais lorsque je vous ai vue, dans l’hôtel des Champs-Elysées, vous étiez vêtue à ravir et de même quand vous êtes arrivée hier. Écrivez donc un mot pour vos gens de là-bas, demandant que l’on vous envoie toutes vos affaires, sans oublier bien sûr vos bijoux.

— Mes bijoux vous intéressent ?

— Mais naturellement. Comment croire à la sincérité de votre retour si vous ne portez ni votre alliance ni votre bague de fiançailles ? Tenez, il y a sur ce petit secrétaire tout ce qu’il faut pour écrire. Dans deux heures vous aurez vos vêtements. Ce qui ne veut pas dire que nous n’irons pas en acheter d’autres… mais pas aujourd’hui. Je préfère que nous laissions se calmer un peu les curiosités.

— Les curiosités ?

— Bien sûr. On se posait trop de questions à notre sujet. Il fallait tailler dans le vif et, dès hier soir, j’ai fait tenir une petite note aux journaux en les priant instamment de ne pas venir vous importuner… pour le moment tout au moins.

Dans tous les quotidiens parisiens, en effet, on consacrait un article, jugé fort incomplet pour la plupart mais qui annonçait le retour « quasi miraculeux » de la jeune marquise de Varennes, dont on déplorait la perte dans les eaux profondes du lac de Côme et qui, secourue in extremis par un pêcheur illettré de Gravedona, était restée inconsciente pendant plusieurs jours. La police italienne, aux œuvres de laquelle le marquis avait l’intention de faire un don important, l’avait retrouvée presque par hasard et rendue aux autorités françaises…

La lecture de cette prose fortement teintée de lyrisme déchaîna l’hilarité de Mélanie :

— Vous avez vraiment réussi à leur faire avaler cela ?

— Pas tout à fait, je le crains, si j’en juge à la horde qui, depuis ce matin, nous assiège. J’en ai déjà reçu deux ou trois spécimens car bien sûr il n’est pas question que vous rencontriez la presse.

— Et vous leur avez dit…

— Que, justement, je n’avais rien de plus à leur dire sinon que vous avez besoin que l’on respecte votre repos. Voilà pourquoi vous devrez vous contenter du jardin aujourd’hui et demain au moins.

— Il se pourrait que la police se montre plus curieuse ? Vous oubliez, il me semble, que vous l’avez rencontrée chez moi ?

— Chez nous, ma chère, chez nous ! Et je peux vous assurer que ce bon commissaire Langevin ne se montrera pas plus curieux qu’il ne convient… surtout s’il tient à l’évolution harmonieuse de sa carrière. Nous sommes peut-être en république mais j’ai tout de même d’assez hautes relations pour lui imposer silence.

La satisfaction qu’il affichait était insupportable et Mélanie, pour cacher sa nervosité, reprit l’un des journaux qui jonchaient une table afin de signifier que, selon elle, cet entretien avait assez duré. Soudain, un entrefilet retint son attention : « Serait-ce le résultat d’un duel tenu secret ? Il n’est bruit à la Bourse que de “l’accident” survenu à M. Olivier Dherblay, l’un de nos plus brillants jeunes financiers, accident qui semble très grave. Des voisins ont, en effet, pu voir hier matin M. Dherblay ramené chez lui en fort mauvais état. Le Pr Georges Dieulafoy appelé d’urgence s’est refusé à toute déclaration mais il serait intéressant de savoir où M. Dherblay s’est promené tôt dans la matinée et qui il a pu rencontrer… »

Mélanie froissa le journal entre ses mains et tourna vers Varennes un regard chargé d’orage :

— Je veux avoir des nouvelles de M. Dherblay ! articula-t-elle sèchement.

— Je ne vois pas en quoi cela vous intéresse ! Laissez-le donc mourir tranquille !

— Vous êtes un monstre ! Vous êtes l’homme le plus ignoble qui soit au monde mais vous êtes aussi stupide ! Ne comprenez-vous pas que si ma mère, au moins, n’envoie pas chez lui, les journaux n’auront peut-être guère de peine à remonter jusqu’à vous et s’il meurt, comme vous semblez le souhaiter, il se pourrait que l’on vous demande tout de même des comptes ?

Le sourire narquois de Francis s’effaça et il réfléchit un instant :

— Il se peut que vous ayez raison. Je vais donner des ordres…

Quelques instants plus tard, Paulin partait avec l’une des voitures de la maison. Il devait passer chez Olivier Dherblay prendre de ses nouvelles de la part de Mme Desprez-Martel puis se rendre avenue des Champs-Elysées pour y remettre à Soames une petite lettre de Mélanie, lettre volontairement écrite sur un ton de frivolité bien propre à éveiller la méfiance du vieux serviteur qui la connaissait bien. Elle y disait avoir décidé de passer quelques jours auprès de sa mère pour mieux s’y préparer à la Grande Saison de Paris. Elle ajoutait qu’il lui fallait à tout prix ses robes et ses bijoux, leur absence risquant de la rendre folle si elle ne pouvait s’en parer aux yeux du Tout-Paris. Prose absurde, stupide même, mais la jeune femme espérait bien que son vieux serviteur et Mme Duruy sauraient lire entre les lignes.

Deux heures plus tard, en effet, tout ce que Mme Lanvin avait conçu pour elle lui était porté ainsi que la mallette qui ne l’avait pas quittée durant son odyssée provençale. Mais, naturellement, Albine tint à assister au déballage et se rua sur la première robe sortie pour en lire la griffe :

— Jeanne Lanvin ! s’écria-t-elle comme elle eût crié « Au secours ». Comment as-tu pu réussir à obtenir d’elle qu’elle travaille pour toi alors qu’elle n’a jamais rien voulu faire pour moi ?

— Je ne sais pas, Mère, répondit Mélanie agacée. Et je vous serais reconnaissante de me laisser ranger mes affaires seule. Je n’ai vraiment pas envie de parler chiffons pour le moment. Je pense à M. Dherblay…

En effet, les nouvelles rapportées par Paulin étaient dramatiques. Olivier Dherblay était très mal et, selon son valet, « monsieur le Professeur Dieulafoy désespère de le sauver ». Mais, bien sûr, Albine n’avait pas, sur le jeune homme, le même point de vue que sa fille.

— Tu ne vas tout de même pas te mettre la tête à l’envers pour ce garçon ? Après tout il n’était qu’un employé de ton grand-père !

— Un employé ! À vous entendre on l’imagine assis sur un rond de cuir avec, aux bras, des manches de lustrine. Heureusement que les journaux et le monde de la finance en font plus grand cas que vous ! Quant à moi je n’entends pas oublier qu’il s’est montré pour moi un ami aussi délicat que généreux et qu’enfin, s’il est en train de mourir, c’est à cause de moi !

— Mais tu as raison ! Il s’est battu pour toi ! Comme c’est romantique ! Il faudra qu’un jour tu me parles de lui plus longuement. Après tout, je le connais à peine… Oh, cette toilette de tulle point-d’esprit noir est étourdissante !… Tu crois qu’elle m’irait ?