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« Une nuit, quelque part dans la jungle entre Columbo et Kandy, Bruno tua Varennes. Comment ? Je l’ignore encore mais le coup fait, il dut feindre un grand chagrin vis-à-vis des porteurs indigènes qui accompagnaient l’expédition. Le corps fut sans doute enterré sur place, après quoi Bruno paya son monde et regagna Columbo où il s’embarqua sur un paquebot anglais à destination d’Alexandrie. Pour rôder son personnage, en effet, il voulait séjourner quelque temps en Égypte.

« Il y resta plusieurs mois, le temps de se créer une réputation de grand voyageur, de se faire des amis et de séduire quelques femmes. Il fréquenta les salles de jeu et même les bas-fonds. C’est au Caire qu’il retrouva Mario Caproni, une vieille connaissance du temps de l’adolescence, qu’il le tira de la misère et se l’attacha d’abord comme valet de chambre. Mais l’homme manquait de style et le nouveau marquis pensa qu’il serait plus judicieux de lui laisser une certaine liberté à condition qu’il soit toujours à sa disposition. Il le tenait d’ailleurs en conservant par-devers lui les preuves d’un meurtre commis par Caproni et celui-ci se serait bien gardé de le trahir.

« Lorsque Bruno quitta l’Égypte, ce fut pour l’Angleterre où le ramenait une jeune lady dont je tairai le nom et qu’il comptait bien épouser car l’argent commençait à lui manquer. Il eut néanmoins le bon esprit de se retirer quand il comprit que la famille de la jeune fille ne verrait pas ces noces d’un bon œil pour l’excellente raison qu’elle espérait un riche mariage. Mais la jeune lady était fort lancée dans la société et c’est grâce à elle que « le marquis de Varennes » fit la connaissance du prince de Galles et fut même invité à son couronnement. C’est peu après, je crois que, venu en France pour y liquider une petite terre, seul bien qui restât aux Varennes, il choisit de séjourner d’abord à Dinard où il comptait nombre d’amis et où il fit, je crois, votre connaissance ? conclut le commissaire en s’adressant à Mélanie.

Mais ce fut son grand-père qui répondit pour elle :

— En effet. Et pas pour notre bonheur ! soupira-t-il. Si vous le permettez, commissaire, c’est moi qui vais continuer votre récit. Je vous rendrai la parole tout à l’heure !

— Je vous en prie ! fit Langevin en souriant. Cela, va me permettre d’apprécier à sa juste valeur cet admirable Romanée-Saint-Vivant, ajouta-t-il en prenant son verre entre ses mains.

— Merci. Je ne vais pas rappeler ici, pour ne pas faire souffrir inutilement ma petite-fille, comment ce triste sire a réussi à s’introduire dans ma famille. Je prendrai l’affaire au lendemain même des fiançailles… ou presque. Deux jours après, je recevais une lettre d’un certain Gerhardt Lenk, de Zurich. Ce personnage me disait que si je désirais en savoir plus sur l’homme qui devait épouser Mlle Desprez-Martel il serait heureux de me recevoir. Une adresse suivait. J’ai donc décidé d’aller voir M. Lenk et, comme j’ai toujours entretenu des relations importantes avec les banques suisses, personne n’a trouvé étrange que je me rende à Zurich. Les conjectures habituelles de la presse ont été leur train et même Olivier ignorait ce que j’allais faire.

— Ce n’était tout de même pas par méfiance ? demanda Mélanie en souriant au jeune homme.

— Non, mais mon correspondant me recommandait, pour ma propre sécurité, la plus grande discrétion. J’ai simplement joué le jeu et je suis parti. Naturellement Varennes – permettez-moi de l’appeler encore ainsi, mon cher commissaire, cela me facilite les choses…

— Faites donc ! La presse n’a pas fini d’en faire autant.

— Donc Varennes a su mon départ et, tout en ignorant ce que j’allais faire au juste en Suisse, il a pensé qu’il était temps de me supprimer, ses finances ne lui permettant guère le délai d’un an de fiançailles que je lui avais imposé. Il a donc lancé sur moi Caproni et, en pleine nuit, j’ai été attaqué dans mon compartiment de chemin de fer par un homme armé qui, après m’avoir conduit à la portière, m’a jeté hors du train… J’étais tout habillé car lorsque je voyage en sleeping je me contente de m’étendre sur la couchette en ôtant seulement mes chaussures… Allons, petite, tout cela est fini, fit-il en couvrant de sa main celle de Mélanie qui n’avait pu retenir une exclamation indignée.

— Que vous n’ayez pas été tué, c’est un vrai miracle ! fit Olivier.

— Je le reconnais. Je suis tombé sur un talus herbeux qui m’a seulement cassé quelques côtes et brisé les deux jambes. Ma chance a été qu’un contrebandier qui venait de franchir la ligne de chemin de fer en rentrant chez lui ait vu la scène. Le train disparu, il m’a cherché, trouvé et traîné dans sa maison, heureusement peu éloignée du lieu de ma chute.

— Ce qui est incroyable c’est que l’on ne vous ait pas découvert. Les recherches ont été faites très sérieusement, dit Langevin.

— C’est gentil de poser à la place des autres des questions dont vous connaissez les réponses. L’homme était un marginal, moitié braconnier, moitié contrebandier et vaguement cultivateur pour la façade. Lui et sa femme ont préféré me cacher quand les gendarmes ont commencé à battre la campagne. J’étais d’ailleurs dans un si triste état qu’ils s’attendaient à ce que je meure d’une heure à l’autre, auquel cas ils m’auraient reporté dans un endroit où l’on aurait pu me retrouver. Mais, habitués à soigner les bêtes, ils ont réussi à me sauver. Du moins pour ce que j’en sais car je suis resté durant des semaines dans une totale inconscience.

« Néanmoins, ils savaient qui j’étais. Les gendarmes et aussi mon portefeuille trouvé dans ma poche les avaient renseignés et quand, enfin, les recherches ont été abandonnées, ils ont écrit à Olivier en lui recommandant le secret. Il est venu tout de suite.

— Et vous ne m’avez rien dit ? s’écria Mélanie indignée. Vous saviez que mon grand-père était vivant et…

— Tais-toi ! Il a bien fait ! Songe qu’il a trouvé un vieil homme inerte qui ne l’a même pas reconnu, un homme facile à achever si on l’avait su vivant.

— Souvenez-vous ! coupa Dherblay. Lorsque je vous ai adjurée de ne pas épouser Varennes, ne vous ai-je pas laissé entendre que pour ma part je n’avais pas perdu l’espoir ?

— En effet, mais si vous m’aviez dit la vérité, j’aurais reculé mon mariage.

— Et pour cela vous auriez dit à votre fiancé ce que vous saviez ? Vous l’aimiez tant ! Et je ne voulais pas courir ce risque. Il a donc bien fallu que je laisse le mariage se faire… mais combien je m’en suis repenti lorsque l’on vous a crue morte !

— À sa place j’en aurais fait autant, coupa le vieux monsieur, et quand j’ai su ce qui s’était passé, je lui ai donné raison même si j’ai failli étouffer de colère et de chagrin. Ce Varennes gagnait sur toute la ligne… Mais revenons au moment où Olivier est arrivé auprès de moi. Imaginez sa consternation ! Que faire d’un corps inerte et totalement inconscient ? C’est alors qu’il a songé à mon vieil ami le professeur Tauber, de la Faculté de Bâle. Il est allé le voir, lui a tout raconté et, le lendemain, Tauber lui-même venait me chercher pour me ramener dans sa clinique où j’ai été inscrit sous le nom sans danger de M. Dubois. C’est chez lui que je suis enfin remonté des profondeurs où je me débattais depuis des semaines. Olivier, alors, est revenu prendre mes ordres et je l’ai envoyé à Zurich afin d’y rencontrer ce M. Lenk qui, me croyant mort, ne m’attendait plus. Pourtant, l’histoire qu’il avait à raconter était intéressante… Voulez-vous continuer, Dherblay ? Pendant ce temps j’essaierai de convaincre le commissaire de partager son bourgogne avec moi.