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— C’est… votre morale personnelle ?

— Pourquoi en aurais-je une autre puisque je vous aime ? Aimez-moi, Antoine ! Je suis sûre que vous en mourez d’envie !

— Ne me rendez pas ridicule, mon cœur ! La vie que vous m’offrez serait belle et facile mais je ne me reconnais pas le droit de l’accepter. Je pars demain, je vous l’ai déjà dit,… très loin, là où l’on m’envoie.

— Et bien sûr, vous ne me direz pas où ? Parfait ! Je vous attendrai.

— Mais je ne le veux pas ! s’écria Antoine. Et vous allez même me promettre d’essayer de vivre comme si nous ne nous connaissions pas… comme si nous habitions des planètes différentes !

— Donnez-moi une bonne raison pour cela !

— Vous avez vraiment envie de vous faire tuer ? Ou de faire tuer Victoire, les filles, Prudent, le chien et le chat ? Je les ai toujours tenus à l’abri des mauvais coups jusqu’à présent. Oubliez-moi au moins pour un temps ! Votre grand-père va ouvrir devant vous les portes d’une vie magnifique : acceptez ce qu’il vous offre !

— Il ne m’offrirait rien s’il savait ce qu’il y a entre nous…

— Il le sait. Il sait même tout et il pense que j’ai raison. Croyez-moi, Mélanie ! Laissez passer le temps ! Dans quelques mois, dans un an ou deux vous ne vous souviendrez peut-être même plus de moi !

— Ne comptez pas là-dessus !

— Pourquoi ? Mais regardez donc autour de vous ! Là, tout près, il y a un homme qui vous aime. Un homme jeune, brillant, plein d’avenir… et honnête !…

— Olivier ?

— Bien sûr, Olivier ! Il s’est même fait embrocher pour vous. Qui vous dit qu’un jour cet amour qui n’ose pas s’avouer ne vous touchera pas ?

— Si vous m’aimiez vraiment, vous ne le verriez même pas, Olivier. Moi je ne sais qu’une chose : je n’aimerai jamais que vous !

— Alors, revenez me le dire dans deux ans… si je ne suis pas mort… ou en prison !

— Pourquoi n’irais-je pas vous le dire en prison ? Et si vous êtes mort, j’irai le crier sur votre tombe !

— Sacrée tête de mule !

Saisissant à deux mains le visage de Mélanie, Antoine lui donna le plus long baiser qu’il eût jamais donné. Puis s’enfuit en courant vers les portes-fenêtres éclairées de la maison.

Vidée de ses forces, Mélanie se laissa tomber sur le sable de l’allée…

— Antoine !… appela-t-elle, reviens !

Elle resta là un moment puis, retrouvant son courage elle se releva. Il était déjà loin sans doute et elle renonça à le poursuivre mais cria dans le silence de la nuit :

— Tu ne te débarrasseras pas de moi si facilement, Antoine Laurens ! Je t’aime… oh je t’aime tant ! – Et sa voix ne fut plus qu’un murmure…

De son côté, Antoine avait traversé le vieil hôtel sans chercher à dire au revoir et sans saluer quiconque. Il franchit en courant la cour et le portail puis il s’élança dans la rue à la recherche d’un fiacre comme Mélanie avait rêvé de le faire pour aller vers lui.

Il en trouva un sur le boulevard, se jeta dedans :

— Rue de Thorigny ! ordonnait-il au cocher.

La voiture partit. Tirant de sa poche son vieux chapeau de tweed, il se l’enfonça jusqu’aux sourcils, se rencogna contre le drap usé du siège, croisa les bras et ferma les yeux. Il ne fallait plus qu’il pense à Mélanie ! Il fallait qu’il pense à autre chose : à la mission qui l’attendait, au temps qui pressait… à des choses sans importance… Et c’est alors qu’il entendit un bruit bizarre : au fond de lui-même quelqu’un pleurait…

Un mois plus tard, sur le pont de l’Askja, Mélanie et son grand-père regardaient les marins envoyer les grandes voiles rouges à la pointe des mâts. Comme il l’avait promis, le vieux Timothée emmenait sa petite-fille découvrir l’Amérique.

Debout sur le quai de Saint-Servan, Olivier Dherblay suivit des yeux la goélette jusqu’à ce qu’elle ne fût plus qu’une virgule à la surface de la mer. Oubliant le travail qui l’attendait, il pensa seulement que ces deux-là méritaient bien leurs vacances et que sa part à lui n’était pas la plus mauvaise. Paris était vide, à présent, d’une haute société qui ignorerait longtemps ce qui s’était passé rue Saint-Dominique, la version officielle étant que Mme Desprez-Martel, souffrant d’une crise d’appendicite, avait dû être transportée d’urgence en clinique quelques minutes avant la réception. Il allait pouvoir travailler d’autant plus tranquillement que, grâce à l’amitié conjointe du président Loubet et du commissaire Langevin, le scandale de l’arrestation avait pu être caché aux journaux, donc évité.

Comme serait évité le déshonorant procès : Adriano Bruno était mort dans sa prison : empoisonné. On ne saurait jamais par qui et d’ailleurs personne n’aurait l’idée de chercher à savoir qui avait ordonné la mort d’un petit truand italien. Seul, Olivier s’en doutait : l’homme qui s’en était pris à Mélanie n’avait à attendre ni pardon ni pitié du vieux Timothée…

Quant à Albine Desprez-Martel, née Pauchon de la Creuse, elle partit prendre quelques semaines de repos à Marienbad, y rencontra un planteur de café brésilien et, entre deux verres d’eau, se laissa séduire par l’idée de visiter de nouveaux horizons.

Saint-Mandé, 6 mars 1990.

Notes

1  Trésor

2  « Ne m’oubliez pas » (myosotis).

3  Vient du grec « mêlas » et veut dire noir.

4  Oui, j’ai compris. Dormez bien.

5  Voulez-vous essayer ? C’est très amusant !

6  Pourquoi pas ?

7  Une dentelle faite de minces lacets de soie sur fond de tulle.

8  C’est le nom porté par le fonctionnaire chargé d’une voiture-lits.

9  Fondée en 1843 par l’évêque de Nancy, Mgr de Forbin-Janson.

10  Il s’agit du fils d’Alphonse Daudet.

11  Puissante police politique créée au XIXe siècle par le tsar Nicolas Ier et dont le premier chef fut le comte de Benkendorff.

12  Le Véronal venait tout juste de faire son apparition.

13  Charles Le Bargy, célèbre comédien, fort apprécié du public à la fin du siècle dernier et au début de celui-ci (1858-1936).

14  Le Marquis de Priola fut l’un de ses grands succès. Il y incarnait une sorte de Don Juan moderne impitoyable et sans scrupule qui trouve son châtiment dans la paralysie totale.

15  Le palais royal italien.