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– Pourquoi te plains-tu ? demanda-t-il.

– Hélas ! hélas ! dit-elle, que ne croyez-vous à la messe ! Vous iriez en paradis, sans doute, et je pourrais vous sauver en cette vie.

La voyant aller à la porte écouter attentive, Ulenspiegel lui dit :

– Ce n’est pas la neige que tu écoutes tomber ?

– Non, dit-elle.

– Cc n’est pas au vent gémissant que tu prêtes l’oreille ?

– Non, dit-elle encore.

– Ni au bruit joyeux que font dans la taverne voisine nos vaillants matelots ?

– La mort vient comme un voleur, dit-elle.

– La mort ! dit Ulenspiegel, je ne te comprends pas ; rentre et parle.

– Ils sont là, dit-elle.

– Qui ?

– Qui ? répondit-elle. Les soldats de Simonen-Bol, qui vont venir, au nom du duc, se ruer sur vous tous ; si l’on vous traite si bien ici, c’est comme les bœufs qu’on va tuer. Ah pourquoi, dit-elle tout en larmes, ne le sais-je que de tantôt seulement ?

– Ne pleure ni ne crie, dit Ulenspiegel, et demeure !

– Ne me trahis point, dit-elle.

Ulenspiegel sortit de la maison, courut, s’en fut à toutes les échoppes et tavernes coulant en l’oreille des marins et soudards ces mots : « L’Espagnol vient ».

Tous coururent au vaisseau, préparant en grande hâtivité tout ce qu’il fallait pour la bataille, et ils attendirent l’ennemi. Ulenspiegel dit à Lamme :

– Vois-tu cette mignonne femme debout sur le quai, avec sa robe noire brodée d’écarlate, et se cachant le visage sous sa capeline blanche ?

– Ce m’est tout un, répondit Lamme. J’ai froid, je veux dormir.

Et il s’enveloppa la tête de son opperst-kleed. Et ainsi il fut comme un homme sourd.

Ulenspiegel reconnut alors la femme et lui cria du vaisseau :

– Veux-tu nous suivre ? dit-il.

– Jusqu’à la fosse, dit-elle, mais je ne le puis…

– Tu ferais bien, dit Ulenspiegel ; songes-y cependant : quand le rossignol reste en la forêt, il est heureux et chante ; mais s’il la quitte et risque ses petites ailes au vent de la grande mer, il les brise et meurt.

– J’ai chanté au logis, dit-elle, et chanterais dehors si je le pouvais. Puis, s’approchant du navire : Prends, dit-elle, ce baume pour toi et ton ami qui dort quand il faut veiller.

– Lamme ! Lamme ! Dieu te garde du mal, reviens sauf.

Et elle se découvrit le visage.

– Ma femme, ma femme ! cria Lamme.

Et il voulut sauter sur la glace.

– Ta femme fidèle ! dit-elle.

Et elle courut le grand trotton.

Lamme voulut sauter du pont sur la glace, mais il en fut empêché par un soudard, lequel le retint par son opperst-kleed. Il cria, pleura, supplia qu’on lui voulût permettre de partir. Mais le prévôt lui dit :

– Tu seras pendu si tu laisses le vaisseau.

Lamme voulut derechef se jeter sur la glace, mais un vieux Gueux le retint, lui disant :

– Le plancher est humide tu pourrais te mouiller les pieds.

Et Lamme tomba sur son séant, pleurant et sans cesse disant :

– Ma femme, ma femme ! laissez-moi aller à ma femme !

– Tu la reverras, dit Ulenspiegel. Elle t’aime, mais elle aime Dieu plus que toi.

– La diablesse enragée, cria Lamme. Si elle aime Dieu plus que son homme, pourquoi se montre-t-elle à moi mignonne et désirable ? Et si elle m’aime, pourquoi me laisse-t-elle ?

– Vois-tu clair dans les puits profonds ? demanda Ulenspiegel

– Las ! disait Lamme, je mourrai bientôt.

Et il resta sur le pont, blême et affolé.

Dans l’entre-temps vinrent les gens de Simonen-Bol, avec force artillerie.

Ils tirèrent sur le navire, qui leur répondit. Et leurs boulets cassaient la glace tout autour. Vers le soir une pluie tomba tiède.

Le vent soufflant du ponant, la mer se fâcha sous la glace et la souleva par blocs énormes, lesquels furent vus se dressant, retombant, s’entre-heurtant, passant les uns sur les autres non sans danger pour le navire qui, lorsque l’aube creva les nuages nocturnes, ouvrit ses ailes de lin comme un oiseau de liberté et vogua vers la mer libre.

Là ils rejoignirent la flotte de messire Lumey de la Marche, amiral de Hollande et Zélande, et chef et capitaine général, et comme tel portant une lanterne au haut de son navire.

– Regarde-le bien, mon fils, dit Ulenspiegel, celui-ci ne t’épargnera point, si tu veux de force quitter le navire. Entends-tu sa voix éclater comme tonnerre ? Vois comme il est large et fort en sa haute stature ! Regarde ses longues mains aux ongles crochus ! Vois ses yeux ronds, yeux d’aigle et froids, et sa longue barbe pointue qu’il laissera croître jusqu’à ce qu’il ait pendu tous les moines et prêtres pour venger la mort des deux comtes ! Vois-le redoutable et cruel ; il te fera pendre haut et court, si tu continues de geindre et crier toujours : Ma femme !

– Mon fils, répondit Lamme, tel parle de corde pour le prochain qui a déjà au col la fraise de chanvre.

– Toi-même la porteras le premier. Tel est mon vœu amical, dit Ulenspiegel.

– Je te verrai à la potence pousser, longue d’une toise hors du bec, ta langue venimeuse, répondit Lamme.

Et tous deux pensaient rire.

Ce jour-là, le vaisseau de Très-Long prit un navire de Biscaye chargé de mercure, de poudre d’or, de vins et d’épices. Et le navire fut vidé de sa moelle, hommes et butin, comme un os de bœuf sous la dent d’un lion.

Ce fut en ce temps aussi que le duc ordonna aux Pays-Bas de cruels et d’abominables impôts, obligeant tous les habitants vendant des biens mobiliers ou immobiliers à payer mille florins par dix mille. Et cette taxe fut permanente. Tous les marchands et vendeurs quelconques durent payer au roi le dixième du prix de vente, et il fut dit dans le peuple que des marchandises vendues dix fois en une semaine, le roi avait tout.

Et ainsi le commerce et l’industrie s’en allaient vers Ruine et Mort.

Et les Gueux prirent la Briele, forte place maritime qui fut nommée le Verger de liberté.

II

Les premiers jours de mai, par un ciel clair, le navire voguant fièrement sur le flot, Ulenspiegel chanta :

Les cendres battent sur mon cœur.

Les bourreaux sont venus, ils ont frappé

Par le poignard, le feu, la force et le glaive.

Ils ont payé l’espionnage vil.

Où était Amour et Foi, vertus douces,

Ils ont mis Délation et Méfiance.

Que les bouchers soient frappés,

Battez le tambour de guerre !

Vive le Gueux ! Battez le tambour !

La Briele est prise,

Et aussi Flessingue, clef de l’Escaut ;

Dieu est bon, Camp-Veere est prise,

Où était l’artillerie de Zélande.

Nous avons balles, poudres et boulets,

Boulets de fer et boulets de fonte.

Dieu est avec nous, qui donc contre ?

Battez le tambour de guerre et gloire !

Vive le Gueux ! Battez le tambour !

Le glaive est tiré, hauts soient nos cœurs,

Fermes nos bras, le glaive est tiré.

Foin du dixième denier l’entier de ruine,

Mort au bourreau, la hart au spoliateur ;

À roi parjure peuple rebelle,

Le glaive est tiré pour nos droits,

Pour nos maisons, nos femmes et nos enfants.

Le glaive est tiré, battez le tambour !

Hauts sont nos cœurs, fermes nos bras.

Foin du dixième denier, foin de l’infâme pardon.

Battez le tambour de guerre, battez le tambour !

– Oui, compères et amis, dit Ulenspiegel, oui, ils ont dressé Anvers, devant la Maison commune, un éclatant échafaud couvert de drap rouge ; le duc y est assis comme un roi sur son trône au milieu des estafiers et des soudards. Voulant sourire bénévolement, il fait aigre grimace. Battez le tambour de guerre !

« Il a octroyé un pardon : faites silence : sa cuirasse dorée reluit au soleil, le grand prévôt est à cheval à côté du dais ; voici venir le héraut avec ses timbaliers ; il lit : c’est le pardon pour tous ceux qui n’ont point péché ; les autres seront punis cruellement.