Выбрать главу

« Oyez, compères, il lit l’édit qui commande, sous peine de rébellion, le payement des dixième et vingtième deniers. »

Et Ulenspiegel chanta :

Ô duc ! entends-tu la voix du populaire,

La forte rumeur ? C’est la mer qui monte

Au temps des grandes houles.

Assez d’argent, assez de sang,

Assez de ruines !

Battez le tambour !

Le glaive est tiré.

Battez le tambour de deuil !

C’est le coup d’ongle sur la plaie sanglante,

Le vol après le meurtre.

Te faut-il donc

Mêler tout notre or à notre sang pour le boire ?

Nous marchions dans le devoir, féaux

À Sa Majesté Royale.

Sa Majesté est parjure,

Nous sommes dégagés de serments.

Battez le tambour de guerre.

Duc d’Albe, duc de sang,

Vois ces échoppes et ces boutiques fermées,

Vois ces brasseurs, boulangers, épiciers,

Refusant de vendre pour ne payer point.

Qui donc te salue quand tu passes ?

Personne.

Sens-tu, comme un brouillard de peste,

Haine et mépris t’environner ?

La belle terre de Flandres,

Le joyeux pays de Brabant,

Sont tristes comme des cimetières.

Là où jadis au temps de liberté,

Chantaient les violes, glapissaient les fifres,

Sont le silence et la mort.

Battez le tambour de guerre.

Au lieu des faces joyeuses

De buveurs et d’amoureux chantants,

Sont les pâles visages

De ceux qui attendent, résignés,

Le coup de glaive de l’injustice.

Battez le tambour de guerre.

Nul n’entend plus dans les tavernes

Le cliquetis joyeux des pintes,

Ni la claire voix des filles

Chantant par troupes dans les rues.

Et Brabant et Flandres, pays de joie,

Sont devenus pays de larmes.

Battez le tambour de deuil.

Terre des pères, souffrante aimée,

Ne courbe point le front sous le pied du meurtrier.

Abeilles laborieuses, ruez-vous par essaims

Sur les frelons d’Espagne.

Cadavres de femmes et filles enterrées vives,

Criez à Christ : Vengeance !

Errez la nuit dans les champs ; pauvres âmes,

Criez vers Dieu ! Le bras frémit pour frapper,

Le glaive est tiré, duc, nous t’arracherons les entrailles

Et t’en fouetterons le visage.

Battez le tambour.

Le glaive est tiré.

Battez le tambour.

Vive le Gueux !

Et tous les mariniers et soudards du navire d’Ulenspiegel et ceux aussi des navires chantaient pareillement :

Le glaive est tiré, vive le Gueux !

Et leurs voix grondaient comme un tonnerre de délivrance.

III

Le monde était en janvier, le mois cruel qui gèle le veau au ventre de la vache. Il avait neigé et gelé par-dessus. Les garçonnets prenaient à la glu les moineaux cherchant sur la neige durcie quelque pauvre nourriture, et apportaient ce gibier en leurs chaumines. Sur le ciel gris et clair, se détachaient immobiles les squelettes des arbres dont les branches étaient couvertes de neigeux coussins, couvrant pareillement les chaumines et le faîte des murs où se voyaient les empreintes des pattes des chats qui, eux aussi, chassaient aux moineaux sur la neige. Tout au loin les prairies étaient cachées par cette merveilleuse toison, tenant tiède la terre contre l’aigre froid d’hiver. La fumée des maisons et chaumines montait noire dans le ciel, et on n’entendait nul bruit.

Et Katheline et Nele étaient seules en leur logis, et Katheline hochant la tête, disait :

– Hans, mon cœur tire à toi. Il te faut rendre les sept cents carolus à Ulenspiegel, fils de Soetkin. Si tu es besoineux, viens cependant que je voie ta face brillante. Ôte le feu, la tête brûle. Las ! où sont tes neigeux baisers ? où est ton corps de glace ; Hans, mon aimé ?

Et elle se tenait à la fenêtre. Soudain passa, courant le grand trotton, un voet-looper, courrier portant des grelots à la ceinture et criant :

– Voici venir le bailli, le haut-bailli de Damme.

Et il alla ainsi jusqu’à la Maison commune, afin d’y assembler les bourgmestres et échevins.

Alors dans l’épais silence Nele entendit sonner deux clairons. Tous ceux de Damme vinrent aux portes, croyant que c’était Sa Royale Majesté qui s’annonçait par de telles fanfares.

Et Katheline alla aussi à la porte avec Nele. De loin elles virent de brillants cavaliers chevauchant par troupe, et devant eux, chevauchant pareillement, un personnage couvert d’un opperstkleed de velours noir bordé de martres, ayant le pourpoint de velours passementé d’or fin et les bottines de veau fauve fourrées de martres. Et elles reconnurent le haut-bailli.

Derrière lui chevauchaient jeunes seigneurs qui, nonobstant l’ordonnance de feue Son Impériale Majesté, portaient à leurs accoutrements de velours des broderies, passements, bandes, profilures d’or, d’argent et de soie. Et leurs opperstkleederen étaient pareillement à ceux du bailli bordés de fourrure. Ils chevauchaient gaiement, secouant au vent les longues plumes d’autruche garnissant leurs toques boutonnées passementées d’or.

Et ils semblaient être tous de bons amis et compagnons du grand bailli, et notamment un seigneur d’aigre trogne vêtu de velours vert passementé d’or, et dont le manteau était de velours noir ainsi que la toque ornée de longues plumes. Et il avait le nez en forme de bec de vautour, la bouche mince, le poil roux, la face blême, le port fier.

Tandis que la troupe de ces seigneurs passait devant le logis de Katheline, celle-ci tout soudain sauta à la bride du cheval du seigneur blême, et de joie affolée, s’écria :

– Hans ! mon aimé, je le savais, tu reviens. Tu es beau ainsi tout en velours et tout en or comme un soleil sur la neige ! M’apportes-tu les sept cents carolus ? T’entendrai-je encore crier comme l’orfraie ?

Le haut-bailli fit arrêter la troupe des gentilshommes, et le seigneur blême dit :

– Que me veut cette gueuse ?

Mais Katheline, tenant toujours le cheval à la bride :

– Ne t’en revas point, disait-elle, j’ai tant pleuré pour toi. Douces nuits, mon aimé, baisers de neige et corps de glace. L’enfant est ici !

Et elle lui montra Nele qui le regardait fâchée, car il avait levé son fouet sur Katheline ; mais Katheline pleurant :

– Ah ! disait-elle, n’as-tu point souvenance ? Prends en pitié ta servante. Amène-la où tu veux avec toi. Ôte le feu, Hans, pitié !

– Va-t’en ! dit-il.

Et il poussa son cheval si fort en avant que Katheline, lâchant la bride, tomba ; et le cheval marcha sur elle et lui fit au front une sanglante blessure.

Le bailli dit alors au seigneur blême :

– Messire, connaissez-vous cette femme ?

– Je ne la connais point, dit-il, c’est quelque folle sans doute.

Mais Nele, ayant relevé Katheline :

– Si cette femme est folle, je ne le suis point, Monseigneur, et demande à mourir ici de cette neige que je mange, – et elle prit de la neige avec les doigts, – si cet homme n’a pas connu ma mère, s’il ne lui emprunta point tout son argent, s’il ne tua point le chien de Claes afin de prendre contre le mur du puits de notre maison sept cents carolus appartenant au pauvre défunt !

– Hans, mon mignon, pleurait Katheline, saignante et à genoux, Hans, mon aimé, donne-moi le baiser de paix : vois le sang qui coule : l’âme a fait le trou et veut sortir : je mourrai tantôt : ne me laisse point. Puis, parlant tout bas : Jadis tu tuas ton compagnon par jalousie, le long de la digue. Et elle étendit le doigt du côté de Dudzeele. Tu m’aimais bien en ce temps.