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Mais Nele :

– L’entendez-vous, dit-elle, le meurtrier ? il a fait comme fille à vendre, portant rouelle au bras, métier et marchandise d’amour. L’entendez-vous ? il veut pour se sauver, faire brûler celle qui lui donna tout.

– Nele est méchante, disait Katheline, ne l’écoute point, Hans, mon aimé.

– Non, disait Nele, non, tu n’es pas homme : tu es un diable couard et cruel. Et prenant Katheline dans ses bras : Messieurs les juges, s’exclama-t-elle, n’écoutez point ce pâle méchant : il n’a qu’un désir, c’est de voir brûler ma mère, qui ne commit d’autre crime que d’être frappée par Dieu de folie, et de croire réels les fantômes de ses rêves. Elle a déjà bien souffert dans son corps et dans son esprit. Ne la faites point mourir, messieurs les juges. Laissez l’innocente vivre en paix sa triste vie.

Et Katheline disait :

– Nele est méchante, il ne faut point la croire. Hans, mon seigneur.

Et dans le populaire, les femmes pleuraient et les hommes disaient :

– Grâce pour Katheline.

Le bailli et les échevins rendirent leur sentence au sujet de Joos Damman, sur un aveu qu’il fit après de nouvelles tortures : il fut condamné à être dégradé de noblesse et brûlé vif à petit feu jusqu’à ce que mort s’ensuivît, et souffrit le supplice le lendemain devant les bailles de la maison commune, disant toujours : « Faites mourir la sorcière, elle seule est coupable ! maudit soit Dieu ! mon père tuera les juges ! » Et il rendit l’âme.

Et le peuple disait :

– Voyez-le maudissant et blasphémateur : il trépasse comme un chien.

Le lendemain, le bailli et les échevins rendirent leur sentence au sujet de Katheline, qui fut condamnée à subir l’épreuve de l’eau dans le canal de Bruges. Surnageant, elle serait brûlée comme sorcière ; allant au fond, et en mourant, elle serait considérée comme étant morte chrétiennement, et comme telle inhumée au jardin de l’église, qui est le cimetière.

Le lendemain, tenant un cierge, nu-pieds et vêtue d’une chemise de toile noire, Katheline fut conduite jusqu’au bord du canal, le long des arbres, en grande procession. Devant elle marchaient, chantant les prières des morts, le doyen de Notre-Dame ses vicaires, le bedeau portant la croix, et derrière, les bailli de Damme, échevins, greffiers, sergents de la commune, prévôt bourreau et ses deux aides. Sur les bords était une grande foule de femmes pleurant et d’hommes grondant, par pitié pour Katheline, qui marchait comme un agneau se laissant conduire sans savoir où il va, et toujours disant :

– Ôtez le feu, la tête brûle ! Hans, où es-tu ?

Se tenant au milieu des femmes, Nele criait :

– Je veux être jetée avec elle.

Mais les femmes ne la laissaient point s’approcher de Katheline.

Un aigre vent soufflait de la mer ; du ciel gris tombait dans l’eau du canal grêle fine ; une barque était là, que le bourreau et ses valets prirent au nom de Sa Royale Majesté. Sur leur commandement, Katheline y descendit ; le bourreau y fut vu debout, la tenant et au signal du prévôt levant sa verge de justice, jetant Katheline dans le canal : elle se débattit, mais non longtemps, et alla au fond ayant crié :

– Hans ! Hans ! à l’aide !

Et le populaire disait : Cette femme n’est point sorcière.

Des hommes se jetèrent dans le canal et en tirèrent Katheline hors de sens et rigide comme une morte. Puis elle fut menée dans une taverne et placée devant un grand feu ; Nele lui ôta ses habits et son linge mouillés pour lui en donner d’autres ; quand elle revint à elle, elle dit, tremblant et claquant des dents :

– Hans, donne-moi un manteau de laine.

Et Katheline ne put se réchauffer. Et elle mourut le troisième jour. Et elle fut enterrée dans le jardin de l’église.

Et Nele, orpheline, s’en fut au pays de Hollande, auprès de Rosa van Auweghem.

VII

Sur les houlques de Zélande, sur les boyers, croustèves, s’en va Thyl Claes Ulenspiegel.

La mer libre porte les vaillants flibots sur lesquels sont huit, dix ou vingt pièces toutes en fer : elles vomissent mort et massacre sur les traîtres Espagnols.

Il est expert canonnier, Thyl Ulenspiegel, fils de Claes : il faut voir comme il pointe juste, vise bien et troue comme un mur de beurre les carcasses des bourreaux.

Il porte au feutre le croissant d’argent, avec cette inscription : Liever den Turc als den Paus. Plutôt servir le Turc que le Pape.

Les matelots qui le voient monter sur leurs navires, leste comme un chat, subtil comme un écureuil, chantant quelque chanson, disant quelque joyeux propos, l’interrogeaient curieux :

– D’où vient-il, petit homme, que tu aies l’air si jeunet, car on dit qu’il y a longtemps que tu es né à Damme ?

– Je ne suis point corps, mais esprit, dit-il, et Nele, m’amie, me ressemble. Esprit de Flandre, Amour de Flandre, nous ne mourrons point.

– Toutefois, dirent-ils, quand on te coupe, tu saignes.

– Vous n’en voyez que l’apparence, répondit Ulenspiegel ; c’est du vin et non du sang.

– Nous te mettrons une broche au ventre.

– Je serais seul à me vider, répondit Ulenspiegel.

– Tu te gausses de nous.

– Celui qui bat la caisse entend le tambour, répondait Ulenspiegel.

Et les bannières brodées des processions romaines flottaient aux mâts des navires. Et vêtus de velours, de brocart, de soie, de drap d’or et d’argent, tels qu’en ont les abbés aux messes solennelles, portant la mitre et la crosse, buvant le vin des moines, les Gueux faisaient la garde sur les vaisseaux.

Et c’était spectacle étrange de voir sortir de ces riches vêtements ces mains rudes qui portaient l’arquebuse ou l’arbalète, la hallebarde ou la pique, et tous hommes à la dure trogne, ceints par-dessus de pistolets et de coutelas reluisant au soleil, et buvant dans des calices d’or le vin abbatial devenu le vin de liberté.

Et ils chantaient et ils criaient : « Vive le Gueux ! » et ainsi ils couraient l’Océan et l’Escaut.

VIII

En ce temps, les Gueux, parmi lesquels étaient Lamme et Ulenspiegel, prirent Gorcum. Et ils étaient commandés par le capitaine Marin : ce Marin, qui fut autrefois un manouvrier diguier, se prélassait en grande hauteur et suffisance et signa avec Gaspard Turc, défenseur de Gorcum, une capitulation par laquelle Turc, les moines, les bourgeois et les soldats enfermés dans la citadelle sortiraient librement la balle en bouche, le mousquet sur l’épaule, avec tout ce qu’ils pourraient porter, sauf que les biens des églises resteraient aux assaillants.

Mais le capitaine Marin, sur un ordre de messire de Lumey, détint prisonniers les dix-neuf moines et laissa aller les soudards et bourgeois.

Et Ulenspiegel dit :

– Parole de soldat doit être parole d’or. Pourquoi manque-t-il a la sienne ?

Un vieux Gueux répondit à Ulenspiegel :

– Les moines sont des fils de Satan, la lèpre des nations, la honte des pays. Depuis l’arrivée du duc d’Albe, ceux-ci lèvent le nez dans Gorcum. Il en est un parmi eux, le prêtre Nicolas, plus fier qu’un paon et plus féroce qu’un tigre. Chaque fois qu’il passait dans la rue avec son saint-sacrement où était son hostie faite de graisse de chien, il regardait avec des yeux pleins de fureur les maisons d’où les femmes ne sortaient point pour s’agenouiller, et dénonçait au juge tous ceux qui ne ployaient pas le genou devant son idole de pâte et de cuivre doré. Les autres moines l’imitaient. Cela fut cause de plusieurs grandes misères, brûlements et cruelles punitions en la ville de Gorcum. Le capitaine Marin fait bien de garder prisonniers les moines qui, sinon s’en iraient avec leurs pareils, dans les villages, bourgs, villes et villettes, prêcher contre nous, ameutant le populaire et faisant brûler les pauvres réformés. On met les dogues à la chaîne jusqu’à leur crevaille ; à la chaîne les moines, à la chaîne, les bloedhonden, les chiens de sang du duc, en cage les bourreaux. Vive le Gueux !