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La belle dame et le gras sommelier, passant devant la chaumine, regardèrent Ulenspiegel soufflant, Nele riant et Titus Bibulus Schnouffius hurlant.

– Mauvais garçon, dit la dame parlant à Ulenspiegel, ne pourrais-tu cesser de faire ainsi hurler ce pauvre rousseau ?

Mais Ulenspiegel, la regardant, enflait plus vaillamment sa cornemuse. Et Bibulus Schnouffius hurlait plus mélancoliquement et Nele éclatait de rire davantage.

Le sommelier, entrant en colère, dit à la dame en désignant Ulenspiegel :

– Si je frottais du fourreau de mon épée cette graine de pauvre homme, il cesserait de mener cet insolent tapage. Ulenspiegel regarda le sommelier, l’appela Jan Papzak, à cause de sa bedaine, et continua de souffler dans sa cornemuse. Le sommelier marcha sur lui en le menaçant du poing, mais Bibulus Schnouffius se jeta sur lui et le mordit à la jambe, le sommelier tomba de peur en criant :

– À l’aide !

La dame souriant dit à Ulenspiegel :

– Ne me pourrais-tu pas, cornemuseux, dire si le chemin n’a point change qui mène de Damme a Dudzeele ?

Ulenspiegel, ne cessant de jouer, hocha la tête et regarda la dame.

– Qu’as-tu à me regarder si fixement ? demanda-t-elle.

Mais lui, jouant toujours, écarquillait les yeux comme s’il fût ravi en extase d’admiration. Elle lui dit :

– N’as-tu pas de honte, jeune comme tu es, de regarder ainsi les dames ?

Ulenspiegel rougit un peu, souffla encore et la regarda davantage.

– Je t’ai demandé, reprit-elle, si le chemin n’a point changé qui mène de Damme à Dudzeele ?

– Il ne verdoie plus depuis que vous le privâtes de l’heur de vous porter, repartit Ulenspiegel.

– Veux-tu me conduire ? dit la dame.

Mais Ulenspiegel restait assis, la regardant toujours. Et elle, si espiègle qu’elle le vît, sachant que son jeu était tout de jeunesse, lui pardonnait volontiers. Il se leva et allait rentrer chez lui.

– Où vas-tu ? demanda-t-elle.

– Mettre mes plus beaux habits, répondit-il.

– Va, dit la dame.

Elle s’assit alors sur le banc, près du pas de la porte ; le sommelier fit comme elle. Elle voulut parler à Nele, mais Nele ne lui répondit pas, car elle était jalouse.

Ulenspiegel revint bien lavé et vêtu de futaine. Il avait bonne mine sous son accoutrement de dimanche, le petit homme.

– T’en vas-tu vraiment avec cette belle dame ? lui demanda Nele.

– Je reviendrai bientôt, répondit Ulenspiegel.

– Si j’allais à ta place ? dit Nele.

– Non, dit-il, les chemins sont boueux.

– Pourquoi, dit la dame fâchée et jalouse pareillement, pourquoi, petite fillette, veux-tu l’empêcher de venir avec moi ?

Nele ne lui répondit point, mais de grosses larmes sourdirent de ses yeux et elle regardait tristement et avec colère la belle dame.

Ils se mirent à quatre en route, la dame assise comme une reine sur sa haquenée blanche, harnachée de velours noir ; le sommelier dont la marche secouait la bedaine ; Ulenspiegel tenant par la bride la haquenée de la dame, et Bibulus Schnouffius marchant à côté de lui, la queue en l’air fièrement.

Ils chevauchèrent et cheminèrent ainsi pendant quelque temps, mais Ulenspiegel n’était point à l’aise ; muet comme un poisson, il aspirait la fine odeur de benjoin qui venait de la dame et regardait du coin de l’œil tous ses beaux ferrets, bijoux rares et pardilloches, et aussi son doux air, ses yeux brillants, sa gorge nue et ses cheveux que le soleil faisait brillants comme une coiffe d’or.

– Pourquoi, dit-elle, parles-tu si peu, mon petit homme ?

Il ne répondit point.

– Tu n’as pas tellement ta langue dans tes souliers que tu ne saches pas t’acquitter pour moi d’un message ?

– Voire, dit Ulenspiegel.

– Il faut, dit la dame, me quitter ici et aller à Koolkercke, de l’autre côté du vent, dire à un gentilhomme vêtu de noir et de rouge, mi-parti, qu’il ne doit point m’attendre aujourd’hui, mais venir dimanche, à dix heures de nuit, en mon château, par la poterne.

– Je n’irai pas ! dit Ulenspiegel.

Pourquoi ? demanda la dame.

– Je n’irai pas, non ! dit encore Ulenspiegel.

La dame lui dit :

– Qu’est-ce donc, petit coq tout fâché, qui t’inspire cette volonté farouche ?

– Je n’irai pas ! dit Ulenspiegel.

– Mais si je te donnais un florin ?

– Non ! dit-il.

– Un ducat ?

– Non.

– Un carolus ?

– Non, dit encore Ulenspiegel. Et cependant, ajouta-t-il en soupirant, je l’aimerais mieux qu’une coquille de moule dans le cuiret maternel.

La dame sourit, puis tout à coup s’écria.

– J’ai perdu mon aumônière belle et rare, faite de drap de soie et brodée de perles fines ! À Damme, elle pendait encore à ma ceinture.

Ulenspiegel ne bougea pas, mais le sommelier s’avança vers la dame :

– Madame, lui dit-il, n’envoyez point à sa recherche ce jeune larron, car vous ne le reverriez jamais.

– Et qui donc ira ? demanda la dame.

– Moi, répondit-il, malgré mon grand âge.

Et il s’en fut. Midi sonnait, la chaleur était grande, profonde la solitude ; Ulenspiegel ne disait mot, mais il ôta son pourpoint neuf pour que la dame pût s’asseoir à l’ombre sous un tilleul, sans craindre la fraîcheur de l’herbe. Il restait debout près d’elle, soupirant.

Elle le regarda et se sentit pitoyable pour ce petit bonhomme craintif, et lui demanda s’il n’était point fatigué de rester ainsi debout sur ses jambes trop jeunes. Il ne répondit mot, et comme il se laissait choir à côté d’elle, elle voulut le retenir et l’attira sur sa gorge nue, où il demeura si volontiers qu’elle eût cru commettre le péché de cruauté en lui disant de choisir un autre oreiller.

Le sommelier revint toutefois et dit qu’il n’avait point trouvé l’aumônière.

– Je la retrouvai, moi, répondit la dame, quand je descendis de cheval, car elle s’était, en se dégrafant, accrochée à l’étrier. Maintenant, dit-elle à Ulenspiegel, mène-nous droitement à Dudzeele et dis-moi comment tu te nommes.

– Mon patron, répondit-il, est monsieur saint Thylbert, nom qui veut dire leste des pieds pour courir aux bonnes choses ; mon nom est Claes et mon surnom est Ulenspiegel. Si vous voulez vous regarder en mon miroir, vous verrez qu’il n’est pas, sur toute cette terre de Flandre, une fleur de beauté éclatante comme votre grâce parfumée.

La dame rougit d’aise et ne se fâcha point contre Ulenspiegel.

Et Soetkin et Nele pleuraient pendant cette longue absence.

XXVII

Quand Ulenspiegel revint de Dudzeele, il vit à l’entrée de la ville Nele adossée à une barrière. Elle égrenait une grappe de raisin noir. Croquant un à un les grains du fruit, elle en était sans doute rafraîchie et délectée, mais n’en laissait paraître nul plaisir. Elle semblait, au contraire, fâchée et arrachait les grains de la grappe colériquement. Elle était si dolente et avait un visage si marri, triste et doux, qu’Ulenspiegel fut saisi d’amoureuse pitié, et, s’avançant derrière elle, lui donna un baiser sur la nuque.

Mais elle, en retour, lui bailla un grand soufflet.

– Je n’y vois pas plus clair, repartit Ulenspiegel.

Elle pleurait à sanglots.

– Nele, dit-il, va-t-on maintenant placer les fontaines à l’entrée des villages ?

– Va-t’en ! dit-elle.

– Mais je ne puis m’en aller, si tu pleures comme cela, mignonne.

– Je ne suis pas mignonne, dit Nele, et je ne pleure pas !

– Non, tu ne pleures pas, mais il sort cependant de l’eau de tes yeux.

– Veux-tu t’en aller ? dit-elle.