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Mais Nele fâchée répondit :

– Qu’as-tu besoin d’une femme parjure ?

– N’en dis point de mal, répondit Lamme.

– Tiens, dit Nele, voici du baume ; je le gardais pour Ulenspiegel ; mets-le sur la plaie.

Lamme ayant pansé sa blessure fut joyeux, car le baume en fit cesser la cuisante douleur ; et ils remontèrent à trois sur le navire.

Voyant le moine qui s’y promenait les mains liées :

– Quel est celui-ci ? dit-elle : je l’ai vu déjà et crois le reconnaître.

– Il vaut cent florins de rançon, répondit Lamme.

XXII

Ce jour-là, sur la flotte, il y eut fête. Malgré l’aigre vent de décembre, malgré la pluie, malgré la neige, tous les Gueux de la flotte étaient sur les ponts des navires. Les croissants d’argent brillaient fauves sur les couvre-chefs de Zélande.

Et Ulenspiegel chanta :

Leyde est délivré, le duc de sang quitte les Pays-Bas :

Sonnez, cloches retentissantes ;

Carillons, lancez dans les airs vos chansons ;

Tintez, verres et bouteilles.

Quand le dogue s’en revient des coups,

La queue entre les jambes,

D’un œil sanglant

Il se retourne sur les bâtons.

Et sa mâchoire déchirée

Frémit pantelante.

Il est parti le duc de sang :

Tintez, verres et bouteilles. Vive le Gueux !

Il voudrait se mordre lui-même,

Les bâtons brisèrent ses dents,

Penchant sa tête maflue,

Il pense aux jours de meurtre et d’appétit.

Il est parti le duc de sang :

Donc battez le tambour de gloire,

Donc battez le tambour de guerre !

Vive le Gueux !

Il crie au diable : « Je te vends

Mon âme de chien pour une heure de force. »

« Ce m’est tout un de ton âme,

Dit le diable, ou d’un hareng »

Les dents ne se retrouvent point.

Il fallait fuir les durs morceaux.

Il est parti le duc de sang ;

Vive le Gueux !

Les petits chiens des rues, torses, borgnes, galeux.

Qui vivent ou crèvent sur les monceaux,

Lèvent la patte tour à tour

Sur celui qui tua par amour du meurtre…

Vive le Gueux !

« Il n’aima point de femmes ni d’amis,

Ni gaieté, ni soleil, ni son maître,

Rien que la Mort, sa fiancée,

Qui lui casse les pattes,

Par préludes de fiançailles,

N’aimant pas les hommes entiers ;

Battez le tambour de joie,

Vive le Gueux ! »

Et les petits chiens de rues, torses,

Boiteux, galeux et borgnes,

Lèvent de nouveau la patte

D´une façon chaude et salée,

Et avec eux lévriers et molosses,

Chiens de Hongrie, de Brabant,

De Namur et de Luxembourg,

Vive le Gueux !

Et tristement, l’écume au mufle,

Il va crever près de son maître,

Qui lui baille un coup de pied

Pour n’avoir pas assez mordu.

En enfer il épouse Mort

Et elle l’appelle : « Mon duc » ;

Et il l’appelle : « Mon inquisition ».

Vive le Gueux !

Sonnez, cloches retentissantes ;

Carillon, lance en l’air tes chansons ;

Tintez, verres et bouteilles :

Vive le Gueux !

LIVRE CINQUIÈME

I

Le moine pris par Lamme, s’apercevant que les Gueux ne le voulaient point mort, mais payant rançon, commença de lever le nez sur le navire :

–Voyez, disait-il, marchant et branlant la tête avec fureur voyez en quel gouffre de sales, noires et vilaines abominations je suis tombé en mettant le pied dans cette cuvelle de bois. Si je n’étais céans, moi que le seigneur oignit…

– Avec de la graisse de chien ? demandaient les Gueux

– Chiens vous-mêmes, répondait le moine poursuivant son propos, oui, chiens galeux, errants, breneux, à la maigre échine et qui avez fui le gras sentier de notre mère sainte Eglise romaine pour entrer dans les chemins secs de votre loqueteuse Eglise réformée. Oui ! si je n’étais ici dans votre sabot, dans votre cuvelle, il y a longtemps que le Seigneur l’aurait engloutie dans les plus profonds abîmes de la mer, avec vous, vos armes maudites, vos canons du diable, votre capitaine chanteur, vos croissants blasphématoires, Oui ! jusques au fond de l’insondable parfond du royaume de Satan, où vous ne brûlerez point, non ! mais où vous gèlerez, tremblerez, mourrez de froid pendant là toute longue éternité. Oui ! le Dieu du ciel éteindra ainsi le feu de votre haine impie contre notre douce mère sainte Eglise romaine, contre messieurs les Saints, messeigneurs les évêques et les benoîts placards qui furent si doucement et mûrement pensés. Oui, et je vous verrais du haut du paradis, violets comme des betteraves ou blancs comme des navets tant vous auriez froid. ‘T sy ! ‘t sy ! ‘t sy ! Ainsi soit-il, soit, soit-il.

Les matelots, soudards et mousses se gaussaient de lui, et lui lançaient des pois secs, au moyen de sarbacanes. Et il se couvrait des mains le visage contre cette artillerie.

II

Le duc de sang ayant quitté les pays, messires de Medina-Cœli et de Requesens les gouvernèrent avec une moindre cruauté. Puis les États Généraux les régirent au nom du roi.

Dans l’entre-temps, ceux de Zélande et Hollande, bien heureux à cause de la mer et des digues, qui leur sont remparts et forteresses de nature, ouvrirent au Dieu des libres de libres temples ; et les papistes bourreaux purent à côté d’eux chanter leurs hymnes ; et monseigneur d’Orange le Taiseux s’empêcha à fonder une stadhoudérale et royale dynastie.

Le pays Belgique fut ravagé par les Wallons malcontents de la pacification de Gand, devant, disait-on, éteindre toutes les haines. Et ces Wallons Pater-noster knechten, portant au cou de gros chapelets noirs, dont deux mille furent trouvés à Spienne en Hainaut, volant les bœufs et les chevaux par douze cents, par deux mille, choisissant les meilleurs, par champs et par marais emmenant femmes et filles, mangeant et ne payant point, brûlaient dans les granges les paysans armés prétendant ne point se laisser enlever le fruit de leurs durs labeurs.

Et ceux du populaire s’entre-disaient : « Don Juan va venir avec ses Espagnols, et Monsieur sa Grande Altesse viendra avec ses Français non huguenots, mais papistes : et le Taiseux, voulant régir paisiblement Hollande, Zélande, Gueldre, Utrecht, Overyssel, cède par un traité secret les pays belgiques, afin que Monsieur d’Anjou s’y fasse roi ».

D’aucuns du populaire avaient toutefois confiance. « Messeigneurs des États, disaient-ils, ont vingt mille hommes bien armés, avec force canons et bonne cavalerie. Ils résisteront à tous les soudards étrangers. »

Mais les bien avisés disaient : « Messeigneurs des États ont vingt mille hommes sur le papier, mais non en campagne, ils manquent de cavalerie et laissent à une lieue de leur camp voler les chevaux par les Pater-noster knechten. Ils n’ont point d’artillerie, car en ayant besoin chez nous, ils ont décidé d’envoyer cent canons avec de la poudre et des boulets à don Sébastien de Portugal ; et l’on ne sait où vont les deux millions d’écus que nous avons payés en quatre fois par impôts et contributions, les bourgeois de Gand et Bruxelles s’arment, Gand pour la réforme, et Bruxelles comme Gand ; à Bruxelles, les femmes jouent du tambourin tandis que leurs hommes travaillent aux remparts. Et Gand la Hardie envoie à Bruxelles la Joyeuse de la poudre et des canons, qui lui manquent pour se défendre contre les Malcontents et les Espagnols.