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« Et un chacun, dans les villes et le plat pays, in ‘t plat landt, voit que l’on ne doit point avoir confiance ni en Messeigneurs ni en tant d’autres. Et nous bourgeois et ceux du commun peuple, sommes marris en notre cœur de ce que, donnant notre argent et prêts à donner notre sang, nous voyons que rien n’avance pour le bien de la terre des pères. Et le pays Belgique est craintif et fâché, n’ayant point de chefs fidèles pour lui donner occasion de bataille et lui bailler victoire, à grands efforts d’armes toutes prêtes contre les ennemis de la liberté. »

Et les bien avisés s’entredisaient :

« Dans la pacification de Gand, les seigneurs de Hollande et Belgique jurèrent l’extinction des haines, la réciprocité d’assistance entre les États belgiques et les États néerlandais ; déclarèrent les placards non avenus, les confiscations levées, la paix entre les deux religions ; promirent d’abattre tous et toutes colonnes, trophées, inscriptions et effigies dressées par le duc d’Albe à notre déshonneur. Mais dans le cœur des chefs les haines sont debout ; les nobles et le clergé fomentent la division entre les États de l’Union ; ils reçoivent de l’argent pour payer des soldats, ils le gardent pour leur empiffrement ; quinze mille procès sont en surséance pour réclamation sur les biens confisqués ; les luthériens et romains s’unissent contre les calvinistes ; les héritiers légitimes ne peuvent parvenir à chasser de leurs biens les spoliateurs ; la statue du duc est par terre, mais l’image de l’inquisition est dans leur cœur. »

Et le pauvre populaire et les dolents bourgeois attendaient toujours le chef vaillant et fidèle qui les voulût mener à la bataille pour liberté.

Et ils s’entre-disaient : « Où sont les illustres signataires du Compromis, tous unis, disaient-ils, pour le bien de la patrie ? Pourquoi ces hommes doubles firent-ils une si « sainte alliance » s’ils devaient tout aussitôt la rompre ? Pourquoi s’assembler avec tant de fracas, exciter la colère du roi, pour après, couards et traîtres, se dissoudre ? À cinq cents comme ils étaient, hauts et bas seigneurs réunis en frères, ils nous sauvaient de la fureur espagnole ; mais ils sacrifièrent le bien de la terre de Belgique à leur bien particulier, ainsi que firent d’Egmont et de Hoorn.

« Las ! disaient-ils, voyez maintenant venir don Juan, le bel ambitieux, ennemi de Philippe, mais plus ennemi de nos pays. Il vient pour le pape et pour lui-même. Nobles et clergé trahissent. »

Et ils entament un semblant de guerre. Sur les murs des grandes et petites rues de Gand et de Bruxelles, voire même aux mâts des vaisseaux des Gueux, furent vus alors affichés les noms des traîtres, chefs d’armée et commandants de forteresses ; ceux du comte de Liedekerke, qui ne défendit point son château contre Don Juan ; du prévôt de Liège, qui voulut vendre la ville à Don Juan ; de messieurs d’Aerschot, de Mansfeldt, de Berlaymont, de Rassenghien ; ceux du Conseil d’État, de Georges de Lalaing, gouverneur de Frise, celui du chef d’armée le seigneur de Rossignol, émissaire de don Juan, entrepreneur de meurtre entre Philippe et Jaureguy, assassin maladroit du prince d’Orange ; le nom de l’archevêque de Cambrai, qui voulut faire entrer les Espagnols dans la ville, les noms de jésuites d’Anvers, offrant trois tonneaux d’or aux États – c’est deux millions de florins – pour ne point démolir le château et le tenir pour don Juan ; de l’évêque de Liége ; des prédicastres romains diffamant les patriotes ; de l’évêque d’Utrecht, que les bourgeois envoyèrent paître ailleurs l’herbe de trahison ; des ordres mendiants, qui intriguaient à Gand en faveur de don Juan. Ceux de Bois-le-Duc clouaient au pilori le nom du carme Pierre, qui, aidé de leur évêque et du clergé de celui-ci, se faisait fort de livrer la ville à don Juan.

À Douai, ils ne pendirent point toutefois en effigie le recteur de l’Université, espagnolisé pareillement ; mais sur les navires des Gueux on voyait sur la poitrine des mannequins pendus par le cou, des noms de moines, d’abbés et de prélats, ceux des dix-huit cents riches femmes et filles du béguinage de Malines qui de leurs deniers sustentaient, doraient et empanachaient les bourreaux de la patrie.

Et sur ces mannequins, piloris de traîtres, se lisaient les noms du marquis d’Harrault, commandant la place forte de Philippeville, gaspillant les munitions de guerre et de bouche inutilement pour livrer, sous prétexte de manque de vivres, la place à l’ennemi, celui de Belver, qui rendit Lembourg, quand la ville pouvait tenir encore huit mois ; celui du président du conseil des Flandres, du magistrat de Bruges, du magistrat de Malines, gardant leurs villes pour don Juan ; de Messieurs de la Chambre des comptes de Gueldre, fermée pour cause de trahison ; de ceux du conseil de Brabant, de la chancellerie du duché, du conseil privé et des finances ; des grand bailli et bourgmestre de Menin ; et des méchants voisins de l’Artois, qui laissèrent passer sans encombre deux mille Français en marche pour le pillage.

– Las ! s’entre-disaient les bourgeois, voici que le duc d’Anjou a le pied en nos pays ; il veut être roi chez nous ; le vîtes-vous entrer à Mons, petit, ayant de grosses hanches, le nez gros, la trogne jaune, la bouche gouailleuse ? C’est un grand prince, aimant les amours extraordinaires ; on l’appelle, pour qu’il y ait en son nom grâce féminine et force virile, Monseigneur Monsieur Sa Grande Altesse d’Anjou.

Ulenspiegel était songeur. Et il chanta :

Le ciel est bleu, le soleil clair ;

Couvrez de crêpe les bannières,

De crêpe les poignées des épées ;

Cachez les bijoux ;

Retournez les miroirs ;

Je chante la chanson de Mort,

La chanson des traîtres.

Ils ont mis le pied sur le ventre

Et sur la gorge des fiers pays

De Brabant, Flandre, Hainaut,

Anvers, Artois, Luxembourg.

L’appât des récompenses les mène.

Je chante la chanson des traîtres.

Quand partout l’ennemi pille,

Que l’Espagnol entre en Anvers,

Abbés, prélats et chefs d’armée

S’en vont par les rues de la ville,

Vêtus de soie, chamarrés d’or,

La trogne luisante de bon vin,

Montrant ainsi leur infamie.

Et par eux, l’Inquisition

Se réveillera en grand triomphe,

Et de nouveaux Titelmans

Arrêteront des sourds-muets

Pour hérésie.

Je chante la chanson des traîtres.

Signataires du Compromis,

Couards signataires,

Que vos noms soient maudits !

Où êtes-vous à l’heure de guerre ?

Vous marchez comme corbeaux

À la suite des Espagnols.

Battez le tambour de deuil.

Pays de Belgique, l’avenir

Te condamnera pour t’être,

Tout en armes, laissé piller.

Avenir, ne te hâte point ;

Vois les traîtres besogner :

Ils sont vingt, ils sont mille,

Occupant tous les emplois

Les grands en donnent aux petits.

Ils se sont entendus

Pour entraver la résistance

Par division et paresse,

Leurs devises de trahison.

Couvrez de crêpe les miroirs

Et les poignées des épées.

C’est la chanson des traîtres.

Ils déclarent rebelles

Espagnols et malcontents ;

Défendent de les aider

Et de pain et d’abri,

Et de plomb ou de poudre.

Si l’on en prend pour les pendre,

Pour les pendre,

Ils les relâchent aussitôt.

Debout ! disent ceux de Bruxelles ;

Debout ! disent ceux de Gand

Et le populaire belgique ;

On vous veut, pauvres hommes,

Ecraser entre le roi

Et le Pape qui lance

La croisade contre Flandre.