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Claes en fut bien marri ; mais Soetkin le fut davantage et s’écria :

– Méchant, tu as tué l’oiseau de Dieu. Puis elle prit la cigogne vit qu’elle n’était blessée qu’à l’aile, alla quérir du baume, et disait tout en lui vêtissant sa plaie :

– Cigogne, m’amie, il n’est habile à toi que l’on aime, de planer dans le ciel comme l’épervier que l’on hait. Aussi les flèches populaires vont-elles à mauvaise adresse. As-tu mal à ta pauvre aile, cigogne, qui te laisses faire si patiemment, sachant que nos mains sont des mains amies ?

Quand la cigogne fut guérie, elle eut à manger tout ce qu’elle voulut ; mais elle mangeait de préférence le poisson que Claes allait pêcher pour elle dans le canal. Et chaque fois que l’oiseau de Dieu le voyait venir, il ouvrait son grand bec.

Il suivait Claes comme un chien, mais restait plus volontiers dans la cuisine, se chauffant au feu l’estomac et frappant du bec sur le ventre de Soetkin préparant le dîner, comme pour lui dire : « N’y a-t-il rien pour moi ? »

Et il était plaisant de voir par la chaumière vaquer sur ses longues pattes cette grave messagère de bonheur.

LI

Cependant les mauvais jours étaient revenus : Claes travaillait seul à la terre tristement, car il n’y avait point de besogne pour deux. Soetkin demeurait seule dans la chaumière, préparant de toutes façons les fèves, leur repas journalier, afin d’égayer l’appétit de son homme. Et elle chantait et riait afin qu’il ne souffrît point de la voir dolente. La cigogne se tenait près d’elle, sur une patte et le bec dans les plumes.

Un homme à cheval s’arrêta devant la chaumière ; il était tout de noir vêtu, bien maigre et avait l’air grandement triste.

– Y a-t-il quelqu’un céans ? demanda-t-il.

– Dieu bénisse Votre Mélancolie, répondit Soetkin ; mais suis-je un fantôme pour que, me voyant ici, vous me demandiez s’il y a quelqu’un céans ?

– Où est ton père ? demanda le cavalier.

– Si mon père s’appelle Claes, il est là-bas, répondit Soetkin, et tu le vois semant le blé.

Le cavalier s’en fut, et Soetkin aussi toute dolente, car il lui fallait aller pour la sixième fois chercher, sans le payer, du pain chez le boulanger. Quand elle en revint les mains vides, elle fut ébahie de voir revenir au logis Claes triomphant et glorieux, sur le cheval de l’homme vêtu de noir, lequel cheminait à pied, à côté de lui, en tenant la bride. Claes appuyait d’une main sur sa cuisse fièrement un sac de cuir qui paraissait bien rempli.

En descendant de cheval, il embrassa l’homme, le battit joyeusement, puis secouant le sac, il s’écria :

– Vive mon frère Josse, le bon ermite ! Dieu le tienne en joie, en graisse, en liesse, en santé ! C’est le Josse de bénédiction, le Josse d’abondance, le Josse des soupes grasses. La cigogne n’a point menti !

Et il posa le sac sur la table.

Sur ce, Soetkin dit lamentablement :

– Mon homme, nous ne mangerons pas aujourd’hui : le boulanger m’a refusé du pain.

– Du pain ? dit Claes en ouvrant le sac et faisant couler sur la table un ruisseau d’or, du pain ? Voilà du pain, du beurre de la viande, du vin, de la bière ! voilà des jambons, os à moelle, pâtés de hérons, ortolans, poulardes, castrelins, comme chez les hauts seigneurs ! voilà de la bière en tonnes et du vin en barils ! Bien fou sera le boulanger qui nous refusera du pain, nous n’achèterons plus rien chez lui.

– Mais, mon homme, dit Soetkin ébahie.

– Or ça, oyez, dit Claes, et soyez joyeuse. Katheline, au lieu d’achever dans le marquisat d’Anvers son terme de bannissement, est allée, sous la conduite de Nele, jusqu’à Meyborg pédestrement. Là, Nele a dit à mon frère Josse, que nous vivons souvent de misère, nonobstant nos durs labeurs. Selon ce que ce bonhomme messager m’a dit tantôt, – et Claes montra le cavalier vêtu de noir, – Josse a quitté la sainte religion romaine pour s’adonner à l’hérésie de Luther.

L’homme vêtu de noir répondit :

– Ceux-là sont hérétiques qui suivent le culte de la Grande Prostituée. Car le Pape est prévaricateur et vendeur de choses saintes.

– Ah ! dit Soetkin, ne parlez pas si haut, monsieur : vous nous feriez brûler tertous.

– Donc, dit Claes, Josse a dit à ce bonhomme messager que, puisqu’il allait combattre dans les troupes de Frédéric de Saxe et lui amenait cinquante hommes d’armes bien équipés, il n’avait pas besoin, allant en guerre, de tant d’argent pour le laisser en la male heure, à quelque vaurien de landsknecht. Donc, a-t-il dit, porte à mon frère Claes, avec mes bénédictions, ces sept cents florins carolus d’or : dis-lui qu’il vive dans le bien et songe au salut de son âme.

– Oui, dit le cavalier, il en est temps, car Dieu rendra à l’homme selon ses œuvres, et traitera chacun selon le mérite de sa vie.

– Monsieur, dit Claes, il ne me sera pas défendu, dans l’entre-temps, de me réjouir de la bonne nouvelle ; daignez rester céans, nous allons pour la fêter manger de belles tripes, force carbonnades, un jambonneau que j’ai vu tantôt si rebondi et appétissant chez le charcutier, qu’il m’a fait sortir les dents longues d’un pied hors la gueule.

– Las ! dit l’homme, les insensés se réjouissent tandis que les yeux de Dieu sont sur leurs voies.

– Or ça, messager, dit Claes, veux-tu ou non manger et boire avec nous ?

L’homme répondit :

– Il sera temps, pour les fidèles, de livrer leurs âmes aux joies terrestres lorsque sera tombée la grande Babylone !

Soetkin et Claes se signant, il voulut partir.

Claes lui dit :

– Puisqu’il te plaît de t’en aller ainsi mal choyé, donne à mon frère Josse le baiser de paix et veille sur lui dans la bataille.

– Je le ferai, dit l’homme.

Et il s’en fut, tandis que Soetkin allait chercher de quoi fêter la fortune propice. La cigogne eut, ce jour-la, à souper, deux goujons et une tête de cabillaud.

La nouvelle se répandit bientôt à Damme que le pauvre Claes était, par le fait de son frère Josse, devenu Claes le riche, et le doyen disait que Katheline avait sans doute jeté un sort sur Josse, puisque Claes avait reçu de lui une somme d’argent très grosse, sans doute, et n’avait pas donné la moindre robe à Notre-Dame.

Claes et Soetkin furent heureux, Claes travaillant aux champs ou vendant son charbon, et Soetkin se montrant au logis vaillante ménagère.

Mais Soetkin, toujours dolente, cherchait sans cesse, des yeux, sur les chemins son fils Ulenspiegel.

Et tous trois goûtèrent le bonheur qui leur venait de Dieu en attendant ce qui leur devait venir des hommes.

LII

L’empereur Charles reçut ce jour-là d’Angleterre une lettre dans laquelle son fils lui disait :

« Monsieur et père,

« Il me déplaît de devoir vivre en ce pays où pullulent, comme puces, chenilles et sauterelles, les maudits hérétiques. Le feu et le glaive ne seraient de trop pour les ôter du tronc de l’arbre vivifiant qui est notre mère Sainte Eglise. Comme si ce n’était pas assez pour moi de ce chagrin, encore faut-il qu’on ne me regarde point comme un roi, mais comme le mari de leur reine, n’ayant sans elle aucune autorité. Ils se gaussent de moi, disant en de méchants pamphlets, dont nul ne peut trouver les auteurs ni imprimeurs, que le Pape me paye pour troubler et gâter le royaume par pendaisons et brûlements impies, et quand je veux lever sur eux quelque urgente contribution, car ils me laissent souvent sans argent, par malice, ils me répondent en de méchants pasquins que je n’ai qu’à en demander à Satan pour qui je travaille. Ceux du Parlement s’excusent et font le gros dos de peur que je ne morde, mais ils n’accordent rien.