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Se laissant traîner par leur vaillant cheval, ils allaient le long d’une chaussée au bord de laquelle étaient un village et une auberge portant pour enseigne : In den ketele : Au Chaudron. Il en sortait une bonne odeur de fricassées.

Le dikzak qui jouait du rommel-pot alla au baes et lui dit en parlant d’Ulenspiegel :

– C’est le peintre du landgrave : il payera tout.

Le baes, considérant la mine d’Ulenspiegel, qui était bonne, et entendant le son des florins et daelders, apporta sur la table de quoi manger et boire. Ulenspiegel ne s’en faisait point faute. Et toujours sonnaient les écus de son escarcelle. Maintes fois, il avait aussi frappé sur son chapeau en disant que là était son plus grand trésor. Les ripailles ayant duré deux jours et une nuit, les Smaedelyke broeders dirent à Ulenspiegel :

– Vidons de céans et payons la dépense.

Ulenspiegel répondit :

– Quand le rat est dans le fromage, demande-t-il à s’en aller ?

– Non, dirent-ils.

– Et quand l’homme mange et boit bien, cherche-t-il la poussière des chemins et l’eau des sources pleines de sangsues ?

– Non, dirent-ils.

– Donc, poursuivit Ulenspiegel, demeurons ici tant que mes florins et daelders nous serviront d’entonnoirs pour verser dans notre gosier les boissons qui font rire.

Et il commanda à l’hôte d’apporter encore du vin et du saucisson. Tandis qu’ils buvaient et mangeaient, Ulenspiegel disait :

– C’est moi qui paye, je suis landgrave présentement. Si mon escarcelle était vide, que feriez-vous, camarades ? Vous prendriez mon couvre-chef de feutre mou et trouveriez qu’il est plein de carolus, tant au fond que sur les bords.

– Laisse-nous tâter, disaient-ils tous ensemble. Et soupirant, ils y sentaient entre leurs doigts de grandes pièces ayant la dimension de carolus d’or. Mais l’un d’eux le maniait avec tant d’amitié qu’Ulenspiegel le reprit, disant :

– Laitier impétueux, il faut savoir attendre l’heure de traire.

– Donne-moi la moitié de ton chapeau, disait le Smaedelyk broeder :

– Non, répondait Ulenspiegel, je ne veux pas que tu aies une cervelle de fou, la moitié à l’ombre et l’autre au soleil.

Puis donnant son couvre-chef au baes.

– Toi, dit-il, garde-le toutefois, car il est chaud. Quant à moi, je vais me vider dehors.

Il le fit, et l’hôte garda le chapeau.

Bientôt il sortit de l’auberge, alla chez le paysan, monta sur son âne et courut le grand pas sur la route qui mène à Embden.

Les Smaedelyke broeders, ne le voyant pas revenir, s’entredisaient :

– Est-il parti ? Qui payera la dépense ?

Le baes, saisi de peur, ouvrit d’un coup de couteau le chapeau d’Ulenspiegel. Mais, au lieu de carolus, il n’y trouva entre le feutre et la doublure que de méchants jetons de cuivre.

S’emportant alors contre les Smaedelyke broeders, il leur dit :

– Frères en friponnerie, vous ne sortirez pas d’ici que vous n’y ayez laissé tous vos vêtements, la chemise seule exceptée.

Et ils durent se dépouiller tous pour payer leur écot.

Ils allèrent ainsi en chemise par monts et par vaux, car ils n’avaient pas voulu vendre leur cheval ni leur chariot.

Et chacun, les voyant si piteux, leur donnait volontiers à manger du pain, de la bière et quelquefois de la viande ; car ils disaient partout qu’ils avaient été dépouillés par des larrons.

Et ils n’avaient à eux tous qu’un haut-de-chausses.

Et ainsi ils revinrent à Sluys en chemise, dansant dans leur chariot et jouant du rommel-pot.

LX

Dans l’entre-temps, Ulenspiegel califourchonnait sur le dos de Jef à travers les terres et marais du duc de Lunebourg. Les Flamands nomment ce duc Water-Signorke, à cause qu’il fait toujours humide chez lui.

Jef obéissait à Ulenspiegel comme un chien, buvait de la bruinbier, dansait mieux qu’un Hongrois maître ès arts de souplesses, faisait le mort et se couchait sur le dos au moindre signe.

Ulenspiegel savait que le duc de Lunebourg, marri et fâché de ce qu’Ulenspiegel s’était gaussé de lui, à Darmstadt, en la présence du landgrave de Hesse, lui avait interdit l’entrée de ses terres sous peine de la hart.

Soudain il vit venir Son Altesse Ducale en personne et comme il savait qu’elle était violente, il fut pris de peur. Parlant à son âne :

– Jef, dit-il, voici monseigneur de Lunebourg qui vient. J’ai au cou une grande démangeaison de corde ; mais que ce ne soit pas le bourreau qui me gratte ! Jef, je veux bien être gratté, mais non pendu. Songe que nous sommes frères en misère et longues oreilles ; songe aussi quel bon ami tu perdrais me perdant.

Et Ulenspiegel s’essuyait les yeux, et Jef commençait à braire.

Continuant son propos :

– Nous vivons ensemble joyeusement, lui dit Ulenspiegel, ou tristement, suivant l’occurrence ; t’en souviens-tu, Jef ? – L’âne continuait de braire, car il avait faim. – Et tu ne pourras jamais m’oublier, disait son maître, car quelle amitié est forte sinon celle qui rit des mêmes joies et pleure des mêmes peines ! Jef, il faut te mettre sur le dos.

Le doux âne obéit et fut vu par le duc les quatre sabots en l’air. Ulenspiegel s’assit prestement sur son ventre. Le duc vint à lui.

– Que fais-tu là ? dit-il. Ignores-tu que, par mon dernier placard, je t’ai défendu, sous peine de la corde, de mettre ton pied poudreux en mes pays ?

Ulenspiegel répondit :

– Gracieux seigneur, prenez-moi en pitié !

Puis montrant son âne.

– Vous savez bien, dit-il, que, par droit et loi, celui-là est toujours libre qui demeure entre ses quatre pieux.

Le duc répondit :

– Sors de mes pays, sinon tu mourras.

– Monseigneur, répondit Ulenspiegel, j’en sortirais si vite monté sur un florin ou deux !

– Vaurien, dit le duc, vas-tu, non content de ta désobéissance, me demander encore de l’argent ?

– Il le faut bien, monseigneur, puisque je ne peux pas vous le prendre…

Le duc lui donna un florin. Puis Ulenspiegel dit parlant à son âne :

– Jef, lève-toi et salue monseigneur.

L’âne se leva et se remit à braire. Puis tous deux s’en furent.

LXI

Soetkin et Nele étaient assises à l’une des fenêtres de la chaumière et regardaient dans la rue.

Soetkin disait à Nele :

– Mignonne, ne vois-tu pas venir mon fils Ulenspiegel ?

– Non, disait Nele, nous ne le verrons plus, ce méchant vagabond.

– Nele, disait Soetkin, il ne faut point être fâchée contre lui, mais le plaindre, car il est hors du logis, le petit homme.

– Je le sais bien, disait Nele ; il a une autre maison bien loin d’ici, plus riche que la sienne, où quelque belle dame lui donne sans doute à loger.

– Ce serait bien heureux pour lui, disait Soetkin ; il y est peut-être nourri d’ortolans.

– Que ne lui donne-t-on des pierres à manger : il serait vite ici, le goulu ! disait Nele.

Soetkin alors riait et disait :

– D’où vient donc, mignonne, cette grande colère ?