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Mais Claes, qui, tout songeur aussi, liait des fagots dans un coin :

– Ne vois-tu pas, disait-il, qu’elle en est affolée ?

– Voyez-vous, disait Soetkin, la rusée cauteleuse qui ne m’en a point sonné mot ! Est-il vrai, mignonne, que tu en veuilles ?

– Ne le croyez pas, disait Nele.

– Tu auras là, dit Claes, un vaillant époux ayant grande gueule, le ventre creux et la langue longue, faisant des florins des liards et jamais un sou de son labeur, toujours battant le pavé et mesurant les chemins à l’aune de vagabondage.

Mais Nele répondit toute rouge et fâchée :

– Que n’en fîtes-vous autre chose ?

– Voilà, dit Soetkin, qu’elle pleure maintenant ; tais-toi, mon homme !

LXII

Ulenspiegel vint un jour à Nuremberg et s’y donna pour un grand médecin vainqueur de maladies, purgateur très illustre, célèbre dompteur de fièvres, renommé balayeur de pestes et invincible fouetteur de gales.

Il y avait à l’hôpital tant de malades qu’on ne savait où les loger. Le maître hospitalier, ayant appris la venue d’Ulenspiegel, vint le voir et s’enquit de lui s’il était vrai qu’il pût guérir toutes les maladies.

– Excepté la dernière, répondit Ulenspiegel ; mais promettez-moi deux cents florins pour la guérison de toutes les autres, et je n’en veux pas recevoir un liard que tous vos malades ne se disent guéris et ne sortent de l’hôpital.

Il vint le lendemain audit hôpital, le regard assuré et portant doctoralement sa trogne solennelle. Etant dans les salles, il prit à part chaque malade, et lui parlant :

– Jure, disait-il, de ne confier à personne ce que je vais te conter à l’oreille. Quelle maladie as-tu ?

Le malade le lui disait et jurait son grand Dieu de se taire.

– Sache, disait Ulenspiegel, que je dois par le feu réduire l’un de vous en poussière, que je ferai de cette poussière une mixture merveilleuse et la donnerai à boire à tous les malades. Celui qui ne saura marcher sera brûlé. Demain, je viendrai ici, et, me tenant dans la rue avec le maître hospitalier, je vous appellerai tous criant : « Que celui qui n’est pas malade trousse son bagage et vienne ! »

Le matin, Ulenspiegel vint et cria comme il l’avait dit. Tous les malades, boiteux, catarrheux, tousseux, fiévreux, voulurent sortir ensemble. Tous étaient dans la rue, de ceux-là même qui depuis dix ans n’avaient pas quitté leur lit.

Le maître hospitalier leur demanda s’ils étaient guéris et pouvaient marcher.

– Oui, répondirent-ils, croyant qu’il y en avait un qui brûlait dans la cour.

Ulenspiegel dit alors au maître hospitalier :

– Paye-moi, puisqu’ils sont tous dehors et se déclarent guéris.

Le maître lui paya deux cents florins. Et Ulenspiegel s’en fut.

Mais le deuxième jour, le maître vit revenir ses malades dans un pire état que celui où ils se trouvaient auparavant, sauf un qui, s’étant guéri au grand air, fut trouvé ivre en chantant dans les rues : « Noël au grand docteur Ulenspiegel ! »

LXIII

Les deux cents florins ayant couru la prétantaine, Ulenspiegel vint à Vienne, où il se loua à un charron qui gourmandait toujours ses ouvriers, parce qu’ils ne faisaient pas aller assez fort le soufflet de la forge :

– En mesure, criait-il toujours, suivez avec les soufflets !

Ulenspiegel, un jour que le baes allait au jardin, détache le soufflet, l’emporte sur ses épaules, suit son maître. Celui-ci s’étonnant de le voir si étrangement chargé, Ulenspiegel lui dit :

Baes, vous m’avez commandé de suivre avec les soufflets, où faut-il que je dépose celui-ci pendant que j’irai chercher l’autre ?

– Cher garçon, répondit le baes, je ne t’ai pas dit cela, va remettre le soufflet à sa place.

Cependant il songeait à lui faire payer ce tour. Dès lors, il se leva tous les jours à minuit, éveilla ses ouvriers et les fit travailler. Les ouvriers lui dirent :

Baes, pourquoi nous éveilles-tu au milieu de la nuit ?

– C’est une habitude que j’ai, répondit le baes, de ne permettre à mes ouvriers de ne rester qu’une demi-nuit au lit pendant les sept premiers jours.

La nuit suivante, il éveilla encore à minuit ses ouvriers. Ulenspiegel, qui couchait au grenier, mit son lit sur son dos et ainsi chargé descendit dans la forge.

Le baes lui dit :

– Es-tu fou ? Que ne laisses-tu ton lit à sa place ?

– C’est une habitude que j’ai, répondit Ulenspiegel, de passer les sept premiers jours, la moitié de la nuit sur mon lit et l’autre moitié dessous.

– Eh bien, moi, répondit le maître, c’est une seconde habitude que j’ai de jeter à la rue mes effrontés ouvriers avec la permission de passer la première semaine sur le pavé et la seconde dessous.

– Dans votre cave, baes, si vous voulez, près des tonneaux de bruinbier, répondit Ulenspiegel.

LXIV

Ayant quitté le charron et s’en retournant en Flandre, il dut se donner à louage d’apprenti à un cordonnier qui restait plus volontiers dans la rue qu’à tenir l’alène en son ouvroir. Ulenspiegel, le voyant pour la centième fois prêt à sortir lui demanda comment il lui fallait couper le cuir des empeignes

– Coupes-en, répondit le baes, pour de grands et de moyens pieds, afin que tout ce qui mène le gros et le menu bétail puisse y entrer commodément.

– Ainsi sera-t-il fait, baes, répondit Ulenspiegel.

Quand le cordonnier fut sorti, Ulenspiegel coupa des empeignes bonnes seulement à chausser cavales, ânesses, génisses, truies et brebis.

De retour à l’ouvroir, le baes voyant son cuir en morceaux :

– Qu’as-tu fait là, gâcheur vaurien ? dit-il.

– Ce que vous m’avez dit, répondit Ulenspiegel.

– Je t’ai commandé, repartit le baes, de me tailler des souliers ou puisse entrer commodément tout ce qui mène les bœufs, les porcs, les moutons, et tu me fais de la chaussure au pied de ces animaux.

Ulenspiegel répondit :

Baes, qui donc mène le verrat, sinon la truie, l’âne sinon l’ânesse, le taureau sinon la génisse, le bélier sinon la brebis, en la saison où toutes bêtes sont amoureuses ?

Puis il s’en fut et dut rester dehors.

LXV

On était pour lors en avril, l’air avait été doux, puis il gela rudement et le ciel fut gris comme un ciel du jour des morts. La troisième année de bannissement d’Ulenspiegel était depuis longtemps écoulée et Nele attendait tous les jours son ami :

– Las ! disait-elle, il va neiger sur les poiriers, sur les jasmins en fleurs, sur toutes les pauvres plantes épanouies avec confiance à la tiède chaleur d’un précoce renouveau. Déjà de petits flocons tombent du ciel sur les chemins. Et il neige aussi sur mon pauvre cœur.

» Où sont-ils les clairs rayons se jouant sur les visages joyeux, sur les toits qu’ils faisaient plus rouges, sur les vitres qu’ils faisaient flambantes ? Où sont-ils, réchauffant la terre et le ciel, les oiseaux et les insectes ? Las ! maintenant, de nuit et de jour, je suis refroidie de tristesse et longue attente. Où es-tu, mon ami Ulenspiegel ? »

LXVI

Ulenspiegel, approchant de Renaix en Flandre, eut faim et soif, mais il ne voulait point geindre, et il essayait de faire rire les gens pour qu’on lui donnât du pain. Mais il riait mal toutefois, et les gens passaient sans rien donner.