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Tous ceux qui étaient présents crièrent :

– Pitié, messieurs ! miséricorde !

Mais Josse Grypstuiver ne cria point.

Le bailli fit signe aux assistants de se taire et dit que les placards contenaient la défense expresse de demander grâce pour les hérétiques ; mais que, si Claes voulait abjurer son erreur, il serait exécuté par la corde au lieu de l’être par le feu.

Et l’on disait dans le peuple :

– Feu ou corde, c’est mort.

Et les femmes pleuraient, et les hommes grondaient sourdement.

Claes dit alors :

– Je n’abjurerai point. Faites de mon corps ce qu’il plaira à votre miséricorde.

Le doyen de Renaix, Titelman, s’écria :

– Il est intolérable de voir une telle vermine d’hérétiques lever la tête devant leurs juges ; brûler leurs corps est une peine passagère, il faut sauver leurs âmes et les forcer par la torture à renier leurs erreurs, afin qu’ils ne donnent point au peuple le spectacle dangereux d’hérétiques mourant dans l’impénitence finale.

À ce propos, les femmes pleurèrent davantage et les hommes dirent :

– Où il y a aveu, il y a peine, et non torture.

Le tribunal décida que, la torture n’étant point prescrite par les ordonnances, il n’y avait pas lieu de la faire souffrir à Claes. Sommé encore une fois d’abjurer, il répondit :

– Je ne le puis.

Il fut, en vertu des placards, déclaré coupable de simonie, à cause de la vente des indulgences, hérétique, recéleur d’hérétiques, et, comme tel, condamné à être brûlé vif jusqu’à ce que mort s’ensuivît devant les bailles de la Maison commune.

Son corps serait laissé pendant deux jours attaché à l’estache pour servir d’exemple, et ensuite inhumé au lieu où le sont de coutume les corps des suppliciés.

Le tribunal accordait au dénonciateur Josse Grypstuiver qui ne fut point nommé, cinquante florins sur les cent premiers florins carolus de l’héritage, et le dixième sur le restant.

Ayant entendu cette sentence, Claes dit au doyen des poissonniers :

– Tu mourras de malemort, méchant homme, qui pour un denier fais une veuve d’une épouse heureuse, et d’un fils joyeux, un dolent orphelin !

Les juges avaient laissé parler Claes, car eux aussi, sauf Titelman, tenaient en grand mépris la dénonciation du doyen des poissonniers.

Et Claes fut ramené dans sa prison.

LXXIII

Le lendemain, qui était la veille du supplice de Claes, la sentence fut connue de Nele, d’Ulenspiegel et de Soetkin.

Ils demandèrent aux juges de pouvoir entrer dans la prison, ce qui leur fut accordé, mais non pas à Nele.

Quand ils entrèrent ils virent Claes attaché au mur avec une longue chaîne. Un petit feu de bois brûlait dans la cheminée, à cause de l’humidité. Car il est de par droit et loi, en Flandre, commandé d’être doux à ceux qui vont mourir, et de leur donner du pain, de la viande ou du fromage et du vin. Mais les avares geôliers contreviennent souvent à la loi, et il en est beaucoup qui mangent la plus grosse part et les meilleurs morceaux de la nourriture des pauvres prisonniers.

Claes embrassa en pleurant Ulenspiegel et Soetkin, mais il fut le premier qui eut les yeux secs, parce qu’il le voulait, étant homme et chef de famille.

Soetkin pleurait et Ulenspiegel disait :

– Je veux briser ces méchants fers.

Soetkin pleurait, disant :

– J’irai au roi Philippe, il fera grâce.

Claes répondit :

– Le roi hérite des biens des martyrs. Puis il ajouta :

– Femme et fils aimés, je m’en vais aller tristement de ce monde et douloureusement. Si j’ai quelque appréhension de souffrance pour mon corps, je suis bien marri aussi, songeant que, moi n’étant plus, vous deviendrez tous deux pauvres et misérables, car le roi vous prendra votre bien.

Ulenspiegel répondit parlant à voix basse :

– Nele sauva tout hier avec moi.

– J’en suis aise, repartit Claes ; le dénonciateur ne rira pas sur ma dépouille.

– Qu’il meure plutôt, dit Soetkin, l’œil haineux, sans pleurer.

Mais Claes, songeant aux carolus, dit :

– Tu fus subtil. Thylken mon mignon ; elle n’aura donc point faim en son vieil âge, Soetkin ma veuve.

Et Claes l’embrassait, la serrant fort contre sa poitrine, et elle pleurait davantage, songeant que bientôt elle perdrait sa douce protection.

Claes regardait Ulenspiegel et disait.

– Fils, tu péchas souvent courant les grands chemins, ainsi que font les mauvais garçons, il ne faut plus le faire, mon enfant, ni laisser seule au logis la veuve affligée, car tu lui dois défense et protection, toi le mâle.

– Père, je le ferai, dit Ulenspiegel.

– Ô mon pauvre homme ! disait Soetkin l’embrassant. Quel grand crime avons-nous commis ? Nous vivions à deux paisiblement d’une honnête et petite vie, nous aimant bien, Seigneur Dieu, tu le sais. Nous nous levions tôt pour travailler, et le soir, en te rendant grâces, nous mangions le pain de la journée. Je veux aller au roi et le déchirer de mes ongles. Seigneur Dieu, nous ne fûmes point coupables !

Le geôlier entra et dit qu’il fallait partir.

Soetkin demanda de rester. Claes sentait son pauvre visage brûler le sien, et les larmes de Soetkin, tombant à flots, mouiller ses joues, et tout son pauvre corps frissonnant et tressaillant en ses bras. Il demanda qu’elle restât près de lui.

Le geôlier dit encore qu’il fallait partir et ôta Soetkin des bras de Claes.

Claes dit à Ulenspiegel :

– Veille sur elle.

Celui-ci répondit qu’il le ferait. Et Ulenspiegel et Soetkin s’en furent à deux, le fils soutenant la mère.

LXXIV

Le lendemain, qui était le jour du supplice, les voisins vinrent, et par pitié enfermèrent ensemble, dans la maison de Katheline, Ulenspiegel, Soetkin et Nele.

Mais ils n’avaient point pensé qu’ils pouvaient de loin entendre les cris du patient, et par les fenêtres voir la flamme du bûcher.

Katheline rôdait par la ville, hochant la tête et disant :

– Faites un trou, l’âme veut sortir.

À neuf heures, Claes en son linge, les mains liées derrière le dos, fut mené hors de sa prison. Suivant la sentence, le bûcher était dressé dans la rue de Notre-Dame, autour d’un poteau planté devant les bailles de la Maison commune. Le bourreau et ses aides n’avaient pas encore fini d’empiler le bois.

Claes, au milieu de ses happe-chair, attendait patiemment que cette besogne fût faite, tandis que le prévôt à cheval, et les estafiers du bailliage, et les neuf lansquenets appelés de Bruges, pouvaient à grand’peine tenir en respect le peuple grondant.

Tous disaient que c’était cruauté de meurtrir ainsi en ses vieux jours injustement un pauvre bonhomme si doux, miséricordieux et vaillant au labeur.

Soudain ils se mirent à genoux et prièrent. Les cloches de Notre-Dame sonnaient pour les morts.

Katheline était aussi dans la foule de peuple, au premier rang, toute folle. Regardant Claes et le bûcher, elle disait hochant la tête :

– Le feu ! le feu ! Faites un trou : l’âme veut sortir.

Soetkin et Nele, entendant le son des cloches, se signèrent toutes deux. Mais Ulenspiegel ne le fit point, disant qu’il ne voulait point adorer Dieu à la façon des bourreaux. Et il courait dans la chaumine, cherchant à enfoncer les portes et à sauter par les fenêtres ; mais toutes étaient gardées.

Soudain Soetkin s’écria, en se cachant le visage dans son tablier :

– La fumée.

Les trois affligés virent en effet dans le ciel un grand tourbillon de fumée toute noire. C’était celle du bûcher sur lequel se trouvait Claes attaché à un poteau, et que le bourreau venait d’allumer en trois endroits au nom de Dieu le Père, de Dieu le Fils et de Dieu le Saint-Esprit.