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Et le chêne auquel Nele et Ulenspiegel s’étaient accrochés roulait dans le tourbillon, et Ulenspiegel disait à Nele :

– Mignonne, nous allons mourir.

Un esprit les entendit et vit qu’ils étaient mortels :

– Des hommes, cria-t-il, des hommes en ce lieu !

Et il les arracha de l’arbre et les jeta dans la foule.

Et Ulenspiegel et Nele tombèrent mollement sur le dos des esprits, lesquels se les renvoyaient les uns aux autres disant :

– Salut aux hommes ! bienvenus les vers de terre ! Qui veut du garçonnet et de la fillette ? Ils nous viennent faire visite, les chétifs.

Et Ulenspiegel et Nele volaient de l’un à l’autre criant :

– Grâce !

Mais les esprits ne les entendaient point, et tous deux voltigeaient, les jambes en l’air, la tête en bas, tournoyant comme des plumes au vent d’hiver, pendant que les esprits disaient :

– Gloire aux hommelets et aux femmelettes, qu’ils dansent comme nous !

Les filles-fleurs, voulant séparer Nele d’Ulenspiegel, la frappaient et l’eussent tuée, si le roi Printemps, d’un geste arrêtant la danse, n’eût crié :

– Qu’on amène devant moi ces deux poux !

Et ils furent séparés l’un de l’autre ; et chaque fille-fleur disait en essayant d’arracher Ulenspiegel à ses rivales :

– Thyl, ne voudrais-tu mourir pour moi ?

– Je le ferai tantôt, répondit Ulenspiegel.

Et les nains esprits des bois qui portaient Nele disaient :

– Que n’es-tu âme comme nous, que nous te puissions prendre !

Nele répondait :

– Ayez patience.

Ils arrivèrent ainsi devant le trône du roi ; et ils tremblèrent fort en voyant sa hache d’or et sa couronne de fer.

Et il leur dit :

– Qu’êtes-vous venus faire ici, chétifs ?

Ils ne répondirent point.

– Je te connais, bourgeon de sorcière, ajouta le roi, et toi aussi, rejeton de charbonnier ; mais en étant venus à force de sortilèges à pénétrer en ce laboratoire de nature, pourquoi avez-vous maintenant le bec clos comme chapons empiffrés de mie ?

Nele tremblait en regardant le diable terrible ; mais Ulenspiegel, reprenant sa virile assurance, répondit :

– Les cendres de Claes battent sur mon cœur. Altesse divine, la mort va fauchant par la terre de Flandre, au nom du Pape, les plus forts hommes, les femmes les plus mignonnes ; ses privilèges sont brisés, ses chartes anéanties, la famine la ronge, ses tisserands et drapiers l’abandonnent pour aller chez l’étranger chercher le libre travail. Elle mourra tantôt si on ne lui vient en aide. Altesses, je ne suis qu’un pauvre petit bonhomme venu au monde comme un chacun, ayant vécu comme je le pouvais, imparfait, borné, ignorant, pas vertueux, point chaste ni digne d’aucune grâce humaine ni divine. Mais Soetkin mourut des suites de la torture et de son chagrin, mais Claes brûla dans un terrible feu, et je voulus les venger, et le fis une fois ; je voulais aussi voir plus heureux ce pauvre sol où sont semés ses os, et je demandai à Dieu la mort des persécuteurs, mais il ne m’écouta point. De plaintes las, je vous évoquai par la puissance du charme de Katheline, et nous venons, moi et ma tremblante compagne, à vos pieds, demander, Altesses divines, de sauver cette pauvre terre.

L’empereur et sa compagne répondirent ensemble :

Par la guerre et par le feu,

Par la mort et par le glaive,

Cherche les Sept.

Dans la mort et dans le sang,

Dans les ruines et les larmes,

Trouve les Sept.

Laids, cruels, méchants, difformes,

Vrais fléaux pour la pauvre terre,

Brûle les Sept.

Attends, entends et vois,

Dis-nous, chétif, n’es-tu bien aise ?

Trouve les Sept.

Et tous les esprits de chanter ensemble :

Dans la mort et dans le sang,

Dans les ruines et les larmes,

Trouve les Sept.

Attends, entends et vois

Dis-nous, chétif, n’es-tu bien aise ?

Trouve les Sept.

– Mais, dit Ulenspiegel, Altesse et vous, messieurs les esprits, je n’entends rien à votre langage. Vous vous gaussez de moi, sans doute.

Mais, sans l’écouter, ceux-ci dirent :

Quand le septentrion

Baisera le couchant,

Ce sera fin de ruines :

Trouve les Sept

Et la Ceinture.

Et cela avec un si grand ensemble et une si effrayante force de sonorité, que la terre trembla et que les cieux frémirent. Et les oiseaux sifflant, les hiboux hululant, les moineaux pépiant de peur, les orfraies se plaignant, voletaient éperdus. Et les animaux de la terre, lions, serpents, ours, cerfs, chevreuils, loups, chiens et chats mugissaient, sifflaient, bramaient, hurlaient aboyaient et miaulaient terriblement.

Et les esprits chantaient :

Attends, entends et vois,

Aime les Sept

Et la Ceinture.

Et les coqs chantèrent, et tous les esprits s’évanouirent sauf un méchant empereur des mines qui, prenant Ulenspiegel et Nele chacun par un bras, les lança dans le vide, sans douceur.

Ils se trouvèrent couchés l’un près de l’autre, comme pour dormir, et ils frissonnèrent au vent froid du matin.

Et Ulenspiegel vit le corps mignon de Nele tout doré à cause du soleil qui se levait.

LIVRE DEUXIEME

I

Ce matin-là, qui était de septembre, Ulenspiegel prit son bâton, trois florins que lui donna Katheline, un morceau de foie de porc, une tranche de pain et partit de Damme, vers Anvers, cherchant les Sept. Nele dormait.

Cheminant, il fut suivi d’un chien qui le vint flairer à cause du foie et lui sauta aux jambes. Ulenspiegel voulant le chasser et voyant que le chien s’obstinait à le suivre, lui tint ce discours :

– Chiennet, mon mignon, tu es mal avisé de quitter le logis où t’attendent de bonnes pâtées, d’exquis reliefs, des os pleins de moelle, pour suivre, sur le chemin d’aventure, un vagabond qui n’aura peut-être pas toujours des racines à te bailler pour te nourrir. Crois-moi, chiennet imprudent, retourne chez ton baes. Evite les pluies, neiges, grêles, bruines, brouillards, verglas et autres soupes maigres qui tombent sur le dos des vagabonds. Reste au coin de l’âtre, te chauffant, tourné en rond au feu gai ; laisse-moi marcher dans la boue, la poussière, le froid et le chaud, cuit aujourd’hui, gelé demain, repu le vendredi affamé le dimanche. Tu feras chose sensée si tu t’en revas d’où tu viens, chiennet de peu d’expérience.

L’animal ne paraissait pas du tout entendre Ulenspiegel. Remuant la queue et sautant de son mieux, il aboyait d’appétit. Ulenspiegel crut que c’était d’amitié, mais il ne songeait point au foie qu’il portait dans sa gibecière.

Il marcha, le chien le suivit. Ayant ainsi fait près d’une lieue ils virent sur la route un chariot attelé d’un âne portant la tête basse. Sur un talus au bord de la route était assis, entre deux bouquets de chardons, un gros homme tenant d’une main un manche de gigot qu’il rongeait, et de l’autre un flacon dont il humait le jus. Quand il ne mangeait ni ne buvait, il geignait et pleurait.

Ulenspiegel s’étant arrêté, le chien s’arrêta pareillement. Flairant le gigot et le foie, il gravit le talus. Là, se tenant sur son séant, près de l’homme, il lui grattait le pourpoint, afin d’avoir part au festin. Mais l’homme le repoussait du coude et tenant en l’air son manche de gigot, gémissait lamentablement.

Le chien l’imita par convoitise. L’âne, fâché d’être attelé au chariot et de ne pouvoir ainsi atteindre les chardons, se mit à braire.

– Que te faut-il, Jan, demanda l’homme à l’âne.

– Rien, répondit Ulenspiegel, sinon qu’il voudrait déjeuner de ces chardons qui fleurissent à vos côtés, comme au jubé de Tessenderloo à côté et au-dessus de monseigneur Christ. Ce chien ne serait pas non plus fâché de faire une épousaille de mâchoires avec l’os que vous tenez là. En attendant, je vais lui bailler le foie que j’ai ici.