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Le baes était tombé en extase de fureur. Bégayant de nature, il voulait parler vite ; plus il se pressait, plus il éternuait comme chien sortant de l’eau. Ulenspiegel lui jetait des boulettes de pain sur le nez. Et Lamme, s’animant davantage, continuait :

– Oui, j’ai de quoi payer ici tes trois poules maigres, tes quatre poulets galeux et ce grand niais de paon qui promène sa queue crottée dans ta basse-cour. Et si ta peau n’était pas plus sèche que celle d’un vieux coq, si tes os ne tombaient pas en poussière, j’aurais encore de quoi te manger, toi, ton valet morveux, ta servante borgne et ton cuisinier, qui, s’il avait la gale, aurait les bras trop courts pour se gratter.

Voyez-vous, poursuivait-il, voyez-vous ce bel oiseau qui, pour un demi-florin, nous veut ôter notre pourpoint et notre chemise ? Dis-moi ce que vaut ta garde-robe, loqueteux outrecuidant, et je t’en donne trois liards.

Mais le baes, entrant de plus en plus en colère, soufflait davantage.

Et Ulenspiegel lui lançait des boulettes sur la physionomie.

Lamme, comme un lion disait :

– Combien crois-tu, maigre trogne, que vaille un bel âne, au museau fin, aux oreilles longues, à la poitrine large, aux jarrets comme du fer ? dix-huit florins pour le moins, est-il vrai, baes marmiteux ? Combien as-tu de vieux clous dans tes coffres pour payer une si belle bête ?

Le baes soufflait davantage, mais il n’osait bouger.

Lamme disait :

– Combien crois-tu que vaille un beau chariot en bois de frêne peint en pourpre, tout garni par-dessus de toile de Courtrai contre le soleil et les averses ? Vingt-quatre florins pour le moins, hein ? Et combien font vingt-quatre florins et dix-huit florins ? Réponds, ladre peu calculateur. Et comme c’est jour de marché, et comme il y a des paysans en ta chétive hôtellerie, je vais les leur vendre tout de suite.

Ce qui fut fait, car tous connaissaient Lamme. Et de fait il eut de son âne et de son chariot quarante-quatre florins et dix patards. Alors, faisant sonner l’or sous le nez du baes, il lui disait :

– Y flaires-tu le fumet des ripailles à venir ?

– Oui, répondait l’hôte. Et il disait tout bas :

– Quand tu vendras ta peau, je l’achèterai un liard pour en faire une amulette contre la prodigalité.

Cependant une mignonne et gentille commère qui se tenait dans la cour obscure était venue souvent regarder Lamme par la fenêtre, et se retirait chaque fois qu’il pouvait voir son joli museau.

Le soir, sur l’escalier, comme il montait sans lumière, trébuchant à cause du vin qu’il avait bu, il sentit une femme qui l’enlaçait, le baisait sur la joue, sur la bouche, voire même sur le nez, goulûment et mouillant sa face de larmes amoureuses, puis le laissa.

Lamme, ensommeillé à cause de la boisson, se coucha, dormit, et le lendemain s’en fut à Gand avec Ulenspiegel.

XIII

Là, il chercha sa femme dans tous les kaberdoesjen, tafelhooren, musicos et tavernes. Le soir, il retrouvait Ulenspiegel In den zingende Zwaan, au Cygne chantant. Ulenspiegel allait partout où il pouvait, semant l’alarme et soulevant le peuple contre les bourreaux de la terre des pères.

Se trouvant au Marché du Vendredi, près de Dulle-Griet, le Grand-Canon, Ulenspiegel se coucha à plat ventre sur le pavé. Un charbonnier vint et lui dit :

– Que fais-tu là ?

– Je me mouille le nez pour savoir d’où vient le vent, répondit Ulenspiegel.

Un menuisier vint.

– Prends-tu, dit-il, le pavé pour un matelas ?

– Il en est qui le prendront bientôt pour couverture, répondit Ulenspiegel. Un moine s’arrêta.

– Que fait là ce veau ? demanda-t-il

– Il demande à plat ventre votre bénédiction, mon père, répondit Ulenspiegel. Le moine, la lui ayant donnée, s’en fut.

Ulenspiegel alors coucha l’oreille contre terre ; un paysan vint.

– Entends-tu du bruit là-dessous ? lui dit-il.

– Oui, répondit Ulenspiegel, j’écoute pousser le bois dont les fagots serviront à brûler les pauvres hérétiques.

– N’entends-tu plus rien ? lui dit un sergent de la commune.

– J’entends, dit Ulenspiegel, la gendarmerie qui vient d’Espagne ; si tu as quelque chose à garder, enterre-le, car bientôt les villes ne seront plus sûres à cause des voleurs.

– Il est fou, dit le sergent de la commune.

– Il est fou, répétèrent les bourgeois.

XIV

Cependant Lamme ne mangeait plus, songeant au rêve doux de l’escalier de la Blauwe Lanteern. Son cœur tirant vers Bruges, il fut, par Ulenspiegel, mené de force à Anvers, où il continua ses dolentes recherches.

Ulenspiegel étant dans les tavernes, au milieu de bons flamands réformés, voire même de catholiques amis de liberté, leur disait au sujet des placards : « Ils nous amènent l’Inquisition sous prétexte de nous purger d’hérésie, mais c’est à nos gibecières que servira cette rhubarbe. Nous n’aimons à être médicamentés que selon qu’il nous plaît ; nous nous fâcherons, révolterons et mettrons les armes à la main. Le roi le savait d’avance. Voyant que nous ne voulons point de la rhubarbe, il fera marcher les seringues, c’est-à-dire les grands et les petits canons, serpentins, fauconneaux et courtauds à grosse gueule. Lavement royal ! Il ne restera plus un riche Flamand dans la Flandre ainsi médicamentée. Heureux nos pays d’avoir un si royal médecin.

Mais les bourgeois riaient.

Ulenspiegel disait : « Riez aujourd’hui, mais fuyez ou armez vous le jour où l’on cassera quelque chose à Notre-Dame. »

XV

Le quinze août, le grand jour de Marie et de la bénédiction des herbes et racines, quand, repues de grains, les poules sont sourdes aux clairons du coq qui les prie d’amour, un grand crucifix de pierre fut brisé à l’une des portes d’Anvers par un Italien aux gages du cardinal Granvelle, et la procession de la Vierge, précédée des fous verts, jaunes et rouges, sortit de l’église de Notre-Dame.

Mais la statue de la Vierge, insultée en chemin par des hommes inconnus, fut replacée précipitamment dans le chœur de l’église, dont on ferma les grilles.

Ulenspiegel et Lamme entrèrent à Notre-Dame. De jeunes gars claquedents, guenillards et quelques hommes parmi eux, inconnus à un chacun, se tenaient devant le chœur, s’entrefaisant certains signes et grimaces. De leurs pieds et de leurs langues ils menaient grand tapage. Nul ne les avait vus à Anvers, nul ne les revit. L’un d’eux, à face d’oignon brûlé, demanda si Mieke, c’était Notre-Dame, avait eu peur qu’elle était rentrée précipitamment en l’église ?

– Ce n’est pas de toi qu’elle a eu peur, vilain moricaud, répondit Ulenspiegel.

Le jeune gars auquel il parlait marchait sur lui, pour le battre, mais Ulenspiegel, le serrant au collet :

– Si tu me frappes, dit-il, je te fais vomir ta langue.

Puis, se tournant vers quelques hommes d’Anvers qui étaient là : Signorkes et pagaders, dit-il montrant le jeune loqueteux, méfiez-vous, ce sont de faux Flamands, traîtres payés pour nous induire à mal, à misère et à ruine.

Puis, parlant aux malconnus :