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Ulenspiegel joignit les mains

– Le jambon, dit-il, est bonne viande ; la bruinbier, bière céleste, le gigot, chair divine ; un pâté qu’on éventre fait trembler de plaisir la langue dans la bouche ; une salade grasse est de princier humage. Mais béni sera celui auquel vous donnerez à souper de votre beauté.

– Voyez comme il dégoise, dit-elle. Mange d’abord, vaurien.

Ulenspiegel répondit :

– Ne dirons-nous point le benedicite avant les grâces ?

– Non, fit-elle.

Alors Lamme, geignant, dit :

– J’ai faim.

– Tu mangeras, dit la belle dame, puisque tu n’as d’autre souci que de viande cuite.

– Et fraîche pareillement, comme était ma femme, dit Lamme.

La coquassière devint maussade à ce propos. Toutefois ils mangèrent à grand planté et burent à tire-larigot. Et la dame donna encore cette nuit à souper à Ulenspiegel, et ainsi le lendemain et les jours suivants.

Les ânes avaient double picotin et Lamme double ration. Pendant une semaine, il ne quitta point la cuisine, et il jouait avec les plats, mais non avec la cuisinière, car il songeait à sa femme.

Cela fâcha la fillette, laquelle disait qu’il ne valait pas la peine d’encombrer le pauvre monde pour ne songer qu’à son ventre.

Dans l’entretemps, Ulenspiegel et la dame vivaient amicalement. Et elle lui dit un jour

– Thyl, tu n’as point de mœurs : qui es-tu ?

– Je suis, dit-il, un fils qu’Heureux Hasard eut un jour avec Bonne Aventure.

– Tu ne médis point de toi, dit-elle.

– C’est de peur que les autres ne me louent, répondit Ulenspiegel.

– Prendrais-tu la défense de tes frères qu’on persécute ?

– Les cendres de Claes battent sur ma poitrine, répondit Ulenspiegel.

– Comme te voilà beau, dit-elle. Qui est ce Claes ?

Ulenspiegel répondit :

– Mon père, brûlé pour la foi.

– Le comte de Meghem ne te ressemble point, dit-elle ; il veut faire saigner la patrie que j’aime, car je suis née à Anvers, la gracieuse ville. Sache donc qu’il s’est entendu avec le conseiller de Brabant, Scheyf, pour faire entrer à Anvers ses dix enseignes d’infanterie.

– Je le dénoncerai aux bourgeois, dit Ulenspiegel, et j’y vais de ce pas, leste comme un fantôme.

Il y alla, et le lendemain les bourgeois étaient en armes.

Toutefois, Ulenspiegel et Lamme, ayant mis leurs ânes chez un fermier de Simon Simonsen, durent se cacher de peur du comte de Meghem qui les faisait partout chercher pour les faire pendre, car on lui avait dit que deux hérétiques avaient bu de son vin et mangé de sa viande.

Il fut jaloux, le dit à sa belle dame qui grinça les dents de colère, pleura et se pâma dix-sept fois. La coquassière fit de même, mais non si souvent, et déclara sur sa part de Paradis et l’éternel salut de son âme qu’elle ni sa dame n’avaient rien fait, sinon de donner les reliefs du dîner à deux pauvres pèlerins qui, montés sur des ânes chétifs, s’étaient arrêtés à la fenêtre de la cuisine.

Et il fut ce jour-là répandu tant de pleurs que le plancher en était tout humide. Ce que voyant, messire de Meghem fut assuré qu’elles ne mentaient point.

Lamme n’osa plus se montrer chez M. de Meghem, car la cuisinière l’appelait toujours : Ma femme !

Et il était bien dolent, songeant à la nourriture ; mais Ulenspiegel lui apportait toujours quelque bon plat, car il entrait dans la maison par la rue Sainte-Catherine, et se cachait dans le grenier.

Le lendemain, à vêpres, le comte de Meghem confessa à la belle commère comme quoi il avait résolu de faire entrer à Bois-le-Duc avant le jour la gendarmerie qu’il commandait. Puis il s’endormit. La belle commère alla au grenier narrer le fait à Ulenspiegel.

XVIII

Ulenspiegel vêtu en pèlerin partit incontinent sans provisions ni argent pour Bois-le-Duc, afin de prévenir les bourgeois. Il comptait prendre en route un cheval chez Jeroen Praet, frère de Simon, pour lequel il avait des lettres du prince, et de là courir le grand trotton par les chemins de traverse jusqu’à Bois-le-Duc.

Traversant la chaussée, il vit venir une troupe de soudards. Il eut grand peur à cause des lettres.

Mais résolu de faire bon visage à malencontre, il attendit de pied ferme les soudards, et s’arrêta marmonnant ses patenôtres ; quand ils passèrent il marcha avec eux, et sut qu’ils allaient à Bois-le-Duc.

Une enseigne wallonne ouvrait la marche. En tête se trouvaient le capitaine Lamotte avec sa garde de six hallebardiers, puis, selon leur rang, l’enseigne avec une garde moindre, le prévôt, ses hallebardiers et ses deux happe-chair, le chef du guet, le garde-bagages, le bourreau et son aide, et fifres et tambourins menant grand tapage.

Puis venait une enseigne flamande de deux cents hommes, avec son capitaine, son porte-enseigne, et divisée en deux centuries commandées par les sergents de bande, principaux soudards, et en décuries commandées par les rot-meesters. Le prévôt et les stock-knechten, aides du bâton, étaient pareillement précédés de fifres et de tambourins qui battaient et glapissaient.

Derrière eux venaient, éclatant de rire, gazouillant comme fauvettes, chantant comme rossignols, mangeant, buvant, dansant, debout, couchées ou chevauchant, leurs compagnes, de belles et folles filles, dans deux chariots découverts.

D’aucunes étaient vêtues comme des lansquenets, mais de fine toile blanche, décolletée, déchiquetée aux bras, aux jambes, au pourpoint, laissant voir leurs chairs mignonnes, coiffées de bonnets de fin lin profilés d’or, surmontés de belles plumes d’autruche volant au vent. À leurs ceintures de toile d’or frisées de satin rouge pendaient les fourreaux de drap d’or de leurs poignards. Et leurs souliers, bas et hauts-de-chausses, leurs pourpoints, aiguillettes, ferrements, étaient d’or et de soie blanche.

D’autres étaient aussi vêtues landsknechtement, mais de bleu, de vert, d’écarlate, d’azur, de cramoisi, déchiquetés, brodés armoriés à leur fantaisie. Et toutes avaient au bras la rouelle de couleur indiquant leur métier.

Un hoer-wyfel, leur sergent, voulait les faire taire, mais par leurs mignonnes grimaces et paroles elles le forçaient de rire et ne lui obéissaient point.

Ulenspiegel, vêtu en pèlerin, marchait de conserve avec les deux enseignes, ainsi qu’un batelet à côté d’un grand navire. Et il marmonnait ses patenôtres.

Soudain Lamotte lui dit :

– Où t’en vas-tu, pèlerin ?

– Monsieur du capitaine, répondit Ulenspiegel, qui avait faim. Je fis jadis un grand péché et fus condamné par le chapitre de Notre-Dame à aller à Rome à pied demander pardon au Saint-Père, qui me l’octroya. Je revins lavé en ces pays sous condition de prêcher en route les Saints Mystères à tous et quelconques soudards que je rencontrerais, lesquels me doivent, pour mes sermons, bailler le pain et la viande. Et ainsi patrocinant je sustente ma pauvre vie. M’octroirez-vous permission de tenir mon vœu à la halte prochaine.

– Oui, dit messire de Lamotte.

Ulenspiegel, se mêlant aux Wallons et Flamands fraternellement, tâtait ses lettres sous son pourpoint.

Les filles lui criaient :

– Pèlerin, beau pèlerin, viens ici nous montrer la puissance de tes écailles.

Ulenspiegel s’approchant d’elles disait modestement :

– Mes sœurs en Dieu, ne vous gaussez point du pauvre pèlerin qui va par monts et par vaux prêcher la sainte foi aux soudards.

Et il mangeait des yeux leurs grâces mignonnes.

Mais les folles-filles, poussant entre les toiles des chariots leurs faces éveillées :