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Ulenspiegel résolut de savoir d’où provenaient les coups de marteau, les bras noirs et la mélancolie de Praet. Un soir après avoir été à la Blauwe Gans, la taverne de l’Oie bleue, en la compagnie de Simon qui y fut malgré lui, il feignit d’être si soûlé de boissons et d’avoir si fort la crapule en la tête qu’il la devait incontinent porter sur l’oreiller.

Et Praet le mena tristement au logis.

Ulenspiegel dormait au grenier, près des chats, le lit de Simon était en bas, près de la cave.

Ulenspiegel continuant sa feintise ivrogniale, monta trébuchant l’escalier, feignant de manquer de tomber et se tenant à la corde. Simon l’y aida avec de tendres soins, comme un frère. L’ayant couché, le plaignant de son ivresse, et priant Dieu de la lui vouloir pardonner, il descendit et bientôt Ulenspiegel entendit les mêmes coups de marteau qui l’avaient maintes fois réveillé.

Se levant sans bruit, il descendit à pieds nus les étroits degrés, si bien qu’après septante et deux il se trouva devant une porte basse, d’où filtrait par l’entre-bâillement un filet de lumière.

Simon imprimait des feuilles volantes sur d’antiques caractères du temps de Laurens Coster, grand propagateur du noble art d’imprimerie.

– Que fais-tu là ? demanda Ulenspiegel.

Simon lui répondit effrayé :

– Si tu es du diable, dénonce-moi, que je meure, mais si tu es de Dieu, que ta bouche soit la prison de ta langue.

– Je suis de Dieu, répondit Ulenspiegel, et ne te veux nul mal. Que fais-tu là ?

– J’imprime des Bibles, répondit Simon. Car si le jour, afin de faire vivre ma femme et mes enfants, je publie les cruels et méchants édits de Sa Majesté, la nuit je sème la vraie parole de Dieu, et répare ainsi le mal que je fis durant le jour.

– Tu es brave, dit Ulenspiegel.

– J’ai la foi, répondit Simon.

De fait, ce fut de cette sainte imprimerie que sortirent les Bibles en flamand qui se répandirent dans les pays de Brabant, de Flandre, Hollande, Zélande, Utrecht, Noord-Brabandt, Over-Yssel, Gelderland, jusques au jour où Simon fut condamné à avoir la tête tranchée, finissant ainsi sa vie pour Christ et la justice.

XX

Simon dit un jour à Ulenspiegel :

– Ecoute, frère, as-tu du courage ?

– J’en ai, répondit Ulenspiegel, ce qu’il faut pour fouetter un Espagnol jusqu’à ce que mort s’ensuive, pour tuer un assassin, pour détruire un meurtrier.

– Saurais-tu, demanda l’imprimeur, te tenir patiemment en une cheminée pour écouter ce qui se dit dans une chambre ?

Ulenspiegel répondit :

– Ayant, par la grâce de Dieu, reins forts et jarrets souples, je me pourrais tenir longtemps où je voudrais, comme un chat.

– As-tu patience et mémoire ? demanda Simon.

– Les cendres de Claes battent sur ma poitrine, répondit Ulenspiegel.

– Ecoute donc, dit l’imprimeur, tu prendras cette carte à jouer ainsi pliée, et tu iras à Dendermonde frapper, deux fois fort et une fois doucement, à la porte de la maison dont voici l’apparence dessinée. Quelqu’un t’ouvrira et te demandera si tu es le ramoneur, tu répondras que tu es maigre et que tu n’as point perdu la carte. Tu la lui montreras. Alors, Thyl, tu feras ce que dois. De grands malheurs planent sur la terre de Flandre. Il te sera montré une cheminée préparée et balayée à l’avance ; tu y trouveras de bons crampons pour tes pieds, et pour ton séant une petite planchette de bois fermement soutenue. Quand celui qui t’aura ouvert te dira de monter dans la cheminée, tu le feras, et là tu te tiendras coi. D’illustres seigneurs se réuniront en la chambre, devant la cheminée dans laquelle tu te trouveras. Ce sont Guillaume le Taiseux, prince d’Orange, les comtes d’Egmont, de Hoorn, de Hoogstraeten et Ludwig de Nassau, le frère vaillant du Taiseux. Nous, réformés, voulons savoir ce que Messeigneurs veulent et peuvent entreprendre pour sauver les pays.

Or, le premier avril, Ulenspiegel fit ce qui lui était dit, et se glissa dans la cheminée. Il fut satisfait de voir que nul feu n’y brûlait, et pensa que, n’ayant point de fumée, il aurait ainsi l’ouïe plus fine.

Bientôt la porte de la salle s’ouvrit, et il fut traversé d’outre en outre par un coup de vent. Mais il prit ce vent en patience, disant qu’il lui rafraîchirait l’attention.

Puis il entendit messeigneurs d’Orange, d’Egmont et les autres entrer dans la salle. Ils commencèrent à parler des craintes qu’ils avaient, de la colère du roi et de la mauvaise administration des deniers et finances. L’un d’eux parlait d’un ton âpre, hautain et clair, c’était d’Egmont. Ulenspiegel le reconnut, comme il reconnut d’Hoogstraeten, à sa voix enrouée ; de Hoorn, à sa grosse voix ; le comte Louis de Nassau, à son parler ferme et guerrier ; et le Taiseux, à ce qu’il prononçait lentement toutes ses paroles comme s’il les eût pesées chacune en une balance.

Le comte d’Egmont demanda pourquoi on les réunissait une seconde fois, tandis qu’à Hellegat ils avaient eu le loisir de décider ce qu’ils voulaient faire.

De Hoorn répondit :

– Les heures sont rapides, le roi se fâche, gardons-nous de temporiser.

Le Taiseux alors dit :

– Les pays sont en danger ; il faut les défendre contre l’attaque d’une armée étrangère.

D’Egmont répondit en s’emportant, qu’il trouvait étonnant que le roi son maître crût devoir y envoyer une armée, alors que tout était pacifié par les soins des seigneurs et notamment par les siens.

Mais le Taiseux :

– Philippe a aux Pays-Bas quatorze bandes d’ordonnance, dont tous les soudards sont dévoués à celui qui commanda à Gravelines et à Saint-Quentin.

– Je ne comprends pas, dit d’Egmont.

Le prince repartit :

– Je ne veux rien dire davantage, mais il va être fait lecture à vous et aux seigneurs réunis, de certaines lettres, celles du pauvre Montigny pour le commencement.

Dans ces lettres, messire de Montigny écrivait :

« Le roi est extrêmement fâché de ce qui est arrivé aux Pays-Bas, et il punira, à l’heure donnée, les fauteurs de troubles. »

Sur ce, le comte d’Egmont dit qu’il avait froid, et qu’il serait bon d’allumer un grand feu de bois. Cela fut fait pendant que les deux seigneurs causaient des lettres.

Le feu ne prit pas à cause du trop grand bouchon qui était dans la cheminée et la chambre fut pleine de fumée.

Le comte d’Hoogstraeten, lut alors, en toussant, les lettres interceptées d’Alava, ambassadeur d’Espagne, adressées à la Gouvernante.

« L’ambassadeur, dit-il, écrit que tout le mal arrive aux Pays-Bas l’est du fait des trois : savoir, messieurs d’Orange, d’Egmont et de Hoorn. Il faut, dit l’ambassadeur, montrer bon visage aux trois seigneurs et leur dire que le roi reconnaît tenir ces pays en son obéissance par leurs services. Quant aux deux seuls : Montigny et de Berghes, ils sont où ils doivent demeurer. »

– Ah ! disait Ulenspiegel, j’aime mieux une cheminée fumeuse au pays de Flandre, qu’une fraîche prison au pays d’Espagne ; car il y pousse des garrots entre les murs humides.

Le dit ambassadeur ajoute que le roi a dit en la ville de Madrid : « Par tout ce qui est arrivé aux Pays-Bas, notre royale réputation est amoindrie, le service de Dieu est avili, et nous exposerons tous nos autres pays plutôt que de laisser impunie une telle rébellion. Nous sommes décidés à aller en personne aux Pays-Bas et à requérir l’assistance du pape et de l’empereur. Sous le mal présent gît le bien futur. Nous réduirons les Pays-Bas sous notre absolue obéissance et y modifierons à notre guise état, religion et gouvernement. »

– Ah ! Philippe roi, se disait Ulenspiegel, si je pouvais, à ma mode, te modifier, tu subirais sous mon bâton flamand une grande modification de tes cuisses, bras et jambes ; je te mettrais la tête au milieu du dos avec deux clous pour voir si en cet état, regardant le cimetière que tu laisses derrière toi, tu chanterais à ta guise ta chanson de tyrannique modification.