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On apporta du vin. D’Hoogstraeten se leva et dit : « Je bois aux pays ! » Tous firent comme lui qui, posant son hanap vide sur la table, ajouta : « La male heure sonne pour la noblesse belgique. Il faut aviser aux moyens de se défendre. »

Attendant une réponse, il regarda d’Egmont qui ne sonna mot.

Mais le Taiseux parla :

– Nous résisterons, dit-il, si d’Egmont qui, à Saint-Quentin et à Gravelines, deux fois fit trembler la France, qui a toute autorité sur les soudards flamands, veut nous venir à la rescousse et empêcher l’Espagnol d’entrer en nos pays.

Messire d’Egmont répondit :

– J’ai trop respectueuse opinion du roi pour croire qu’il nous faille nous armer en rebelles contre lui. Que ceux qui craignent sa colère se retirent. Je demeurerai, n’ayant nul moyen de vivre sans son secours.

– Philippe peut se venger cruellement, dit le Taiseux.

– J’ai confiance, répondit d’Egmont.

– La tête y comprise ? demanda Ludwig de Nassau.

– Y compris, répondit d’Egmont, tête, corps et dévouement, qui sont à lui.

– Amé et féal, je ferai comme toi, dit de Hoorn.

Le Taiseux dit :

– Il faut prévoir et ne point attendre.

Lors, messire d’Egmont parlant violemment :

– J’ai, dit-il, fait pendre à Grammont vingt-deux réformés. Si les prêches cessent, si l’on punit les abatteurs d’images, la colère du roi s’apaisera.

Le Taiseux répondit :

– Il est des espérances incertaines.

– Armons-nous de confiance, dit d’Egmont.

– Armons-nous de confiance, dit de Hoorn.

– C’est de fer qu’il faut s’armer et non de confiance, repartit d’Hoogstraeten.

Sur ce, le Taiseux fit signe qu’il voulait partir

– Adieu, prince sans terre, dit d’Egmont

– Adieu, comte sans tête, répondit le Taiseux.

Ludwig de Nassau dit alors :

– Le boucher est pour le mouton et la gloire pour le soldat sauveur de la terre des pères !

– Je ne le puis, ni ne le veux, dit d’Egmont.

– Sang des victimes, dit Ulenspiegel, retombe sur la tête du courtisan !

Les seigneurs se retirèrent.

Ulenspiegel alors descendit de sa cheminée et alla incontinent apporter les nouvelles à Praet. Celui-ci dit : « D’Egmont est traître, Dieu est avec le prince. »

– Le duc ! le duc à Bruxelles ! Où sont les coffres-forts qui ont des ailes ?

LIVRE TROISIÈME

I

Il s’en va, le Taiseux, Dieu le mène.

Les deux comtes sont déjà pris, d’Albe promet au Taiseux douceur et pardon s’il comparaît devant lui.

À cette nouvelle, Ulenspiegel dit à Lamme :

– Heuque de m’amie, le duc fait ajourner à comparaître devant lui, à l’instance de Dubois, procureur général, en trois fois quatorze jours, le prince d’Orange, Ludwig son frère, d’Hoogstraeten, Van den Bergh, Culembourg, de Brederode et autres amis du prince, leur promettant bonne justice et miséricorde. Ecoute Lamme : Un jour, un juif d’Amsterdam ajourna un de ses ennemis à descendre dans la rue ; l’ajourneur était sur le pavé et l’ajourné à une fenêtre. « Descends donc, disait l’ajourneur à l’ajourné, et je te donnerai un tel coup de poing sur la tête qu’elle entrera dans ta poitrine, et que tu regarderas à travers tes côtes comme un voleur à travers les grilles de sa prison. » L’ajourné répondit : « Quand tu me promettrais cent fois davantage, je ne descendrais pas encore. » Ainsi puissent répondre d’Orange et les autres.

Et ils le firent, refusant de comparaître. D’Egmont et de Hoorn ne les imitèrent point. Et la faiblesse dans le devoir appelle l’heure de Dieu.

II

En ce temps-là furent décapités sur le Marché aux Chevaux, à Bruxelles, les sires d’Andelot, les enfants de Battembourg et autres illustres et vaillants seigneurs, lesquels avaient voulu s’emparer par surprise d’Amsterdam.

Et tandis qu’ils allaient au supplice, étant dix-huit et chantant des hymnes, les tambourins battaient devant et derrière, tout le long du chemin.

Et les soudards espagnols les escortant et portant torches flambantes, leur en brûlaient le corps en tous endroits. Et quand ils se mouvaient a cause de la douleur, les soudards disaient : « Comment, luthériens, cela vous fait-il donc mal d’être brûlés si tôt ? »

Et celui qui les avait trahis avait nom Dierick Slosse, lequel les mena à Enckhuysc, encore catholique, pour les livrer aux happe-chair du duc.

Et ils moururent vaillamment.

Et le roi hérita.

III

– L’as-tu vu passer ? dit Ulenspiegel vêtu en bûcheron. Lamme pareillement accoutré. As-tu vu le vilain duc avec son front plat au-dessus comme celui de l’aigle, et sa longue barbe qui est comme tout de corde pendant à une potence ? Que Dieu l’en étrangle ! Tu l’as vue cette araignée avec ses longues pattes velues que Satan, en son vomissement, cracha sur nos pays ? Viens, Lamme, viens ; nous allons jeter des pierres dans la toile…

– Las ! dit Lamme, nous serons brûlés tout vifs.

– Viens à Groenendael, mon ami cher, viens à Groenendael là est un beau cloître où Sa Ducalité Arachnéenne va prier le Dieu de paix de lui laisser parfaire son œuvre qui est d’ébattre ses noirs esprits dans les charognes. Nous sommes en carême, et ce n’est que de sang que ne veut point jeûner Sa Ducalité. Viens, Lamme, il y a cinq cents cavaliers armés autour de la maison d’Ohain ; trois cents piétons sont partis par petites troupes et entrent dans la forêt de Soignes.

« Tantôt, quand d’Albe fera ses dévotions, nous lui courrons sus et, l’ayant pris, le mettrons dans une belle cage de fer et l’enverrons au prince. »

Mais Lamme, frissant d’angoisse :

– Grand danger, mon fils, dit-il à Ulenspiegel. Grand danger ! Je te suivrais en cette entreprise si mes jambes n’étaient si faibles, si ma bedaine n’était si gonflée à cause de l’aigre bière qu’ils boivent en cette ville de Bruxelles.

Ces propos se tenaient en un trou du bois creusé dans la terre, au milieu du fourré. Soudain, regardant à travers les feuilles comme hors d’un terrier, ils virent les habits jaunes et rouges des soudards du duc dont les armes brillaient au soleil et qui allaient à pied dans le bois.

– Nous sommes trahis, dit Ulenspiegel.

Quand il ne vit plus les soudards, il courut le grand trotton jusques à Ohain. Les soudards le laissèrent passer sans être remarqué, à cause de son costume de bûcheron et de la charge de bois qu’il portait sur le dos. Là, il trouva les cavaliers attendant ; il sema la nouvelle, tous se dispersèrent et s’échappèrent sauf le sire de Beausart d’Armentières qui fut pris. Quant aux piétons qui venaient de Bruxelles, on n’en put trouver un seul.

Et ce fut un lâche traître du régiment du sieur de Likes qui les trahit tous.

Le sire de Beausart paya cruellement pour les autres.

Ulenspiegel alla, le cœur battant d’angoisse, voir au Marché aux Bêtes, à Bruxelles, son cruel supplice.

Et le pauvre d’Armentières, mis sur la roue, reçut trente-sept coups de barre de fer sur les jambes, sur les bras, les pieds et les mains, qui furent mis en pièces tour à tour, car les bourreaux le voulaient voir souffrir cruellement.

Et il reçut sur la poitrine le trente-septième, dont il mourut.