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– Monseigneur, répondit Ulenspiegel, si l’on me donnait premièrement les trente florins, je supporterais les coups de bois vert avec patience.

– Oui, oui, gémissait Lamme Goedzak, donnez-lui d’abord les trente florins, il supportera le reste avec patience.

– Et puis, disait Ulenspiegel, ayant l’âme nette, je n’ai nul besoin d’être lavé de chêne ni rincé de cornouiller.

– Oui, gémissait derechef Lamme Goedzak, Ulenspiegel n’a point besoin d’être lave ni rincé. Il a l’âme nette. Ne le lavez point, messeigneurs, ne le lavez point.

Ulenspiegel ayant reçu les trente florins, il fut par le prévôt ordonné au stock-meester, aide-maître de bâton, de se saisir de lui.

– Voyez, messeigneurs, disait Lamme, comme sa mine est piteuse. Il n’aime du tout le bois, mon ami Ulenspiegel.

– J’aime, repartit Ulenspiegel, à voir un beau frêne bien feuillu, croissant au soleil en sa native verdeur ; mais je hais à la mort ces laids bâtons de bois saignant encore leur sève, débranchés, sans feuilles ni ramilles, d’aspect farouche et de dure accointance.

– Es-tu prêt ? demanda le prévôt.

– Prêt, répéta Ulenspiegel, prêt à quoi ? À être battu ? Non, je ne le suis point et ne le veux être, monsieur du stock-meester. Votre barbe est rousse et votre air est redoutable ; mais, j’en suis assuré, vous avez le cœur doux et n’aimez point d’éreinter un pauvre homme tel que moi. Je dois vous le dire, je n’aime à le faire ni à le voir ; car le dos d’un chrétien est un temple sacré qui, pareillement à la poitrine, renferme les poumons par lesquels nous respirons l’air du bon Dieu. De quels cuisants remords ne seriez-vous point rongé si un brutal coup de bâton allait me les mettre en pièces.

– Hâte-toi, dit le stock-meester.

– Monseigneur, dit Ulenspiegel, parlant au prince, rien ne presse, croyez-moi ; il faudrait d’abord faire sécher ce bâton, car on dit que le bois vert entrant dans la chair vive lui communique un venin mortel. Votre Altesse voudrait-elle me voir mourir de cette laide mort ? Monseigneur, je tiens mon dos fidèle au service de Votre Altesse ; faites-le frapper de verges, cingler du fouet ; mais, si vous ne voulez me voir mort, épargnez-moi, s’il vous plaît, le bois vert.

– Prince, faites-lui grâce, dirent ensemble, messire de Hoogstraeten et Diederich de Schoonenbergh. Les autres souriaient miséricordieusement.

Lamme aussi disait :

– Monseigneur, monseigneur, faites grâce ; le bois vert, c’est pur poison.

Le prince alors dit :

– Je fais grâce.

Ulenspiegel, sautant en l’air plusieurs fois, frappa sur la bedaine de Lamme et le forçant à danser, dit :

– Loue avec moi monseigneur, qui m’a sauvé du bois vert.

Et Lamme essayait de danser, mais ne le pouvait à cause de sa bedaine.

Et Ulenspiegel lui paya à manger et à boire.

XII

Ne voulant point livrer bataille, le duc sans trève harcelait le Taiseux vaquant par le plat pays entre Juliers et la Meuse, faisant sonder partout le fleuve à Hondt, Mechelen, Elsen, Meersen, et partout le trouvant rempli de chausse-trapes, pour blesser hommes et chevaux voulant passer à gué.

À Stockem, les sondeurs n’en trouvèrent point. Le prince ordonna le passage. Des reiters traversèrent la Meuse et se tinrent en ordre de bataille sur l’autre bord, afin de protéger le passage du côté de l’évêché de Liége ; puis s’alignèrent d’un bord à l’autre, rompant ainsi le cours du fleuve, dix rangs d’archers et d’arquebusiers, emmi lesquels se trouvait Ulenspiegel.

Il y eut de l’eau jusqu’aux cuisses, souventes fois quelque vaque traîtresse le soulevait, lui et son cheval.

Il vit passer les soudards piétons portant un sachet de poudre sur leur couvre-chef et en l’air leurs arquebuses, puis venaient les chariots, hacquebutes à croc, soudards de manœuvre, boutefeux, couleuvrines, doubles-couleuvrines, faucons, fauconneaux, serpentins, demi-serpentins, doubles-serpentines, courtauds, doubles-courtauds, canons, demi-canons, doubles-canons ; sacres, petites pièces de campagne montées sur avant-trains, conduites par deux chevaux, pouvant manœuvrer au galop et en tout point semblables à celles qui furent nommées les Pistolets de l’empereur ; derrière eux, protégeant la queue, des landsknechts et des reiters de Flandre.

Ulenspiegel chercha quelque boisson réchauffante. L’archer Riesencraft, Haut-Allemand, homme maigre, cruel et gigantal, ronflait à côté de lui sur son destrier, et, soufflant, embaumait le brandevin. Ulenspiegel, cherchant un flacon sur la croupe de son cheval, le trouva passé en baudrier au moyen d’une cordelette qu’il coupa ; et il prit le flacon, le huma joyeusement. Les archers compagnons lui dirent :

– Baille-nous-en.

Ce qu’il fit. Le brandevin étant bu, il noua la cordelette du flacon et le voulut remettre sur la poitrine du soudard. Comme il levait le bras pour le passer, Riesencraft se réveilla. Prenant le flacon, il voulut traire sa vache accoutumée. Trouvant qu’elle ne donnait plus de lait, il entra dans une grande colère :

– Larron, dit-il, qu’as-tu fait de mon brandevin ?

Ulenspiegel répondit :

– Je l’ai bu. Entre cavaliers trempés, le brandevin d’un seul est le brandevin de tous. Méchant est le ladre.

– Demain je taillerai ta viande en champ clos, reprit Riesencraft.

– Nous nous taillerons, répondit Ulenspiegel, têtes, bras, jambes et tout. Mais n’es-tu constipé, que tu as la trogne si aigre ?

– Je le suis, répondit Riesencraft.

– Il faut donc, repartit Ulenspiegel, te purger et non te battre.

Il fut convenu entre eux qu’ils se rencontreraient le lendemain, montés et accoutrés chacun à sa fantaisie et s’entretailleraient leur lard avec un court et raide estoc.

Ulenspiegel demanda de remplacer pour lui l’estoc par un bâton, ce qui lui fut permis.

Dans l’entre-temps, tous les soudards ayant passé le fleuve et se mettant en bon ordre à la voix des colonels et capitaines, les dix rangs d’archers passèrent également.

Et le Taiseux dit :

– Marchons sur Liége !

Ulenspiegel en fut joyeux, et avec tous les Flamands s’exclama :

– Longue vie à d’Orange, marchons sur Liége !

Mais les étrangers, et notamment les Hauts-Allemands, dirent qu’ils étaient trop lavés et rincés pour marcher. Vainement le prince les assura qu’ils allaient à une sûre victoire, en une ville amie, ils ne voulurent rien entendre, allumèrent de grands feux et se chauffèrent devant, avec leurs chevaux déharnachés.

L’attaque de la ville fut remise au lendemain où d’Albe, grandement ébahi du hardi passage, apprit, par ses espions, que les soudards du Taiseux n’étaient point encore prêts à l’attaque.

Sur ce, il fit menacer Liége et tout le pays d’alentour de les mettre à feu et à sang, si les amis du prince y faisaient quelque mouvement. Gérard de Groesbeke, le happe-chair épiscopal, fit armer ses soudards contre le prince qui arriva trop tard, par la faute des Hauts-Allemands, qui avaient eu peur d’un peu d’eau dans leurs chausses.

XIII

Ulenspiegel et Riesencraft ayant pris des seconds, ceux-ci dirent que les deux soudards se battraient à pied jusqu’à ce que mort s’ensuivît, s’il plaisait au vainqueur, car telles étaient les conditions de Riesencraft.

Le lieu du combat était une petite bruyère.

Des le matin, Riesencraft se vêtit de son costume d’archer. Il mit la salade à gorgerin, sans visière, et une chemise de mailles sans manches. L’autre chemise s’en allant par morceaux, il la plaça dans sa salade pour en faire au besoin de la charpie. Il se munit de l’arbalète de bon bois des Ardennes, d’une trousse de trente flèches, d’une dague longue, mais non d’une épée a deux mains, qui est épée d’archer. Et il vint au champ de combat monté sur son destrier, portant sa selle de guerre et le chanfrein de plumes, et tout bardé de fer.