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Et ils menaient noces et festins à cause du grand bénéfice.

Ulenspiegel et Joos Lansaem, assis en un coin, convinrent en buvant et sans être entendus, que Joos irait chez le curé de l’église, bon pasteur, fâché contre Spelle, le meurtrier d’innocents. Après cela il irait chez ses amis.

Le lendemain Joos Lansaem et les amis de Michielkin étant avertis, quittèrent la Blauwe Gans, où ils chopinaient comme de coutume et afin de cacher leurs desseins, sortirent au couvre-feu par différents chemins, vinrent à la chaussée d’Everghem. Ils étaient dix-sept.

À dix heures, Spelle sortit du Faucon, suivi de ses deux happe-chair et de Pieter de Roose. Lansaem et les siens s’étaient cachés dans la grange de Samson Bœne, ami de Michielkin. La porte de la grange était ouverte. Spelle ne les vit point.

Ils l’entendirent passer, brimballant de boisson ainsi que Pieter de Roose et ses deux happe-chair, et disant, d’une voix pâteuse avec force hoquets :

– Prévôts ! prévôts ! la vie leur est bonne en ce monde ; soutenez-moi, pendards qui vivez de mes restes.

Soudain furent ouïs, sur la chaussée, du côté de la campagne, le braire d’un âne et le claquement du fouet.

– Voilà, dit Spelle, un baudet bien rétif, qui ne veut pas avancer malgré ce bel avertissement.

Soudain on entendit un grand bruit de roues et un chariot bondissant qui venait du haut bout de la chaussée.

– Arrêtez-le, s’écria Spelle.

Comme le chariot passait vis-à-vis d’eux, Spelle et ses deux happe-chair se jetèrent à la tête de l’âne.

– Ce chariot est vide, dit l’un des happe-chair.

– Lourdaud, dit Spelle, les chariots vides courent-ils la nuit, tout seuls ? Il y a dans ce chariot quelqu’un qui se cache ; allumez les lanternes, élevez-les, j’y vais voir.

Les lanternes furent allumées et Spelle monta sur le chariot, tenant la sienne ; mais à peine eut-il regardé qu’il poussa un grand cri, et, tombant en arrière, dit :

– Michielkin ! Michielkin ! Jésus, ayez pitié de moi !

Alors se leva, du fond du chariot, un homme vêtu de blanc comme les pâtissiers et tenant dans ses deux mains des pieds sanglants.

Pieter de Roose, en voyant l’homme se lever, éclairé par les lanternes, cria avec les deux happe-chair :

– Michielkin ! Michielkin, le trépassé ! Seigneur, ayez pitié de nous !

Les dix-sept vinrent au bruit pour considérer le spectacle et furent effrayés de voir, à la lueur de la lune claire, combien était ressemblante l’image de Michielkin, le pauvre défunt.

Et le fantôme agitait ses pieds sanglants.

C’était son même plein et rond visage, mais pâli par la mort, menaçant, livide et rongé de vers sous le menton.

Le fantôme agitant toujours ses pieds sanglants, dit à Spelle qui gémissait, couché sur le dos :

– Spelle, prévôt Spelle, éveille-toi !

Mais Spelle ne bougeait point.

– Spelle, dit derechef le fantôme, prévôt Spelle, éveille-toi ou je te fais descendre avec moi dans la gueule du béant enfer.

Spelle se leva et, les cheveux tout droits de peur, cria douloureusement :

– Michielkin ! Michielkin, aie pitié !

Cependant les bourgeois s’étaient approchés, mais Spelle ne voyait rien que les lanternes qu’il prenait pour des yeux de diables. Il l’avoua ainsi plus tard.

– Spelle, dit le fantôme de Michielkin, es-tu prêt à mourir ?

– Non, répondit le prévôt, non, messire Michielkin, je n’y suis point préparé, et ne veux paraître devant Dieu l’âme toute noire de péchés.

– Tu me reconnais ? dit le fantôme.

– Que Dieu me soit en aide, dit Spelle ; oui, je vous reconnais ; vous êtes le fantôme de Michielkin, le pâtissier qui mourut, innocent, en son lit, des suites de torture, et les deux pieds saignants sont ceux à chacun desquels je fis pendre un poids de cinquante livres. Ha ! Michielkin, pardonnez-moi, ce Pieter de Roose était si tentant ; il m’offrait cinquante florins, que je reçus, pour mettre votre nom sur le registre.

– Tu veux te confesser ? dit le fantôme.

– Oui, messire, je veux me confesser, tout dire et faire pénitence. Mais daignez écarter ces démons qui sont là, prêts à me dévorer. Je dirai tout. Ôtez ces yeux de feu ! J’ai fait de même à Tournay, à l’égard de cinq bourgeois ; de même à Bruges, à quatre. Je ne sais plus leurs noms, mais je vous les dirai si vous l’exigez ; ailleurs aussi j’ai péché, seigneur, et, de mon fait, soixante-neuf innocents sont dans la fosse. Michielkin, il fallait de l’argent au roi. On me l’avait fait savoir, mais il m’en fallait pareillement ; il est à Gand, dans la cave, sous le pavement, chez la vieille Grovels, ma vraie mère. J’ai tout dit, tout, grâce et merci. Ôtez les diables. Dieu Seigneur, vierge Marie, Jésus, intercédez pour moi ; éloignez les feux de l’enfer ; je vendrai tout, je donnerai tout aux pauvres et je ferai pénitence.

Ulenspiegel, voyant que la foule des bourgeois était prête à le soutenir, sauta du chariot à la gorge de Spelle et le voulut étrangler.

Mais le curé vint.

– Laissez-le vivre, dit-il ; mieux vaut qu’il meure de la corde du bourreau que des doigts d’un fantôme.

– Qu’allez-vous en faire ? demanda Ulenspiegel.

– L’accuser devant le duc et le faire pendre, répondit le curé. Mais qui es-tu ? demanda-t-il.

– Je suis, répondit Ulenspiegel, le masque de Michielkin et le personnage d’un pauvre renard flamand qui va rentrer au terroir de peur des chasseurs espagnols.

Dans l’entre-temps, Pieter de Roose s’enfuyait à toutes jambes.

Et Spelle ayant été pendu, ses biens furent confisqués.

Et le roi hérita.

XXXIII

Le lendemain, Ulenspiegel marcha sur Courtray en longeant la Lys, la claire rivière.

Lamme cheminait piteusement.

Ulenspiegel lui dit :

– Tu geins, lâche cœur regrettant la femme qui te fit porter la couronne cornue du cocuage.

– Mon fils, dit Lamme, elle me fut toujours fidèle, m’aimant assez comme je l’aimais trop, moi, mon doux Jésus. Un jour, étant allée à Bruges, elle en revint changée. Dès lors, quand je la priais d’amour, elle me disait :

– Il me faut vivre avec toi comme amie, non autrement.

Alors, triste en mon cœur :

– Mignonne aimée, disais-je, nous fûmes mariés devant Dieu. Ne fis-je point pour toi tout ce que tu voulais ? Ne m’accoutrai-je point maintes fois d’un pourpoint de toile noire et d’un manteau de futaine afin de te voir, malgré les royales ordonnances, vêtue de soie et de brocart ? Mignonne, ne m’aimerais-tu plus ?

– Je t’aime, disait-elle, selon Dieu et ses lois, selon les saintes discipline et pénitence. Toutefois, je te serai vertueuse compagne.

– Il ne me chault de ta vertu, répondais-je ; c’est toi que je veux, toi ma femme.

Hochant la tête :

– Je te sais bon, disait-elle ; tu fus jusqu’aujourd’hui cuisinier au logis pour m’épargner les labeurs de fricassées ; tu repassas nos draps, fraises et chemises, les fers étant trop lourds pour moi ; tu lavas notre linge, balayas la maison et la rue devant la porte, afin de m’épargner toute fatigue. Je veux maintenant besogner à ta place, mais rien de plus, mon homme.

– Ce m’est tout un, répondais-je ; je serai, comme par le passé, ta dame d’atours, ta repasseuse, ta cuisinière, ta lavandière, ton esclave à toi, soumis ; mais, femme, ne sépare point ces deux cœurs et corps qui ne firent qu’un ; ne romps point ce doux lien d’amour qui nous serrait si tendrement.