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– Laisse-moi en repos, dit Lamme ; je me moque de toi, des vierpannen, de la Tour-sans-Clous et des autres balivernes. Laisse-moi à mes sauces.

– Gare-toi, lui dit Ulenspiegel. Les aboiements ne cessent de retentir, ils deviennent plus forts ; les chiens hurlent, le clairon sonne. Prends garde au cerf. Tu fuis. Le clairon sonne.

– C’est la curée, dit le vieil homme ; reviens, Lamme, auprès de tes fricassées, le cerf est mort.

– Ce nous sera un bon repas, dit Lamme. Vous m’inviterez au festin, à cause des peines que je me donne pour vous. La sauce des oiseaux sera bonne ; elle croque un peu toutefois. C’est le sable sur lequel ils sont tombés quand ce grand diable de cerf me déchira le pourpoint et la viande tout ensemble. Mais ne craignez-vous point les forestiers ?

– Nous sommes trop nombreux, dit le vieil homme, ils ont peur et ne nous inquiètent point. Il en est de même des happe-chair et des juges. Les habitants des villes nous aiment, car nous ne faisons point de mal. Nous vivrons encore quelque temps en paix, à moins que l’armée espagnole ne nous enveloppe. Si cela arrive, hommes vieux et jeunes, femmes, filles, garçonnets et fillettes, nous vendrons chèrement notre vie et nous entretuerons plutôt que de souffrir mille martyres sous la main du duc de sang.

Ulenspiegel dit :

– Il n’est plus temps de combattre sur terre le bourreau. C’est sur la mer qu’il faut ruiner sa puissance. Allez du côté des îles de Zélande, par Bruges, Heyst et Knocke.

– Nous n’avons point d’argent, dirent-ils.

Ulenspiegel répondit :

– Voici mille carolus de la part du prince. Longez les cours d’eau, canaux, fleuves ou rivières ; quand vous verrez des navires portant le signe J-H-S, que l’un de vous chante comme l’alouette. Le clairon du coq lui répondra. Et vous serez en pays ami.

– Nous le ferons, dirent-ils.

Bientôt les chasseurs, suivis des chiens, parurent traînant par des cordes le cerf mort.

Tous alors s’assirent en rond autour du feu. Ils étaient bien soixante hommes, femmes et enfants. Le pain fut tiré des gibecières, les couteaux des gaines ; le cerf dépecé, dépouillé, vidé mis à la broche avec du menu gibier. Et, à la fin du repas Lamme fut vu ronflant, la tête penchée sur la poitrine et dormant adossé à un arbre.

Au soir tombé, les Frères du bois rentrèrent dans des huttes sous la terre pour dormir, ce que firent aussi Lamme et Ulenspiegel.

Des hommes armés veillaient, gardant le camp. Et Ulenspiegel entendait gémir sous leurs pieds les feuilles sèches.

Le lendemain il s’en fut avec Lamme, tandis que ceux du camp lui disaient :

– Béni sois-tu ; nous irons vers la mer.

XXV

À Harlebeke, Lamme renouvela sa provision de oliekoekjes, en mangea vingt-sept et en mit trente dans son panier. Ulenspiegel portait ses cages à la main. Vers le soir, ils arrivèrent à Courtrai et descendirent à l’auberge de In de Bie, à l’Abeille, chez Gillis Van den Ende, qui vint à sa porte aussitôt qu’il entendit chanter comme l’alouette.

Là, ce fut tout sucre et tout miel. L’hôte, ayant vu les lettres du prince, remit cinquante carolus à Ulenspiegel pour le prince et ne voulut point être paye de la dinde qu’il leur servit ni de la dobbel-clauwaert dont il l’arrosa. Il le prévint aussi qu’il y avait à Courtrai des espions du Tribunal de sang, ce pourquoi il devait bien tenir sa langue ainsi que celle de son compagnon.

– Nous les reconnaîtrons, dirent Ulenspiegel et Lamme.

Et ils sortirent de l’auberge.

Le soleil se couchait dorant les pignons des maisons ; les oiseaux chantaient sous les tilleuls ; les commères jasaient sur le seuil de leurs portes, les enfants se roulaient dans la poussière, et Ulenspiegel et Lamme vaquaient au hasard par les rues.

Soudain Lamme dit :

– Martin Van den Ende, interrogé par moi s’il avait vu une femme pareille à la mienne – je lui fis sa mignonne pourtraiture, – m’a dit qu’il y avait chez la Stevenyne, chaussée de Bruges, à l’ Arc-en-Ciel, hors de la ville, un grand nombre de femmes qui se réunissaient tous les soirs. J’y vais de ce pas.

– Je te retrouverai tout à l’heure, dit Ulenspiegel. Je veux visiter la ville ; si je rencontre ta femme, je te l’enverrai tantôt. Tu sais que le baes t’a recommandé de te taire, si tu tiens à ta peau.

– Je me tairai, dit Lamme.

Ulenspiegel vaquant à l’aise, le soleil se coucha ; et le jour tombant rapidement, Ulenspiegel arriva dans la Pierpot-Straetje, qui est la ruelle du Pot-de-Pierre. Là, il entendit jouer de la viole mélodieusement ; s’approchant, il vit de loin une forme blanche l’appelant, le fuyant et jouant de la viole. Et elle chantait comme un séraphin une chanson douce et lente, s’arrêtant, se retournant, l’appelant et fuyant toujours.

Mais Ulenspiegel courait vite ; il l’atteignit et allait lui parler, quand elle lui mit sur la bouche une main de benjoin parfumée.

– Es-tu manant ou noble homme ? dit-elle.

– Je suis Ulenspiegel.

– Es-tu riche ?

– Assez pour payer un grand plaisir, pas assez pour racheter mon âme.

– N’as-tu point de chevaux, que tu vas à pied ?

– J’avais un âne, dit Ulenspiegel, mais je l’ai laissé à l’écurie.

– Comment es-tu seul sans ami, dans une ville étrangère ?

– Parce que mon ami vaque de son côté, comme moi du mien, mignonne curieuse.

– Je ne suis point curieuse, dit-elle. Est-il riche, ton ami ?