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– Tu es armoire à jambon, aussi seras-tu cellier à cervoise car sel appelle buverie, n’est-il pas vrai, grosse bedaine ? Donne-moi un patard pour n’avoir pas menti.

– Mon fils, répondait le moine, nous ne portons jamais d’argent.

– C’est donc que l’argent te porte, répondait Ulenspiegel, car je sais que tu le mets entre deux semelles sous tes pieds. Donne-moi ta sandale.

Mais le moine :

– Mon fils, c’est le bien du couvent ; j’en tirerai toutefois, s’il le faut, deux patards pour ta peine.

Le moine les donna, Ulenspiegel les reçut gracieusement.

Ainsi montrait-il leur miroir à ceux de Damme, de Bruges, de Blankenberghe, voire même d’Ostende.

Et au lieu de leur dire en son langage flamand : «Ik ben u lieden spiegel, je suis votre miroir, » il leur disait abréviant : « Ik ben ulen spiegel, » ainsi que cela se dit encore présentement dans l’Oost et la West-Flandre.

Et de-là lui vint son surnom d’Ulenspiegel.

XXI

En grandissant, il prit goût à vaquer par les foires et marchés. S’il y voyait un joueur de hautbois, de rebec ou de cornemuse, il se faisait, pour un patard, enseigner la manière de faire chanter ces instruments.

Il devint surtout savant en la manière de jouer du rommel-pot instrument fait d’un pot, d’une vessie et d’un roide fétu de paille. Voici comment il s’en servait : le soir il tendait la vessie mouillée sur le pot, fixait au moyen d’une cordelette le milieu de la vessie autour du nœud du fétu, qui touchait le fond du pot, aux bords duquel il plaçait ensuite la vessie tendue jusqu’à danger de crevaille. Le matin, la vessie étant sèche rendait sous les coups le son du tambourin, et si l’on frottait la paille de l’instrument, elle ronflait mieux qu’une viole. Et Ulenspiegel, avec son pot ronflant et donnant le son d’aboîments de molosses, allait chanter des noëls à la porte des maisons en compagnie d’enfants dont l’un portait l’étoile de papier lumineuse, le jour des Rois.

Si quelque maître peintre venait à Damme pour y pourtraire, agenouillés en une toile, les compagnons de quelque gilde, Ulenspiegel, désirant voir comment il travaillait, demandait qu’il lui permît de broyer ses couleurs, et ne voulait pour tout salaire qu’une tranche de pain, trois liards et une chopine de cervoise.

S’occupant à broyer, il étudiait la manière de son maître. Quand celui-ci s’absentait, il essayait de peindre comme lui, mais il mettait partout de l’écarlate. Il s’essaya à pourtraire Claes, Soetkin, Katheline et Nele, ainsi que des pintes et des coquasses. Claes lui prédit, voyant ses œuvres, que s’il se montrait vaillant, il pourrait un jour gagner des florins par dizaines, en faisant des inscriptions sur les speel-wagen, qui sont des chariots de plaisir en Flandre et en Zélande.

Il apprit aussi d’un maître maçon à tailler le bois et la pierre, quand celui-ci vint faire, dans le chœur de Notre-Dame, une stalle construite de telle façon que, lorsqu’il le faudrait, le doyen, homme d’âge, pût s’y asseoir en ayant l’air de se tenir debout.

Ce fut Ulenspiegel qui tailla le premier manche de couteau dont se servent ceux de Zélande. Il fit ce manche en forme de cage. À l’intérieur se trouvait une mobile tête de mort ; au-dessus, un chien couché. Ces emblèmes signifient à eux deux : « Lame fidèle jusqu’à la mort. »

Et ainsi Ulenspiegel commençait de vérifier la prédiction de Katheline, se montrant peintre sculpteur, manant, noble homme le tout ensemble, car de père en fils les Claes portaient trois pintes d’argent au naturel sur fond de Bruinbier.

Mais Ulenspiegel ne fut stable en aucun métier, et Claes lui dit que si ce jeu durait, il le chasserait de la chaumine.

XXII

L’empereur, étant revenu de guerre, demanda pourquoi son fils Philippe ne l’était point venu saluer.

L’archevêque-gouverneur de l’infant répondit qu’il ne l’avait pas voulu, car il n’aimait, disait-il, que livres et solitude.

L’empereur s’enquit où il se tenait en ce moment.

Le gouverneur répondit qu’il le fallait chercher partout où il faisait noir. Ils le firent.

Ayant traversé un bon nombre de salles, ils vinrent finalement à une espèce de réduit, sans pavement, et éclairé par une lucarne. Là, ils virent enfoncé dans le sol un poteau auquel était attachée par la taille une guenon toute petite et mignonne, envoyée des Indes à Son Altesse pour la réjouir par ses jeunes ébattements. Au bas du poteau fumaient des fagots rouges encore, et il y avait dans le réduit une mauvaise odeur de poil brûlé.

La bestiole avait tant souffert en mourant dans ce feu que son petit corps semblait être, non pas celui d’un animal ayant eu vie, mais un fragment de racine rugueuse et tordue, et dans sa bouche ouverte comme pour crier la mort, se voyait de l’écume sanglante, et l’eau de ses larmes mouillait sa face.

– Qui a fait ceci ? demanda l’empereur.

Le gouverneur n’osa répondre, et tous deux demeurèrent sans parler, tristes et colères.

Soudain, en ce silence, fut entendu un faible bruit de toux qui venait d’un coin à l’ombre derrière eux. Sa Majesté, se retournant, y aperçut l’infant Philippe, tout de noir vêtu et suçant un citron.

– Don Philippe, dit-il, viens me saluer.

L’infant, sans bouger, le regarda de ses yeux craintifs où il n’y avait point d’amour.

– Est-ce toi, demanda l’empereur, qui as brûlé à ce feu cette bestiole ?

L’infant baissa la tête.

Mais l’empereur :

– Si tu fus assez cruel pour le faire, sois assez vaillant pour l’avouer.

L’infant ne répondit point. Sa Majesté lui arracha des mains le citron, qu’il jeta à terre, et allait battre son fils pissant de peur, quand l’archevêque l’arrêtant lui dit à l’oreille :

– Son Altesse sera un jour grande brûleuse d’hérétiques.

L’empereur sourit, et tous deux sortirent, laissant l’infant seul avec sa guenon.

Mais il en était d’autres qui n’étaient point des guenons et mouraient dans les flammes.

XXIII

Novembre était venu, le mois grelard où les tousseux se donnent à cœur-joie de la musique de phlegmes. C’est aussi en ce mois que les garçonnets s’abattent par troupes sur les champs de navets, y maraudant ce qu’ils peuvent, à la grande colère des paysans, qui courent vainement derrière eux avec des bâtons et des fourches.

Or, un soir qu’Ulenspiegel revenait de maraude, il entendit près de lui, dans un coin de la haie, un gémissement. Se baissant, il vit sur quelques pierres un chien gisant.

– Ça, dit-il, plaintive biestelette, que fais-tu là si tard ?

Caressant le chien, il lui sentit le dos humide, pensa qu’on l’avait voulu noyer et, pour le réchauffer, le prit dans ses bras.

Rentrant chez lui il dit :

– J’amène un blessé, qu’en faut-il faire ?

– Le panser, répondit Claes.

Ulenspiegel mit le chien sur la table : Claes, Soetkin et lui virent alors, à la lumière de la lampe, un petit rousseau du Luxembourg blessé au dos. Soetkin épongea les plaies, les vêtit de baume et les enveloppa de linge. Ulenspiegel porta l’animal dans son lit, quoique Soetkin le voulût avoir dans le sien, redoutant, disait-elle, qu’Ulenspiegel, qui se remuait alors comme un diable dans un bénitier, ne blessât le rousseau en dormant.

Mais Ulenspiegel fit ce qu’il voulait et le soigna si bien qu’au bout de six jours le blessé marchait comme ses pareils avec grande suffisance de roquetaille.

Et le schoolmeester, maître d’école, le nomma Titus Bibulus Schnouffius : Titus, en mémoire d’un certain empereur romain, lequel ramassait volontiers les chiens errants ; Bibulus, pour ce que le chien aimait la bruinbier d’amour ivrognial, et Schnouffius, pour ce que reniflant il boutait sans cesse le museau dans les trous de rats et de taupes.