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La Gilline aussi fut enterrée, et l’on dit les prières des morts sur son corps mignon.

Cependant les deux happe-chair patrocinés par Ulenspiegel étaient allés devant le châtelain de Courtray, car les bruits, vacarmes et pillages faits dans la maison de la Stevenyne devaient être punis par le dit châtelain, la maison de la Stevenyne se trouvant dans la châtellenie, hors de la juridiction de la ville de Courtray. Après avoir raconté au seigneur châtelain ce qui s’était passé, ils lui dirent avec grande conviction et humble sincérité de langage :

– Les meurtriers des prédicants ne sont point du tout Ulenspiegel et son féal et bien-aimé Lamme Goedzak, qui ne sont venus à l’Arc-en-Ciel que pour leur délassement ! Ils ont même des passes du duc, et nous les avons vues. Les vrais coupables sont deux marchands de Gand, l’un maigre et l’autre très gras, qui s’en furent vers le pays de France après avoir tout cassé chez la Stevenyne, l’emmenant avec ses quatre filles, pour leur ébattement. Nous les eussions bien happés au croc, mais il y avait là sept bouchers des plus forts de la ville qui ont pris leur parti. Ils nous ont tous garrottés et ne nous ont lâchés que quand ils étaient bien loin sur la terre de France. Et voici les marques des cordes. Les quatre autres happe-chair sont à leurs chausses, attendant du renfort pour mettre la main sur eux.

Le châtelain leur donna à chacun deux carolus et un habit neuf pour leurs loyaux services.

Il écrivit ensuite au conseil de Flandre, au tribunal des échevins de Courtray et à d’autres cours de justice pour leur annoncer que les vrais meurtriers avaient été découverts.

Et il leur détailla l’aventure tout au long.

Ce dont frémirent ceux du conseil de Flandre et des autres cours de justice.

Et le châtelain fut grandement loué de sa perspicacité.

Et Ulenspiegel et Lamme cheminaient paisiblement sur la route de Peteghem à Gand, le long de la Lys désirant arriver à Bruges, où Lamme espérait trouver sa femme et à Damme, où Ulenspiegel, tout songeur, eût déjà voulu être pour voir Nele qui, dolente, vivait auprès de Katheline l’affolée.

XXXVI

Depuis longtemps, au pays de Damme et dans les environs, avaient été commis plusieurs crimes abominables. Fillettes, jeunes gars, hommes vieux, que l’on savait s’en être allés chargés d’argent vers Bruges, Gand ou quelque autre ville ou village de Flandre, furent trouvés, morts, nus comme des vers et mordus à la nuque par des dents si longues et si aiguës que l’os du cou était cassé à tous.

Les médecins et chirurgiens-barbiers déclarèrent que ces dents étaient celles d’un grand loup. « Des larrons, disaient-ils, étaient venus sans doute, après le loup, et avaient dépouillé les victimes. »

Nonobstant toutes recherches, nul ne put découvrir quels étaient les larrons. Bientôt le loup fut oublié.

Plusieurs notables bourgeois, qui s’étaient mis fièrement en route sans escorte, disparurent sans que l’on sût ce qu’ils étaient devenus, sauf parfois que quelque manant, allant au matin pour labourer la terre, trouvait des traces de loup dans son champ, tandis que son chien, creusant de ses pattes les sillons, mettait au jour un pauvre corps mort et portant les dents de loup marquées sur la nuque ou sous l’oreille, et maintes fois aussi à la jambe et toujours par derrière. Et toujours aussi l’os du cou et de la jambe était brisé.

Le paysan, peureux, allait tout soudain donner avis au bailli qui venait avec le greffier criminel, deux échevins et deux chirurgiens au lieu où gisait le corps de l’occis. L’ayant visité diligemment et soigneusement, ayant parfois, quand le visage n’était point mangé par les vers, reconnu sa qualité, voire son nom et lignage, ils s’étonnaient toutefois que le loup, qui tue par faim, n’eût point enlevé de morceau du mort.

Et ceux de Damme furent bien effrayés, et nul n’osait plus sortir la nuit sans escorte.

Or il advint que plusieurs vaillants soudards furent envoyés à la recherche du loup, avec ordre de le chercher, de jour et de nuit, dans les dunes, le long de la mer.

Ils étaient alors près de Heyst, dans les grandes dunes. La nuit était venue. L’un d’eux, confiant en sa force, voulut les quitter pour aller seul à la recherche, armé d’une arquebuse. Les autres le laissèrent faire certains que, vaillant et armé comme il l’était, il tuerait le loup si celui-ci osait se montrer.

Leur compagnon étant parti, ils allumèrent du feu et jouèrent aux dés en buvant à même à leurs flacons de brandevin.

Et de temps en temps ils criaient :

– Or ça, camarade, reviens ; le loup a peur ; viens boire !

Mais il ne répondait point.

Soudain, entendant un grand cri comme d’un homme qui meurt, ils coururent du côté où le cri était parti, disant :

– Tiens bon, nous venons à la rescousse.

Mais ils furent longtemps avant de trouver leur camarade, car les uns disaient que le cri était venu de la vallée, et les autres de la plus haute dune.

Enfin, ayant bien fouillé dune et vallée avec leurs lanternes, ils trouvèrent leur compagnon mordu à la jambe et au bras, par derrière, et le cou brisé comme les autres victimes.

Couché sur le dos, il tenait son épée dans sa main crispée ; son arquebuse gisait sur le sable. À côté de lui étaient trois doigts coupés, qu’ils emportèrent et qui n’étaient point les siens. Son escarcelle avait été enlevée.

Ils prirent sur leurs épaules le cadavre de leur compagnon, sa bonne épée et sa vaillante arquebuse, et, dolents et colères, ils portèrent le corps au bailliage où le bailli le reçut en la compagnie du greffier criminel, de deux échevins et de deux chirurgiens.

Les doigts coupés furent examinés et reconnus pour être des doigts de vieillard, lequel n’était manouvrier en aucun métier car les doigts étaient effilés et les ongles en étaient longs comme ceux des hommes de robe ou d’église.

Le lendemain, le bailli, les échevins, le greffier, les chirurgiens et les soudards allèrent à la place où avait été mordu le pauvre mort et virent qu’il y avait des gouttes de sang sur les herbes et des pas qui allaient jusqu’à la mer où ils s’arrêtaient.

XXXVII

C’était au temps des raisins mûrs, au mois du vin, le quatrième jour, quand en la ville de Bruxelles on jette, du haut de la tour Saint-Nicolas, après la grand’messe des sacs de noix au peuple.

À la nuit, Nele fut éveillée par des cris venant de la rue. Elle chercha Katheline dans la chambre et ne la trouva point. Elle courut en bas et ouvrit la porte, et Katheline entra disant :

– Sauve-moi ! sauve-moi ! Le loup ! le loup !

Et Nele entendit dans la campagne de lointains hurlements. Tremblante, elle alluma tous les cierges, lampes et chandelles.

– Qu’est-il advenu, Katheline ? disait-elle en la serrant dans ses bras.

Katheline s’assit, les yeux hagards, et dit, regardant les chandelles :

– C’est le soleil, il chasse les mauvais esprits. Le loup, le loup hurle dans la campagne.

– Mais, dit Nele, pourquoi es-tu sortie de ton lit où tu avais chaud, pour aller prendre la fièvre dans les nuits humides de septembre ?

Et Katheline dit :

– Hanske a crié cette nuit comme l’orfraie et j’ai ouvert la porte. Et il m’a dit : « Prends le breuvage de vision », et j’ai bu. Hanske est beau. Ôtez le feu. Alors, il m’a conduite près du canal et m’a dit : « Katheline, je te rendrai les sept cents carolus, tu les donneras à Ulenspiegel, fils de Claes. En voici deux pour t’acheter une robe ; tu en auras mille bientôt. » « Mille, dis-je, mon aimé, je serai riche alors. » « Tu les auras, dit-il. Mais n’en est-il point à Damme qui, femmes ou filles, sont maintenant aussi riches que tu le seras ? » « Je ne sais point, » répondis-je. Mais je ne voulais point dire leurs noms de peur qu’il ne les aimât. Il me dit alors : « Informe-toi et dis-moi leurs noms quand je reviendrai. »