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Lorsqu’elle passa derrière lui, il l’interpella :

— Excusez-moi… Vous n’auriez pas vu une jeune brune, très grande, très jolie ? Elle est partie aux toilettes tout à l’heure et…

La femme tiqua aux mots « grande » et « jolie ». Elle mesurait un mètre cinquante et possédait un cul au carré. Sans répondre, elle remonta sa braguette et partit d’une démarche roulante.

Marc se retrouva seul. Il risqua un pas à l’intérieur. Silence total. Où était-elle ? Elle n’avait pas pu s’enfuir. Elle s’était peut-être endormie, dans un des compartiments ? Il s’était bien effondré, lui, sur son banc…

— Khadidja ?

Il poussa la porte de la première cabine : personne.

— Khadidja ?

Il fit pivoter la porte suivante : personne.

Il avança d’un pas encore.

Un froissement derrière lui.

Jacques Reverdi est là.

Crâne en brosse. Imperméable gris. Plus flic que nature.

— Je…

Un point sourd dans sa nuque. Le noir.

83

Des alvéoles.

Des alvéoles géants. Des cavités ovales, de plusieurs mètres de hauteur, creusées dans une paroi d’acier — ou d’aluminium. Un matériau argenté, qui scintillait en douceur dans la lumière.

Marc s’extirpa de l’inconscience. Il observa encore le mur devant lui et obtint de nouveaux détails. Les ellipses se multipliaient à l’infini, semblait-il. Il y en avait aussi de plus petites, au sol, au plafond, reproduisant la même régularité hypnotique. Elles paraissaient se mouvoir, par illusion d’optique, comme dans un tableau de Vasarely.

Il cilla encore et gagna de nouvelles informations. La paroi était non seulement circulaire ; et elle s’arrondissait à sa base et à son sommet. « Je suis dans une sphère », conclut-il. Puis il se ravisa : la pièce n’était pas totalement sphérique. Plutôt courbe et plane à la fois. Une sorte de ballon de rugby, en métal chromé, tapissé de cratères et de boulons. Il n’avait jamais vu un lieu pareil.

Une odeur étrange, sucrée, flottait dans l’air.

— Une cuve d’échanges.

La voix avait retenti derrière lui. Il chercha à tourner la tête. Impossible. Il était attaché à une chaise. Non seulement le corps mais aussi la tête. Pas attaché, collé. Le dos, le postérieur, les avant-bras, la nuque. Tous ces points étaient plaqués sur une surface froide, métallique. Il s’aperçut qu’il était nu, entièrement rivé à un fauteuil d’acier, qui paraissait solidarisé au sol.

— Une cuve d’échanges, reprit la voix. Un site de chimie lourde, parfaitement étanche.

Les souvenirs lui revinrent : la disparition de Khadidja, les toilettes du commissariat, Reverdi en imperméable, la seringue… Où était Khadidja ?

Il défaillit à nouveau puis se réveilla.

L’odeur douceâtre, lourde, revint solliciter ses narines.

— On mélange ici des gaz très dangereux, grâce à des pressions de vertige.

La voix se rapprochait. C’était celle de la cassette d’Ipoh. Grave, réconfortante. Il tenta encore de tourner la tête — il ne ressentit que brûlures et tiraillements. Ses cheveux étaient soudés au métal. D’autres sensations émergeaient : des courbatures, des crampes.

Reverdi avait dû le rouer de coups.

— Mais aujourd’hui, continuait-il, nous allons simplement répandre du gaz carbonique, afin d’accélérer la cérémonie.

Marc discernait maintenant un chuintement très net — la diffusion du CO2. Jacques Reverdi avait mis en marche le système. L’oxygène allait être rapidement repoussé par le dioxyde de carbone.

Une suée jaillit à la surface de sa peau. Cette salle se transformait en Chambre de Pureté. Dans quelques minutes, l’atmosphère deviendrait mortelle. Il allait subir le sacrifice du sang noir.

Avec effort, il parvint à baisser les yeux : son corps portait des traces multiples d’incisions. Il n’avait pas été frappé. Il avait été percé, tranché, incisé. Les plaies avaient été refermées, mais c’était pour mieux les rouvrir tout à l’heure…

Il identifia alors l’odeur sucrée : le miel.

Ses blessures étaient enduites de miel. Il tendit son regard et repéra, sans surprise, le flacon doré, posé sur le sol. À côté, un pinceau et une lampe à huile allumée. Il chercha encore : inclinée, au fond du mur sphérique, une bouteille de plongée, munie de son détendeur.

— Khadidja…, murmura-t-il. Où est Khadidja ?

Jacques Reverdi apparut dans son champ de vision. Il était sanglé dans une combinaison de plongée, en néoprène noir. À chaque respiration, son torse se creusait d’éclairs mats, rappelant les reflets épais du mazout.

Marc était sidéré. Le tueur possédait une réalité saisissante. Les tempes grises, les rides autour des yeux, les veines gonflant sa peau bronzée. Oui : Jacques Reverdi existait. Il était un être réel. Pas un prédateur fantasmagorique. Un détail saugrenu lui donnait presque un air comique : il portait un gros compteur au poignet. Un véritable apnéiste, prêt à plonger. Dans quel abîme ?

— Où est Khadidja ? répéta Marc.

Reverdi esquissa un geste. Un reflet d’argent brilla dans sa main. Un couteau de plongée.

— Ici. Avec nous.

Marc suivit la direction du couteau. Tirant sur sa nuque et ses cheveux, il parvint à l’apercevoir. Sur sa droite, à trois mètres de distance, Khadidja était nue elle aussi, rivée sur une chaise d’acier. Tête baissée, visage enfoui sous ses boucles brunes. Inconsciente. Il savait qu’elle n’était pas morte : il voyait les blessures suturées sur sa peau sombre. Reverdi la saignerait plus tard, au moment du grand vide.

— Elle va se réveiller : ne t’en fais pas, dit-il à voix basse. Mais je me suis assuré qu’elle ne puisse pas nous emmerder avec ses jacasseries. Tu sais comment sont les femmes…

Avec terreur, Marc remarqua, entre les cheveux noirs, la mutilation particulière. Le tueur avait scellé les lèvres de la jeune fille avec des agrafes industrielles, incrustées dans sa chair. Sa beauté était défigurée pour toujours. Mais il n’y aurait plus de « toujours » : ces réjouissances ne constituaient qu’un ultime détour avant la fin.

— Elle n’y est pour rien, gémit-il. Je t’ai juste envoyé sa photo, je…

— Tais-toi.

Reverdi se déplaça latéralement et s’immobilisa, à égale distance entre ses deux victimes. Noir, étroit, immense, il formait le troisième pivot d’un triangle parfait.

— Peu importe qui a fait quoi, reprit-il d’un ton très doux. Au fond, je suis heureux que vous soyez un couple. À nous trois, nous reproduisons le triangle des origines. Le père, la mère, l’enfant. Celui du mensonge fondateur. Nous allons pouvoir rejouer la trahison initiale. Et vivre l’ultime catharsis.

— Je t’en supplie… Elle ne savait rien !

Il plaça son couteau sur ses lèvres :

— Chut ! Écoute… Tu entends ce bruit ? Nous n’avons plus beaucoup de temps. Dans moins d’une demi-heure, l’oxygène sera descendu sous le seuil crucial des dix pour cent.

Khadidja releva la tête. Ses paupières battirent avec lenteur, révélant seulement le blanc des yeux. Contraste aigu entre sa peau brune et ces fentes claires. Elle poussa un hurlement muet. Son souffle gonfla ses lèvres, enfonçant plus encore les agrafes dans sa chair.

— Voilà notre princesse qui se réveille. Très bien. L’horaire est respecté.

Reverdi attrapa une télécommande, glissée dans son dos.

— N’aie aucune crainte, commenta-t-il, comme s’il suivait les pensées de Marc. Je connais ce type de machines. Elles fonctionnent comme les caissons à haute pression des plongeurs. Pour l’instant, nous sommes à vingt pour cent. Vous allez commencer à transpirer…