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Une fois son texte arrêté, il s’était penché sur l’écriture. Durant des heures, puisant dans ses archives personnelles — il recevait beaucoup de lettres de femmes au Limier —, il avait copié et recopié les manuscrits de ses correspondantes, reproduisant ces syllabes appliquées, se forgeant peu à peu une écriture féminine.

Il avait ensuite acheté du papier à lettres, assez onéreux, tramé, et choisi un stylo plume. Puis il avait décidé d’ajouter une touche personnelle à sa lettre : très discrètement, il l’avait parfumée. Dans un premier temps, il avait songé à un parfum de jeune fille — Anaïs Anaïs de Cacharel — puis il s’était ravisé. Élisabeth, vingt-quatre ans, n’allait pas utiliser une fragrance d’adolescente. Elle opterait au contraire pour un parfum de femme — force, séduction et maturité. Il avait opté pour le № 5 de Chanel.

La lettre était prête — il ne restait plus qu’à régler le dernier point, crucial : l’adresse de l’expéditrice. Il ne pouvait donner la sienne. Il avait pensé à une boîte postale, mais cela aurait paru trop impersonnel. Il s’était décidé pour la poste restante.

Les vrais problèmes avaient commencé avec la Poste. Il aurait dû s’en douter. Il avait toujours détesté cet organisme — la couleur jaune de ses logos, ses interminables files d’attente, son système de timbres, de vignettes, de collages, plus digne d’un atelier d’enfants que d’une entreprise du XXIe siècle. La Poste avait donc été fidèle à sa devise : « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? »

Impossible d’ouvrir un « Contrat de réexpédition temporaire poste restante » en donnant n’importe quel patronyme. En fait, on ne pouvait recevoir ce type de courriers qu’à son propre nom. Marc avait tenté sa chance dans un autre bureau de poste, racontant cette fois un mensonge : il souhaitait ouvrir un « contrat de réexpédition » pour une amie, immobilisée par un accident, et domicilier ce contrat ici, dans ce bureau. Il viendrait chercher lui-même les lettres.

Sceptique, l’agent lui avait alors expliqué la procédure : son amie devait remplir une procuration à son nom, à lui. Mais attention : en présence d’un facteur, qui jouerait le rôle de témoin. Marc croyait rêver. Alors seulement, on pourrait envisager un contrat de réexpédition, mais Marc serait obligé de présenter, chaque fois, les deux pièces d’identité : la sienne et celle de son amie.

Marc était sorti du bureau éberlué, tenant ses formulaires vierges. Il avait considéré le problème sous tous les angles, et saisi la seule véritable difficulté : il devait se procurer le passeport ou la carte d’identité d’une femme. Il serait ensuite obligé de conserver ce patronyme pour ses lettres.

Où trouver un tel document ? Il possédait une solide expérience des vols et des effractions. Souvenirs de « la Raflette ». Mais il n’allait pas cambrioler, au hasard, un appartement. Il pensa se rendre dans une piscine et forcer le vestiaire d’une baigneuse qu’il aurait repérée. Mais il n’était pas question d’impliquer une personne réelle dans un tel projet. Après tout, il s’agissait de tendre un piège à un tueur. L’impasse.

Le lendemain matin, au réveil, il eut une illumination. Il fallait voler le passeport d’une touriste — une femme de passage en France. Il songea à la Cité Universitaire, située près de la porte de Gentilly : la plus grande concentration d’étudiants étrangers à Paris. Il visita le campus : un agglomérat d’architectures diverses, rappelant les grandes expositions universelles du siècle dernier. Il croisa un palais italien, un manoir anglais, une église luthérienne, enchaîna les galeries aux ornements latins, les façades de briques, les perrons à figures africaines. Où aller ? Dans un dortoir ? Et à quel moment opérer ? En plein jour ?

L’idée : les vestiaires d’une installation sportive.

Il trouva le gymnase des Arts et Métiers, au sud du campus. Un bloc soviétique de sept étages, dont le sous-sol abritait une salle de sport. Il se glissa dans le couloir, aperçut en contrebas, à travers des fenêtres grillagées, l’espace tapissé de linoléum vert, strié de marquages. Coup de chance : un match de volley se disputait à ce moment. Un match féminin ! Il trouva les vestiaires : pas même fermés.

Face à une rangée de portemanteaux, des casiers en fer étaient scellés par des cadenas. Il avait apporté le nécessaire. Il glissa un tournevis dans la première anse de métal et la fit sauter. Au troisième placard, il avait son passeport — une Allemande. Pourtant, excité par ces intimités violées, ces odeurs de femmes et ces sous-vêtements qu’il surprenait, il poursuivit son pillage. Il découvrit d’autres passeports, des cartes d’étudiantes… Il devait en être à la dixième armoire lorsqu’il tomba sur un trésor. Un coup de chance inouï : un passeport suédois au prénom… d’Élisabeth !

Son poing se referma sur le document couleur bordeaux. Il fouilla encore le sac et trouva la carte d’étudiante correspondante, à l’adresse de la Cité U. Il ne regarda même pas le visage. Le nom était parfait : Élisabeth Bremen.

Le lendemain, il retourna au deuxième bureau de poste, rue Hippolyte-Lebas, là où l’agent lui avait expliqué les démarches à effectuer. L’homme, un petit Asiatique à queue-de-cheval, fit la grimace :

— Vous n’avez pas suivi la procédure. Il faut que le facteur…

Marc ne lui laissa pas achever sa phrase : il fit passer sous la vitre le passeport et la carte d’étudiante d’Élisabeth.

— Elle habite à la Cité Universitaire. Un vrai labyrinthe.

— Qu’est-ce qu’elle a au juste ? demanda l’agent d’un ton plus conciliant.

— La hanche. Elle s’est brisé la hanche. En jouant au volley-Ball.

Le postier hocha la tête, sans conviction, observant les documents. Derrière Marc, la file d’attente s’allongeait. L’Asiatique leva un œil :

— Je ne comprends pas un truc dans votre histoire. Vous voulez recevoir le courrier de cette fille, d’accord. Mais pourquoi pas chez vous ?

Marc avait prévu l’objection. Il s’approcha de la vitre et plaça, ostensiblement, sa main gauche devant son interlocuteur. Il avait glissé une alliance à son annulaire. Un truc qu’il utilisait déjà à son époque « Raflette » — pour inspirer confiance.

— Chez moi, c’est compliqué.

— Compliqué ?

Marc frappa trois coups à la vitre avec son alliance. Le préposé baissa les yeux et parut comprendre.

— Alors, c’est d’accord ?

L’agent acheva de remplir les cases des formulaires réservées à l’administration :

— C’est dix-neuf euros.

Marc paya, sentant la sueur s’écouler dans son dos. L’Asiatique lui rendit plusieurs récépissés et conclut :

— Quand vous viendrez chercher son courrier, amenez toujours ses documents d’identité. Pas de passeport, pas de lettre. C’est clair ? Et passez par moi : je suis le responsable de la poste restante.

Il lui fit finalement un clin d’œil, en signe de complicité. Sur le trottoir, Marc aurait dû se réjouir, mais un fond d’angoisse le tourmentait. Confusément, il appréhendait la suite des événements.

À partir du 1er mars, il retourna à la Poste chaque matin.

C’était absurde : une lettre de Paris mettait au moins dix jours pour atteindre la Malaisie. Ensuite, l’administration pénitentiaire devait stocker les plis avant de les donner aux prisonniers. Plus tard encore, au cas où Jacques Reverdi déciderait de lui répondre, il faudrait encore compter entre dix et quinze jours avant que le courrier ne lui parvienne. Soit plus de trois semaines, dans la version la plus optimiste. Or, il avait envoyé sa lettre le 20 février.