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Marc regarda de plus près la photographie de l’entaille. Ce qu’il avait pris pour une croûte n’en était pas une :

— Ces traces noires, autour de la blessure, on dirait une brûlure…

— Exact. Reverdi a brûlé, ou simplement chauffé les plaies.

— Pourquoi ?

— Toujours pour la même raison. Pour éviter que le sang ne coagule. Comme un chauffe-plat, qui préserve la fluidité des graisses. Encore une fois, il bande pour le sang qui s’écoule.

Cette réflexion lui rappela un autre détail :

— Dans la cabane, on n’a pas retrouvé des traces de sperme ?

— Rien du tout. Le camarade n’a pas envoyé la sauce.

C’était une des originalités de Reverdi. Fondamentalement, les tueurs en série substituent la mort à l’amour. Le meurtre remplace pour eux l’acte sexuel. La plupart du temps, ils jouissent sur la scène du crime, avant, pendant, ou après la mise à mort. Mais l’apnéiste semblait se contrôler. À moins qu’il ne recherche encore autre chose.

— Le vrai mystère, ajouta Alang, c’est le nombre des entailles. Plus de la moitié d’entre elles étaient inutiles.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Imagine la scène.

Alang ouvrit les mains, comme s’il écartait les rideaux d’un théâtre :

— Il entaille d’abord les tempes, puis la gorge. Le temps qu’il parvienne aux hanches, la victime est déjà exsangue. Les premières plaies ont déversé tout le sang du corps. Pourquoi alors continuer à l’inciser ?

Marc suivit sur le premier cliché l’arborescence des blessures, parfaitement symétriques, jusqu’au bout des doigts.

— Pour la beauté du geste, proposa-t-il. Il a voulu percer chaque membre, chaque partie de la même façon.

— Peut-être. Mais les autres plaies coulaient toujours. Tout ça a dû finir en vraie boucherie. Je ne sais même pas comment il a pu s’y retrouver.

Marc eut un éclair :

— Peut-être a-t-il fait des garrots ?

— On y a pensé, mais cela aurait laissé des traces différentes. Des hématomes. Non, il y a là un mystère.

Marc tenta de rassembler ses idées. Plus il en apprenait, plus Jacques Reverdi apparaissait comme un meurtrier complexe, raisonné. Un homme qui suivait un objectif secret.

— Vous avez rédigé un rapport officiel ?

— Bien sûr. Tout est entre les mains de la Haute Cour de Johor Bahru.

— Je n’avais jamais entendu parler de tout ça.

Alang sourit :

— Heureusement qu’on ne dit pas tout aux journalistes. Surtout aux étrangers. Il y a autre chose que tu ignores.

Le médecin, toujours avachi dans son fauteuil, ouvrit avec nonchalance un dossier et saisit une liasse de feuillets agrafés.

— Les analyses toxicologiques de la victime. Le sang de Pernille Mosensen était sucré.

— Quoi ?

Alang se redressa. Feuilletant rapidement la liasse, il pointa un passage surligné en vert :

— Le taux normal de glucose dans le sang est d’un gramme. On est ici à un gramme trente.

— Pernille Mosensen était malade ?

— On a tout de suite pensé au diabète. Mais on s’est renseignés : elle était en pleine forme. Non, ce sucre est lié au meurtre.

Marc sentit ses muscles se tendre sous sa peau :

— De quelle façon ?

— On pense qu’il lui a fait bouffer des produits sucrés juste avant de l’assassiner. Les analyses ont révélé aussi des traces de vitamines, d’oligo-éléments. Un vrai festin.

Une vision infernale lui traversa l’esprit : Pernille refusant d’engloutir des friandises, des pâtes de fruits, du chocolat. Sa bouche tordue, ses dents serrées, alors que sa salive trop sucrée débordait de ses lèvres.

— Cela rend-il le sang plus… fluide ?

— Non. On est arrivés à une autre conclusion.

Alang laissa passer quelques secondes. Il ménageait son suspens. Il cueillit un scalpel sur le bureau, qu’il devait utiliser comme coupe-papier, puis le pointa vers Marc :

— Reverdi a changé le goût de ce sang. Il voulait qu’il soit plus doux, plus suave…

— Tu veux dire… ?

— On pense qu’il en a bu, ouais. C’est un vampire, man. Un fêlé qui aime le sang sucré. À Papan, il a été interrompu, mais je suis sûr qu’il y en a eu d’autres et alors, il a eu droit à sa pinte. Quand les pêcheurs l’ont surpris, il était en transe. Il n’avait même pas l’air de piger ce qui se passait. Reverdi a de véritables crises de… transformation. Il devient une créature. Un vampire. Un monstre de film.

Marc fit mine d’acquiescer mais il n’y croyait pas. Trop gros, trop vulgaire. Et quel lien avec le Chemin de Vie ? Il passa à un autre chapitre :

— Vous avez contacté les autorités du Cambodge, pour comparer ces données avec celles concernant Linda Kreutz ?

Alang plaça ses pieds sur le bureau :

— Bien sûr. J’ai même parlé avec le toubib qui a pratiqué l’autopsie, à Siem Reap. Le type est moins catégorique sur le tracé des blessures. Le corps était détérioré par son séjour dans la flotte. Mais le Khmer est d’accord avec nous sur les incisions. Notre DPP, le Deputy Public Prosecutor, va peut-être aller à Phnom Penh.

Marc songeait à l’avocat allemand et aux deux autres victimes supposées, en Thaïlande. Si on avait pu retrouver leurs corps, on aurait sans doute surpris le même motif sur leurs chairs. La signature de Reverdi. Le tracé de sa folie.

Il se leva. Des brûlures acides lui travaillaient l’estomac — il n’avait rien mangé depuis plus de vingt heures.

— Je peux garder les photos ?

— Non.

— Merci.

Alang rit :

— Tu ne crois pas que tu pousses un peu, non ? J’ai déjà beaucoup trop parlé.

Marc ne répondit pas. Le légiste soupira, puis ouvrit un tiroir :

— On peut dire que je t’ai à la bonne.

Il posa sur la table une cassette vidéo VHS.

— Cadeau. La première interview de Jacques Reverdi, quand il est arrivé à l’hôpital psychiatrique d’Ipoh. La chef de service est une copine. Un vrai scoop. Même le DPP ne l’a pas vue.

Marc sentit la sueur de son visage se cristalliser. Il attrapa la cassette et demanda, d’une voix tremblante :

— Reverdi… Il parle du meurtre ?

— Il est en état de choc.

— Il en parle ou non ?

Marc avait haussé la voix. Alang esquissa une moue désinvolte :

— Oui et non. C’est étrange.

— Qu’est-ce qui est étrange ?

— Tu te feras une idée par toi-même.

Marc se pencha au-dessus du bureau :

— Je veux ton avis. Qu’est-ce qui est étrange ?

— Il parle du meurtre comme s’il en avait été le témoin, et non l’auteur. Comme s’il avait assisté à l’opération sans y participer. C’est encore plus terrifiant que tout le reste. Reverdi a l’air d’un innocent. Un innocent venu du fond des âges.

— Du fond des âges ?

Pour la première fois, Alang quitta son ton sarcastique :

— Du fond de sa propre enfance.

36

— Comment vous appelez-vous ?

Pas de réponse.

— Comment vous appelez-vous ?

Pas de réponse.

— Comment vous appelez-vous ?

— Jacques… (Une hésitation, puis :) Reverdi.

Marc avait secoué le Chinois de l’hôtel pour récupérer un magnétoscope. Il contemplait maintenant les plus récentes images de l’assassin de Pernille Mosensen. La bande indiquait, en bas de l’écran : « February 11th, 2003. »