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— Je me demandais… Tu pourrais vérifier quelque chose pour moi ?

— Dis toujours.

— Je voudrais que tu cherches dans le dossier Reverdi — il est bien né de père inconnu ?

— Oui. On a seulement l’identité de la mère. Monique Reverdi.

Pas une hésitation. La mémoire de Jérôme valait tous les ordinateurs. Marc continua :

— Tu pourrais contacter la DDASS, pour identifier le père ?

— On n’ouvrira jamais le dossier pour nous.

— Même avec tes contacts ?

— Je peux essayer. Mais les chances sont faibles.

— Y a-t-il aussi un moyen de savoir si Reverdi a lui-même fait cette démarche pour connaître le nom de son père ?

Jérôme rit une nouvelle fois :

— Ça, c’est dans mes cordes.

— Envoie-moi un mail quand tu auras l’info.

Marc le remercia et raccrocha. À cet instant, la nausée se rappela à son souvenir. Son corps n’avait plus aucun repère temporel, son organisme avançait en crabe, entre la nuit qu’il avait manquée et celle qui se déroulait en France. La faim aiguisait encore son malaise. Il aurait dû manger, ou s’écrouler, mais la petite voix d’enfant, terrifiante, revint tinter à ses oreilles. Il revit le visage minéralisé, au bout des veines tendues de la gorge. Il avait besoin d’un café.

L’hôtel ne disposait pas de service d’étage. Marc descendit au rez-de-chaussée, où était installé un distributeur d’eau brûlante. Pas de sachet de Nescafé. Il dut se rabattre sur le thé — un pauvre Lipton sans saveur, qu’il fit infuser très longtemps. En jouant au pendule avec son sachet, il tentait d’ordonner ses pensées.

Le voyage promettait d’être efficace. Moins de vingt-quatre heures qu’il était en Malaisie et il accumulait déjà les découvertes. La technique de la saignée. Le nouveau profil de Reverdi, le « tueur organisé ». La quasi-certitude que Linda Kreutz avait subi le même supplice. Le détail du sucre, qui orientait les soupçons vers un éventuel vampirisme…

Et maintenant cette voix d’enfant qui laissait deviner un traumatisme paternel. Encore une fois, Marc revit le visage creusé, figé de Reverdi qui ne respirait plus. Le secret du tueur était de l’autre côté de ce masque.

À cette idée, il songea à Élisabeth. Il allait presque oublier d’écrire à Reverdi. Il balança le sachet dans la poubelle et remonta l’escalier. Dans sa chambre, il brancha la clim à fond et se mit au travail, tout en engloutissant deux parts de cake qu’il avait piquées près de la machine.

En quelques minutes, il trouva les mots, les tournures, la « musique » de l’étudiante. Après la nuit qu’il venait de passer, après ces heures d’investigation dans la peau de Marc Dupeyrat, cela tenait du prodige. Le plus étrange était qu’il prenait un ton enjoué : malgré le sujet, malgré la violence, l’étudiante était fière de ses découvertes.

Élisabeth raconta « sa » rencontre avec le médecin légiste. Le corps rincé de Pernille. Le réseau des veines : le Chemin de Vie. Au fil du message, Marc opéra une censure. Il n’écrivit pas un mot sur les autres indices. Le sucre. L’apnée. Le père.

Le système fonctionnait toujours à deux vitesses.

Élisabeth ouvrait le chemin, Marc approfondissait.

Il envoya son e-mail. Il éprouvait un sentiment de puissance. Pour l’instant, il contrôlait la situation. Mais il ne pouvait étouffer son trouble face à son étrange parcours : s’incarner dans une femme pour s’identifier à un homme. Être Élisabeth pour devenir Reverdi. Il y avait vraiment de quoi devenir schizophrène.

À cette idée, il s’endormit, tout habillé, sur son lit.

37

Quand il se réveilla, il ne savait plus où il était. Bien que la lumière fût toujours allumée, sa chambre sans fenêtre ne lui présentait aucun repère. Seul le vacarme de la climatisation lui donnait l’impression d’être plongé au fond d’un réacteur d’avion.

Il regarda sa montre : seize heures. Il s’assit sur le lit et se saisit le front à deux mains. La migraine lui enserrait la tête. Sa langue lui paraissait énorme. Il murmura : « Un café. » Mais à l’idée de descendre au rez-de-chaussée et d’actionner la machine, sa nausée se réveillait déjà. Il leva les yeux et vit son ordinateur, posé sur le guéridon. À tout hasard, il connecta son modem.

Objet : KUALA 2 — Reçu le 23 mai, 11 h 02.

De : sng@wanadoo.com

À : lisbeth@voila.fr

Ma Lise,

Tu me confortes et me réconfortes.

Parmi tous ceux qui ont tenté de m’approcher, de m’écrire, de m’interroger, je t’ai choisie. Aujourd’hui, je m’en félicite. J’étais certain que tu serais digne de ta mission.

Tu as trouvé le Chemin de Vie. Tu sais ce qu’il recherche et ce qu’il aime contempler. Tu as donc compris que nous nous placions, Lui et moi, au-delà d’une frontière sacrée.

La frontière du sang.

Nous évoluons sur un territoire peu fréquenté, Lise. Un territoire dangereux, où nous faisons jeu égal avec Dieu. Je t’ai déjà parlé du passage de la Bible de Jérusalem où le Seigneur rappelle que le sang, c’est l’âme. Dans le même chapitre, au verset 6, il est dit : « Qui verse le sang de l’homme, par l’homme aura son sang versé. » Seul Dieu a le droit de le faire couler. Celui qui transgresse cette loi devient le rival du Seigneur.

Celui dont tu suis les traces a franchi ce pas. Il a défié Dieu — et assume cet outrage. Si tu veux le comprendre, tu dois chercher encore. Le rituel comporte d’autres règles. Des étapes très précises. Tu dois saisir comment, exactement, Il procède. Comment Il prépare la mise à nu de l’âme…

Tu dois trouver les « Jalons d’Éternité ».

« Qui Volent et Foisonnent… »

Prends de l’altitude, ma Lise. Cherche dans le ciel. Et souviens-toi de cette vérité : il n’y a qu’une façon de contempler l’éternité ; la retenir, pour quelques instants.

Mon cœur est avec toi.

JACQUES

Un café.

Un putain de café en urgence.

Il descendit les escaliers en se tenant aux murs. Les Jalons d’Éternité. Qui Volent et Foisonnent. Reverdi devenait de plus en plus mystérieux. Et Marc pressentait que ce vocabulaire hermétique allait empirer. À mesure que le meurtrier ouvrirait les portes de son univers, les termes deviendraient de plus en plus ésotériques — et incompréhensibles.

Le ravitaillement en Nescafé avait été effectué. Il se bricola un liquide brunâtre et se demanda, après l’avoir goûté, s’il ne préférait pas le thé de ce matin. Tout en tournant sa barrette en plastique, les mots de Reverdi circulaient, à contresens, dans sa tête. « Cherche dans le ciel. » « Prends de l’altitude. » Il se dit que ces mots, derrière leur résonance métaphorique, possédaient peut-être une signification concrète.

Il remonta l’escalier en quelques enjambées. Il s’empara de la carte de la Malaisie et scruta les altitudes. Dans ce pays à fleur de mer, les sommets n’étaient pas légion. Il repéra les Cameron Highlands, une région de montagnes qui se déployait à environ deux cents kilomètres au nord de Kuala Lumpur, et qui dépassait les 1 500 mètres d’altitude. Le nom lui disait quelque chose. On lui avait déjà parlé de cette station résidentielle, offrant hôtels de luxe et terrains de golf. Marc feuilleta son guide et trouva confirmation de ses souvenirs.

Reverdi lui désignait-il cette direction ? Un professeur de plongée n’avait rien à faire en pleine montagne. Une idée lui vint pour vérifier son hypothèse. Peut-être y avait-il eu un meurtre, ou une disparition, dans ces hautes terres ?