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— Where do y ou come from ?

— Miam-Miam.

— I’m sorry. I didn’t get the name. Where do y ou come from ?

— Miam-Miam.

Il lui fallut un bon moment pour saisir qu’elle venait du Myanmar, nouveau nom de la Birmanie. Il paya d’avance et les malentendus redoublèrent. Il rêvait d’ôter lui-même sa robe ou, mieux encore, lui remonter doucement jusqu’en haut des cuisses. La Birmane se déshabilla en quelques gestes, comme dans un vestiaire de filles avant une compétition de natation.

Elle lui désigna la douche. Marc sourit, imaginant déjà ses caresses à travers la vapeur, sa longue chevelure lui frôlant le torse. La professionnelle se coiffa d’un bonnet de douche puis se mit en devoir de lui laver la verge comme elle aurait gratté la rouille sur une vieille grille.

Lorsqu’ils rejoignirent le lit, la gymnaste se plaça à califourchon sur son ventre, plaçant ses mains sur sa poitrine. Enfin, les massages… Marc ferma les yeux, attendant que les petites pincées de plaisir ponctuent son corps, puis que la langue vienne huiler ses muscles jusqu’à atteindre le sexe. Au lieu de cela, il eut droit à quelques coups de poing dans les côtes, puis, rouvrant les yeux, il l’aperçut qui farfouillait dans son sac. Elle en extirpa un préservatif dont elle déchira l’enveloppe d’un coup de dents, comme le sachet d’une seringue. Chaque geste était bref, précis, « pro ».

Marc avait espéré un Kama-Sutra torride.

Il subissait une visite médicale.

Quelques minutes plus tard, pourtant, la jouissance vint. Brève comme une boulette de riz avalée d’un trait. La jeune fille fit mine de dormir, afin d’éviter de parler en anglais, qu’elle ne connaissait pas.

Marc, sans faire de bruit, se releva et s’assit près du guéridon. Il installa près de lui la lampe de chevet et rabattit l’abat-jour vers le mur. Puis il ouvrit son ordinateur. Il ne pouvait plus attendre. Il devait écrire à Reverdi. Avouer son échec et trouver le moyen d’obtenir la clémence du tueur.

Ses velléités de rentrer à Paris avaient déjà disparu. Sa crainte de Jimmy également. Il n’y avait aucune raison qu’il soit découvert. Ou de craindre un fils à papa détraqué.

Il commença sa lettre, sans hésitation. Il n’avait qu’à écouter son cœur : sa déception, son amertume, sa rage à bien agir, qui s’étaient soldées par une impasse. Emporté par son propre style — c’est-à-dire celui d’Élisabeth —, il/elle supplia Reverdi de lui accorder une nouvelle chance.

Au bout d’une demi-heure, Marc se sentit mieux. Comme réconforté, dans la peau de cette jeune femme qui ne voulait pas être abandonnée. Même si chaque mot lui faisait mal, même si chaque syllabe le renvoyait à son échec, il savourait cette relation intime, cette liaison spirituelle, où il pouvait parler, à mots ouverts, de ce qui était sa seule préoccupation : le secret d’un assassin.

Il entendit la porte claquer.

Il vit la chambre, les murs aveugles, le lit défait. Miam-miam s’était envolée. Il était si absorbé par sa lettre qu’il ne l’avait même pas entendue se lever, s’habiller, saisir son sac…

Il mit encore quelques secondes pour saisir la sinistre vérité. En cet instant, il préférait écrire à Jacques Reverdi plutôt que de refaire l’amour avec cette prostituée. Il préférait être Élisabeth Bremen plutôt que Marc Dupeyrat.

44

L’axe était un des restaurants les plus « tendance » de Paris. Khadidja en avait déjà entendu parler, et elle redoutait le pire. Mais au premier coup d’œil, elle apprécia l’architecture. Un grand espace blanc, épuré, où s’alignaient une rangée de compartiments ouverts. Sur le mur opposé, un comptoir étroit courait, accentuant encore les perspectives du lieu.

Ces lignes claires lui rappelaient l’un de ses vieux rêves. Elle espérait un jour pouvoir visiter une chapelle, située à Ibaraki, au Japon, dont elle avait vu des photos. L’architecte, Tadao Ando, avait creusé dans le mur du fond deux axes, vertical et horizontal, par lesquels le soleil pénétrait et dessinait une croix. Khadidja adorait cette idée : une croix de lumière pure. Lorsqu’elle aurait l’argent nécessaire, elle se l’était juré, elle irait au Japon, se recueillir dans cette chapelle. C’était son but secret.

En fait de chapelle, Vincent rota :

— Désolé. Petit SOS de mon organisme.

Il se hissa sur la pointe des pieds :

— Je sais pas ce qu’ils foutent, là, à nous faire attendre…

Ils se tenaient dans le vestibule, faiblement éclairé. Il régnait dans cette antichambre l’impatience ordinaire des restaurants branchés, où chacun attend, fébrile, sa table, craignant d’être mal placé ou, pire encore, refoulé. Khadidja se sentait insouciante au contraire. Elle aurait pu dîner n’importe où avec Vincent. Elle était seulement curieuse de savoir ce qu’il souhaitait « fêter » ce soir.

Ils furent placés à l’une des meilleures tables. Un compartiment de caillebotis, qui sentait bon la résine.

— Je te préviens, avertit Vincent en ôtant sa veste, ici, c’est frugal. Plutôt du genre « Anorexiques Anonymes ».

Khadidja l’appréciait de plus en plus. Gros, large et sans gêne, il paraissait prendre un vrai plaisir à emmerder tout le monde. Sa chemise était toujours maculée de taches. De larges auréoles décoraient ses aisselles. Et il diffusait une odeur qui ne devait rien aux fragrances raffinées vantées par les magazines. Dans le milieu de la mode, Vincent était un constant pavé dans la mare. Mais un pavé en pierre ponce, qui éclaboussait et refusait de couler.

Khadidja lut la carte avec soin, se régalant des associations de mots, de genres, et même de langues. Les noms d’épices croisaient ceux des salades paysannes. Les viandes les plus classiques se saupoudraient de sucre et de saveurs douces. Des poissons de la Baltique rencontraient des légumes tropicaux.

Elle-même appartenait à cette culture métissée. Elle n’avait jamais foutu les pieds au Maghreb mais elle agrémentait son look ordinaire — veste et jean — d’éléments ethniques, tendance Sahara. Lourds bijoux d’argent, tuniques moirées, parfum entêtant mêlant le jasmin et le musc… Elle s’était même teint les doigts au henné.

— T’as choisi ? demanda Vincent.

— Je n’y comprends pas grand-chose.

— Tu veux que je t’explique ?

— Non. Je m’en fous.

Vincent ricana :

— Plus snob que les snobs, hein ?

— Je garde mes distances, c’est tout. Je viens de Gennevilliers. Une cité qu’on appelait « La Banane ». Tu vois le genre. Je tente ma chance dans ce métier pour gagner ma vie. Pas pour changer de peau.

Vincent porta un toast — il avait déjà commandé un cocktail glacé, couronné de fines pépites de sel :

— À La Banane !

À cet instant, Khadidja nota un détail qu’elle n’avait jamais remarqué. Vincent portait une marque à l’annulaire de la main gauche.

— Tu as été marié ?

Machinalement, Vincent regarda ses doigts. Une ombre passa sur ses traits. Il hocha lentement la tête.

— Un mauvais souvenir ?

— Disons que je me suis brûlé à ce jeu-là.

Khadidja ne dit rien. Elle devinait que Vincent allait développer la confidence. Il ajouta, en effet :

— Pour moi, le mariage, ç’a été un genre d’incendie chimique.