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Sa bouée, sa borne, son seul repère.

Il tendit le bras et attrapa la machine.

Objet : RANONG — Reçu le 3 juin, 8 h 10.

De : sng@wanadoo.com

A : lisbeth@voila.fr

Mon amour,

Tu as pénétré dans la Chambre de Pureté et, sans le savoir, tu as pénétré « Son » cœur. Le cœur palpitant de l’Artisan Suprême. Une nouvelle fois, tu as compris l’indice. Une nouvelle fois, tu es entrée en intelligence avec Son Œuvre.

Lise, j’aime tes mots, tes déductions, tes conclusions. Ta manière de saisir et de décrire l’Indicible. De t’insinuer comme une eau claire dans Son Sillage.

Maintenant, il n’existe plus qu’un seul secret à découvrir. Les autres indices, les autres étapes n’étaient que des marches pour accéder à ce but.

La Couleur de Vérité.

Tel est le dessein de l’Œuvre : apercevoir, durant quelques fractions de seconde, la Couleur de Vérité, qui est aussi la Couleur du Men songe.

Si tu suis précisément mes instructions, tu pourras toi-même, sinon la contempler, du moins l’imaginer.

Désormais, la procédure de nos échanges doit se modifier. Pour des raisons que je t’expliquerai plus tard, il va y avoir ici, à Kanara, du grabuge. Je risque de ne plus pouvoir t’écrire ni te lire durant plusieurs jours.

J’associe donc à ce message plusieurs « documents joints », que tu devras consulter dans l’ordre chronologique. Attention : tu ne pourras lire chaque message qu’après avoir exécuté les indications du précédent. Cette condition est essentielle. D’ailleurs, tu ne comprendras leur signification qu’en respectant cette règle.

La Quête touche à sa fin, mon amour. Lorsque tu posséderas l’Ultime Connaissance, je serai, en un sens, libéré. Je serai nu devant toi Et tu seras revêtue de lumière.

Alors, nous pourrons nous unir.

Je t’aime.

JACQUES

Marc préférait ne pas s’attarder sur ces déclarations d’amour. Que voulait-il dire quand il promettait de s’unir à Élisabeth ? Il ne voulait pas non plus réfléchir aux nouveaux termes du jeu de piste : « la Couleur de Vérité », « la Couleur du Mensonge ». L’habituelle sauce ésotérique.

Il devait, simplement, s’en tenir aux ordres. Il ouvrit le premier document joint, rédigé sur le logiciel Word.

Où que tu sois à Phuket, retourne au centre de l’île et prends la 402. Oriente-toi vers l’aéroport. Tu trouveras sur cette route le Bangkok Phuket Hospital.

Au service des urgences, un bureau est ouvert à l’intention des prostituées et des toxicomanes. Ce service offre des soins gratuits ainsi que des objets de prévention — des préservatifs, mais aussi des seringues hypodermiques.

Va là-bas et récupère une seringue sous vide. Alors, seulement, tu ouvriras le deuxième document joint.

Un flux de glace reflua dans ses veines. L’évocation d’une seringue impliquait une injection — ou un prélèvement. Sur quoi ? Sur qui ? Il n’y avait pas mille réponses : Jacques Reverdi l’orientait maintenant vers l’une de ses victimes. Le prélèvement serait à effectuer sur un cadavre.

Au fond, il n’était pas étonné par ce dénouement. Il l’avait toujours pressenti. Son Initiation devait s’achever dans un des sanctuaires du tueur. Reverdi avait tué de nombreuses fois. Où étaient ces corps ? Comment les cachait-il ? La réponse était au bout des « documents joints », mémorisés dans son ordinateur. Il fut tenté de les ouvrir tout de suite — il y en avait sept — mais il se ravisa. Il devait suivre les règles. La stratégie du maître.

Il déboula à l’hôpital à quatorze heures. Le ventre vide, l’esprit enfiévré. L’acquisition de la seringue ne posa aucun problème. Pas une question, pas un formulaire à remplir. Le service était habitué à une clientèle déglinguée. Et Marc avait la tête de l’emploi. D’ailleurs, un médecin voulut l’ausculter. Il refusa mais demanda « somethingfor headache ». Il avait une migraine à fendre le crâne.

Marc avala son aspirine et embarqua la boîte, à titre de réserve. Sur le parking de l’hôpital, il lut le deuxième document.

Prends de nouveau la route du continent, direction Takua Pa. Cette fois, poursuis ton chemin. Direction Ranong, près de la frontière birmane. Il y a environ quatre cents kilomètres à parcourir. Soit dix heures de conduite.

N’hésite pas à t’arrêter pour dormir car tu devras parvenir aux environs de Ranong de jour. Pour repérer le signe, au bord de la route. Cherche le cercle, ma douce. L’œil dans la terre. Dès que tu l’apercevras, tu ouvriras le document suivant.

Sois patiente : tu ne cesses de t’approcher de moi…

Il roula plein nord.

Halluciné, tremblant, avec la seringue sous plastique qui roulait sur son siège passager. À la tombée de la nuit, il n’avait même pas atteint Takua Pa. Il s’arrêta dans un « resort », constitué de bungalows engrappés sur une colline, face à la mer. Il s’endormit à vingt heures, sans même avoir allumé son ordinateur.

À cinq heures, le lendemain, il était de nouveau au volant.

En pleine nuit, la route creusait la jungle noire. Peu à peu, la végétation devint grise, puis, à mesure que l’horizon s’éclairait, les murailles passèrent au bleu. Les lianes, les arbres, les feuilles prirent l’apparence d’une forêt d’épingles. De lentes vapeurs s’élevèrent des frondaisons — la canopée s’éveillait. Enfin, le bleu s’arracha de l’ombre pour devenir fraîcheur, fertilité, luxuriance. Le vert. Une pyrotechnie de feuillages et de cimes…

Marc ne quittait pas des yeux l’asphalte, cadrant en même temps l’horloge du tableau de bord. À dix heures, il dépassa Takua Pa. À midi, Khuraburi. Les panneaux annonçant Ranong se multipliaient. S’il ne lâchait plus l’accélérateur, il pouvait parvenir à la frontière birmane avant seize heures.

À cinquante kilomètres de Ranong, les voitures s’espacèrent. Plus l’ombre d’un car ni d’un touriste. La région retrouvait sa majesté primitive. À ce moment, la forêt chauffée à blanc semblait près de s’enflammer. Les sucs, les sèves, les résines s’évaporaient en parfums, essences, gaz inflammables… Pourtant, Marc grelottait dans sa voiture, la climatisation réglée à fond. Lorsqu’il essuyait la sueur de ses paupières, il avait l’impression de toucher du gel. « Cherche le cercle », se répétait-il. « L’œil dans la terre. » Il ne cessait d’observer les vallées qui se déroulaient en contrebas de la route. Que devait-il trouver ? Un panneau ? Une construction ? Une route ?

À vingt kilomètres de Ranong, il remarqua une canalisation béante, émergeant d’un coteau. Il ralentit. Le cylindre de béton ressemblait à un organe crevé, jaillissant d’un ventre ouvert. Marc nota qu’il s’était trompé d’échelle. L’objet était beaucoup plus loin qu’il n’avait cru : au fond du précipice. C’était un véritable chantier abandonné.

La première sphère, énorme, surplombait des coudes, des tronçons de métal enlisés dans la boue. Soudain, dans l’ombre des parois, des hommes apparurent, plus petits que des fourmis. Ils portaient tous des lampes frontales, encore allumées. Des mineurs. Marc comprit qu’il était arrivé. L’œil dans la terre : une mine. Il se gara au bord de la route et ouvrit le troisième document.

Après le cercle, tu prendras la première route à gauche. Au bout de cinq kilomètres environ, tu trouveras un embarcadère. Ne cherche pas de panneau : ce n’est même pas un port. Juste un ponton d’où partent les pêcheurs d’ambre, qui se risquent au-delà de la frontière birmane.