«J’en étais arrivé là quand nous nous rendîmes sur les lieux. Je vous ai étonné quand j’ai cogné le sol avec mon stick; mais je me demandais si la cave était située sur le devant ou sur l’arrière de la maison. Au son, je sus qu’elle n’était pas sur le devant. Ce fut alors que je sonnai; j’espérais bien que le commis se dérangerait pour ouvrir. Nous avions eu quelques escarmouches, mais nous ne nous étions jamais vus. Je regardai à peine son visage: c’était ses genoux qui m’intéressaient. Vous avez pu remarquer vous-même combien à cet endroit le pantalon était usé, chiffonné, et taché: de tels genoux étaient révélateurs du genre de travail auquel il se livrait pendant des heures. Le seul point mystérieux qui restait à élucider était le pourquoi de ce tunnel. En me promenant dans le coin, je constatai que la Banque de la City et de la Banlieue attenait à la maison de Jabez Wilson. Quand vous rentrâtes chez vous après le concert, j’alertai Scotland Yard et le président du conseil d’administration de la banque; et la conclusion fut ce que vous avez vu.
– Et comment avez-vous pu prévoir qu’ils feraient dès le soir leur tentative?
– A partir du moment où le bureau de la Ligue était fermé, il était certain qu’ils ne se souciaient plus que Jabez Wilson fût absent de chez lui. Par ailleurs, il était capital de leur point de vue qu’ils se dépêchassent, car le tunnel pouvait être découvert, ou l’or changé de place. Le samedi leur convenait bien, car ils avaient deux jours pour disparaître. C’est pour toutes ces raisons que je les attendais pour hier soir.
– Votre logique est merveilleuse! m’écriai je avec une admiration non feinte. La chaîne est longue, et cependant chaque anneau se tient.
– La logique me sauve de l’ennui, répondit-il en bâillant. Hélas! je le sens qui me cerne encore!… Ma vie est un long effort pour m’évader des banalités de l’existence. Ces petits problèmes m’y aident.
– Et de plus, vous êtes un bienfaiteur de la société, ajoutai je.
Il haussa les épaules: «Peut-être, après tout, cela sert-il à quelque chose! “L’homme n’est rien; c’est l’œuvre qui est tout”, comme Flaubert l’écrivait à George Sand.»
(août 1891)