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L’un d’eux, le plus imposant, déploya ses ailes en grognant. Kerian sentit ses cheveux se dresser sur sa nuque. Elle serra son couteau – sa seule arme... Face à de telles créatures, elle était cruellement démunie. Dans un monde où la magie coulait comme d’une passoire, elle regretta amèrement de ne pas avoir de talisman susceptible de les rendre invisibles, Ayensha et elle...

Respirant à peine, elle vit une lame lancer un éclair, puis entendit un cri d’agonie. Le plus petit draconien tomba de la corniche et s’écrasa sur un rocher, mort avant d’avoir touché le sol.

Ses compagnons ne daignèrent pas jeter un coup d’œil au cadavre, en contrebas. Le meurtrier essuya sa lame sur son manteau et la rangea. Un autre rit. Un troisième grogna...

Ils étaient déjà repartis quand le sang noir de leur victime se transforma en acide...

— Ne restons pas ici, dit Ayensha.

— Où irons-nous... ?

— Ailleurs, dans un endroit plus sûr qu’ici en tout cas... Tu peux me suivre ou rester. Choisis.

— Mais mon frère... dit Kerian.

— Il s’est débrouillé sans toi jusqu’à maintenant, non ?

La puanteur de l’acide leur piquait les yeux, leur brûlant la gorge et le nez.

Les deux elfes partirent dans la direction opposée à celle qu’avaient prise les draconiens, avec l’espoir que les monstres ne reviendraient pas sur leurs pas. Attentive au murmure du vent dans les pins, Kerian respira à pleins poumons l’air pur de la nuit.

Quand elles se furent installées dans une autre grotte, elle éprouva un grand soulagement à l’idée de s’étendre sur un lit de branchages et de feuilles dont l’odeur était celle d’un éternel automne.

Elles dormirent.

Le ciel commença à rosir...

Campée devant la grotte, Ayensha s’appuyait sur son bâton, plus par habitude que par besoin. Elle avait repris des forces, grâce aux petits gibiers que Kerian attrapait et aux poissons qu’elle pêchait dans les ruisseaux.

La nuit, elle dormait bien. Et le soleil avait chassé la pâleur de ses joues.

Ayensha guida Kerian à travers un labyrinthe de gorges. À certains endroits, elles durent se mouiller les pieds, même en escaladant les parois, car l’eau montait haut. Dans le lointain, un grondement sourd se rapprochait peu à peu... Les parois devinrent plus hautes. Les elfes atteignirent la source de la rivière, qui jaillissait d’une fissure.

Ayensha puisa de l’eau.

— Une rivière souterraine... À certains endroits de la forêt, on dit qu’il y aurait plus d’eau sous le sol qu’au-dessus...

— C’est ce que nous entendons ?

— Non, c’est Éclair, une cascade.

Elles continuèrent, et le passage rétrécit bientôt tellement que Kerian dut avancer de profil. Le grondement devint assourdissant, le ciel distant et la gorge ténébreuse... Les muscles de Kerian protestaient.

Guidées par une lumière lointaine qui semblait ne jamais se rapprocher, les deux elfes mangèrent en marchant.

Enfin, le col s’élargit de nouveau, laissant entrevoir la pureté du ciel, dont la luminosité soudaine aveugla Kerian.

— Le soleil de midi..., lâcha Ayensha.

Midi seulement ! Kerian avait l’impression de marcher depuis une éternité...

— Garde le dos à la paroi, nous y sommes...

Le défilé formait un coude. Et au-delà...

— ... presque.

L’immense cascade que les elfes appelaient Éclair et les nains Tonnerre semblait tomber du ciel.

Tonnerre !

Devant la lumière aveuglante et le rugissement assourdissant de la cascade, Kerian eut le souffle coupé.

— Nous y sommes presque, répéta Ayensha en souriant.

Kerian cilla.

— Où ça ? Je vois de l’eau et rien que de l’eau...

Sa compagne sur les talons, Ayensha contourna le lac.

— En des temps immémoriaux, dit-elle, des volcans jaillirent de la face du monde et crachèrent le feu. La terre se craquela et – ici – , se déroba si brutalement que la rivière tomba dans ce cratère de lave.

— Le Cataclysme..., souffla Kerian, intimidée.

— Non, c’était bien avant qu’on ne nomme les âges et que les dieux s’intéressent à Krynn. Mon peuple connaît cette légende depuis toujours.

En silence, émerveillées, les deux elfes contemplèrent le voile scintillant de la cascade, se moquant d’être éclaboussées par l’écume. Ayensha attirant son attention dessus, Kerian remarqua une curieuse formation géologique en escalier. Au fil des siècles, l’eau avait creusé des marches dans la roche. Un passage naturel montait entre la cascade et la falaise.

Sur un signe d’Ayensha, Kerian la suivit prudemment. L’humidité rendait la roche aussi glissante que si elle était couverte de givre. Les elfes durent s’accrocher aux aspérités, se hissant parfois à la force des poignets. Quand Kerian risqua un regard par-dessus son épaule, elle vit qu’elles étaient à un tiers seulement de la hauteur de la falaise. L’eau vive frappait la roche dans un chaos d’écume bouillonnante.

Relevant les yeux, elle vit Ayensha, campée au bord d’une corniche, lui faire signe. Le front pressé contre la roche, Kerian inspira profondément, puis rassembla son courage et recommença à grimper. Dès qu’elle fut à portée, Ayensha la prit par le poignet pour la hisser à ses côtés.

Kerian découvrit un renfoncement obscur. Derrière elle, Éclair cascadait avec la voix de Tonnerre, jetant des rubans argentés dans l’ombre...

Adossée à la paroi, tremblant comme une feuille, Kerian ferma les yeux à l’instant où une lumière apparaissait.

Ayensha tendit à sa compagne une grosse chandelle, prise sur une « étagère » naturelle.

— Maintenant, suis-moi !

La lumière de la chandelle bondissant sur les parois, elles s’enfoncèrent dans une galerie. Le bras droit de Kerian lui faisait mal, mais elle refusait de trahir la moindre faiblesse devant sa compagne.

Enfin, Kerian aperçut la lumière du jour... aussitôt occultée. Avec un soupir de soulagement, Ayensha souffla la chandelle.

Une voix rauque s’éleva.

— Nous n’espérions plus te revoir, mon enfant...

Un elfe tendit les bras. Chancelant de fatigue, Ayensha s’y blottit, et il la serra contre lui, écoutant ce qu’elle lui murmurait.

Puis il gémit de chagrin, étreignit Ayensha et la guida vers la lumière.

Se sentant injustement ignorée, Kerian les suivit.

IX

Nayla, Haugh et leurs chiens se dirigeaient vers une forge située près de la Rivière de la Chevelure d’Argent, un bras de la Blanche Furie qui coulait à l’est de Sliathnost. Le forgeron était un ami de confiance. Avant de rencontrer Nayla, Haugh avait passé un été avec sa fille, Frealle.

Malgré elle, Nayla se posait des questions, étonnée de constater qu’après tant d’années, Haugh connaissait encore si bien le chemin.

Par le passé, il avait collectionné les conquêtes féminines...

Nayla s’arrêta près d’une grande roche, face à la Chevelure d’Argent. Lutte, un des chiens, fit halte près d’elle.

Le vent d’est leur apportait la fraîcheur des neiges des monts Kharolis.

Le second canidé, Attaque, fourra sa truffe dans la main de Haugh, qui lui gratta distraitement le museau, son attention tournée vers le ciel.

Oreilles aplaties sur le crâne, Attaque grogna...

Haugh appela Nayla sans obtenir de réaction et jeta des regards anxieux à la ronde.

— Nayla..., murmura-t-il.

Elle se retourna enfin, la mine décomposée.

Attaque sur les talons, Haugh courut la rejoindre, et baissa les yeux sur Sliathnost. On eût dit qu’un dragon avait ravagé le village... Plus une mansarde ou une échoppe ne s’y dressait.

Rien qu’une grosse cicatrice noire d’où montaient des volutes de fumée.

— Au nom de tous les dieux...

Les yeux de Nayla lancèrent des éclairs.

— Au nom de cette maudite Béryl ! Et du damné Chevalier du Crâne ! Quant à ce fichu nain... Pourquoi a-t-il fallu qu’il donne un couteau à cette idiote au lieu de se tenir tranquille ?