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Elle ravala ses sanglots.

Son compagnon lui serra l’épaule, puis lui prit la main. Elle se dégagea avec un gémissement et dévala la colline, Lutte sur les talons.

Haugh la rattrapa devant les décombres fumants de la Taverne du Lièvre et du Chien de Chasse.

— Nayla...

Elle se faufila entre les ruines, Lutte et Attaque reniflant dans les coins. Haugh s’étonna de n’entendre aucun bruit. Le drame n’avait pas deux jours, car des braises couvaient encore sous les murs écroulés. Pourtant, on ne voyait pas de corbeau dans les nuées, ni de loup dans les rues désertes...

Quelle force invisible détournait les carnivores et les nécrophages de leur nature profonde ? L’endroit aurait dû en être envahi !

Mais rien ne bougeait.

— Nayla, je n’aime pas...

Elle leva une main.

Une haute silhouette émergea de derrière les vestiges de la grande cheminée. La peau brunie par le soleil, de longs cheveux argentés, le nouveau venu avait tout l’air d’un esprit de la forêt... Les bras et la poitrine tatoués, les yeux à glacer les sangs...

Ceux d’un elfe sauvage.

Nayla leva la main vers le couteau pendu à sa ceinture.

L’inconnu ne daigna pas froncer un sourcil.

— Qui es-tu ? demanda Haugh. Et que fais-tu là ?

L’accent cultivé de Qualinost, qu’aucun déguisement n’aurait pu faire oublier, n’impressionna pas le Kagonesti. Son regard vola vers le village martyr, avant de revenir se poser sur Haugh.

— La même chose que vous. Je jette un coup d’œil.

Nayla n’était pas d’humeur.

— Nous savons ce qui se passe dans la forêt, Kagonesti. Les tiens y pratiqueraient une étrange magie...

L’elfe sauvage haussa les épaules et détourna les yeux. Mais Haugh eut le temps d’y voir une lueur suspecte.

— Qualinesti, ta compagne parle-t-elle toujours aussi fort?

Des éclairs invisibles semblèrent crépiter entre les trois protagonistes.

Haugh se força au calme.

— Kagonesti, beaucoup de Qualinestis, nos amis, ont été massacrés ici. Nous ignorons qui a survécu, et qui est mort. Nous recherchons une de nos amies, une jeune elfe sauvage.

— Une amie à vous ? Et pourtant, vous croyez les Kagonestis responsables de ce massacre ?

— Non. (Haugh regarda les ruines.) Nous pensons que c’est l’œuvre des Chevaliers de Néraka.

Le Kagonesti hocha la tête.

— En effet. Nous les avons vus faire.

Nous les avons vus faire...

Nous...

— Vous avez vu les chevaliers incendier ce village ? explosa Nayla, hors d’elle.

Il acquiesça.

— Et vous n’avez rien tenté ?

— Pour les en empêcher ? Non. Nous étions seulement quatre. En outre, nous n’intervenons pas dans les affaires des citadins et des humains qu’ils ont accueillis...

Folle de colère et de chagrin, Nayla se redressa de toute sa taille.

— Kagonesti, sois plus respectueux envers tes supérieurs !

Un sourire flotta sur les lèvres de l’elfe sauvage.

— Dame du Qualinesti, sois plus courtoise.

En deux longues enjambées, Haugh s’interposa entre le Kagonesti et Nayla. Il tenait ostensiblement les mains loin de ses armes.

L’elfe sauvage se retourna, et Nayla tira son couteau.

— Non ! cria le Kagonesti. Non !

Haugh reçut une flèche dans le dos et tomba dans les cendres. Le sang battant à ses tempes, il eut l’impression que le monde sombrait dans le chaos...

Venu de très loin, un aboiement furieux lui parvint. Suivi par des glapissements pathétiques.

Une main se posa sur l’épaule du blessé.

— Ne bouge pas, dit le Kagonesti.

Haugh entendit des éclats de voix sans en comprendre le sens... Les paroles n’étaient plus que des borborygmes inintelligibles.

D’autres mots résonnèrent sous son crâne.

Trouve-la, Haugh. Ramène-la-moi saine et sauve...

Et il avait donné sa parole au roi.

— Écoute... La jeune elfe sauvage... Kerianseray... Ma bourse...

Cheveux d’Argent la tira de sous la chemise de Haugh, puis l’ouvrit et la vida sur sa paume.

Un anneau d’or scintilla au soleil.

— Il appartient au roi. Retrouve son double... La jeune elfe... saura... ce que ça signifie.

Soudain transi jusqu’aux os, Haugh sentit la vie le quitter. Ses lèvres formèrent un nom.

Nayla...

Il rendit son dernier soupir, rejoignant sa Nayla, étendue morte dans les cendres.

En débouchant dans la clairière, Kerian découvrit une cuvette de pierre, au pied d’une pente escarpée semée de pins. Quatre petits feux de camp formaient un demi-cercle. L’endroit était abrité du vent, et comptait un seul accès. Le grondement distant de la cascade se mêlait aux soupirs du vent.

— Qui es-tu ?

Un homme riva un regard froid sur la jeune elfe. Ses cheveux striés de gris avaient dû être châtains, avec des reflets roux. Si ses traits étaient elfiques, ses oreilles pointues et ses yeux en amande, sa pilosité faciale trahissait une ascendance humaine.

Autour de lui, des voix murmurèrent :

— Qui es-tu ?

— Comment est-elle arrivée ici ?

— Une espionne !

Kerian eut soudain peur.

— Es-tu une espionne ? insista le demi-elfe.

L’elfe sauvage frémit. Ayensha, qui aurait dû prendre sa défense, ne disait rien. Après avoir attiré Kerian dans cet endroit, elle semblait disposée à l’abandonner à son sort.

D’une voix ferme et claire, Kerian répondit :

— Je ne suis pas une espionne. Gardez vos secrets. Je suis arrivée avec Ayensha et...

— Ton nom, fillette ! coupa le demi-elfe.

Kerian s’empourpra.

Fillette...

Dar l’avait jadis appelée « Tortue ».

— Je suis Kerianseray, des Balbuzards Blancs, répondit-elle, le front plissé. Mon père était Dallatar, le chef de notre tribu. Son épouse lui a donné deux enfants, et tous les elfes savent que c’est une grande richesse. Avant l’arrivée de Béryl, les miens vivaient dans cette forêt, avec mon frère Iydahar. (La tête haute, elle ajouta :) J’ai passé des années loin de ma famille, à Qualinost. Dis-moi, quel est ton nom ?

Ayensha murmura au demi-elfe quelque chose qui sembla le rassurer. Il lui passa un bras autour des épaules tout en étudiant Kerian.

— Tu as tué un chevalier ?

— Oui. (Revoyant les blessures et l’air tourmenté d’Ayensha à son arrivée dans la taverne, elle ajouta :) J’ai tué un porc de chevalier ! Une bonne chose, ou tu pleurerais sur le cadavre de ton amie maintenant, au lieu de la serrer contre toi !

« Il est temps de te présenter, demi-elfe.

— Jeratt Volvrai... (Il regarda les collines et la galerie creusée dans la falaise, puis lâcha Ayensha.) J’appartiens à cet endroit.

— Jeratt Volvrai, je ne suis pas ici pour espionner. J’ai quitté Qualinost afin de retrouver mon frère, qui... (Elle hésita à donner trop d’informations sur Iydahar.) J’ai cru qu’il avait des ennuis, mais en cinq jours, je crois en avoir accumulé plus que lui.

— C’est ainsi, fillette.

— Je te l’ai dit, je m’appelle Kerianseray. Si tu préfères, tu peux m’appeler Kerian. Mais si j’entends encore le mot « fillette », tu le regretteras.

Jeratt inclina la tête avec une courtoisie feinte.

— Et comment ferais-tu, fillette ?

Vive comme l’éclair, Kerian lança sa jambe droite, lui crocheta le genou et le fit tomber à la renverse. Puis, menaçante, elle laissa sa jambe levée au-dessus des reins du demi-elfe au souffle coupé.