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La quatrième atteignit le monstre sous le cou.

Il brailla en griffant la hampe. La porte de la taverne s’ouvrit, et une voix humaine lança une question.

Kerian serra l’épaule de Bayel. Les cris de guerre stridents que les chevaliers avaient appris à détester éclatèrent dans la nuit.

Kerian et ses guerriers convergèrent vers la taverne. Un premier elfe mourut victime de l’étreinte mortelle d’un draconien. La puanteur de l’acide et des chairs brûlées flotta dans les airs, bientôt mêlée à celle du sang versé.

Son visage restant dans l’ombre, un chevalier bloqua la porte, épée tirée. Kerian bondit sur le porche et le sang de l’humain gicla de son poignet tranché. D’un coup de pied, l’elfe écarta la main coupée qui serrait toujours l’arme. Le chevalier mutilé hurla... D’un seul coup, Kerian le fît taire.

Un autre hurlement retentit derrière la taverne. Humain ou elfique ?

S’engouffrant dans la taverne, Kerian plongea dans la mêlée.

— Chienne !

Épée levée, elle fit volte-face pour bloquer une attaque brutale. L’impact fut si violent que toute son épaule vibra.

Kerian recula. Son adversaire pressant son avantage, elle manœuvra adroitement pour qu’il se retrouve dos à la porte... Du coin de l’œil, elle vit Wael s’enfuir par-derrière.

Le chevalier abattit son épée. Loin de tenter de résister, Kerian feignit de se soumettre. Les yeux de l’humain flambèrent de haine. L’elfe recula encore, puis se retourna vivement, son épée décrivant un cercle argenté sous la lumière rougeâtre. Déséquilibré par son élan, l’homme trébucha...

Kerian frappa à la vitesse de l’éclair.

— Kerian ! cria Bayel.

Elle se retourna et vit, comme jailli des flammes, un draconien se précipiter sur elle...

L’affronter, c’était mourir avec lui.

— Baisse-toi ! hurla Bayel.

Kerian tomba à genoux dans le sang du chevalier qu’elle venait d’occire.

Deux flèches sifflèrent au-dessus de sa tête... et manquèrent leur cible. Bayel se jeta à terre.

Kerian découvrit devant elle Thullea, une elfe des vallées du Nord...

Un trait d’argent vola dans les airs... Le draconien s’écroula en hurlant, une dague elfique plantée dans l’œil.

Kerian se releva et poussa Bayel dehors...

... Où il régnait un silence « assourdissant », classique après une bataille. Les Ombres de la Nuit entouraient deux chevaliers ficelés.

Wael regardait sa taverne se consumer.

Les rebelles n’eurent pas à attendre longtemps que Jeratt et ses guerriers les rejoignent. Trois sur seize avaient péri.

— Notre piège a fonctionné, dit Jeratt. (Il baissa les yeux.) Hélas, Thagol s’est échappé. Il nous a glissé entre les doigts.

Les vainqueurs évoquèrent leurs pertes et leurs souffrances. Kerian regrettait de n’avoir pu tuer Thagol là à l’endroit où il avait torturé Felan à mort... Elle lui ferait payer cher tous ses crimes.

La chaleur de l’incendie força les elfes à reculer vers le croisement. Ils entraînèrent leurs prisonniers avec eux.

Puis Kerian ordonna leur exécution.

— Qu’on escorte Wael en lieu sûr, ajouta-t-elle.

— Et le Chevalier du Crâne ? demanda Jeratt.

— La nuit n’est pas finie...

Le demi-elfe comprit.

Bayel, cinq autres elfes et lui longèrent la route de Qualinost en passant par les bois. À la tête du second groupe, Kerian suivit une trajectoire parallèle.

Une heure avant l’aube, ils tombèrent sur le convoi de chariots. Les six chevaliers et les quatre draconiens qui assuraient le tour de garde entendirent le cri d’un engoulevent. Les autres le perçurent dans leur sommeil... Beaucoup de chevaliers moururent avant de comprendre ce qui leur arrivait. Les Ombres abattirent les draconiens à l’arc, et les flaques d’acide firent de nombreuses victimes.

Kerian détacha les chevaux, qui s’égaillèrent dans les bois. Puis Jeratt, Bayel et elle prélevèrent des armes dans un des chariots et les distribuèrent. Dans un autre, ils puisèrent quatre sacs de pièces d’acier.

L’un d’eux serait remis au tavernier.

— Les autres seront pour la veuve de Felan. Donnez-lui aussi une bonne épée – le legs de Felan à leur enfant.

Les rebelles brûlèrent les chariots, ne laissant rien d’utilisable. Avant que la fumée puisse donner l’alerte, les guerriers, redevenus de simples fermiers, rentrèrent dans leurs pénates.

Thagol comprendrait que tout le royaume se soulevait...

XV

Cet hiver-là, à l’est du royaume, il y eut de joyeuses retrouvailles quand Jeratt et Kerian retournèrent au camp de la Cascade de l’Éclair.

— Ou Tonnerre, comme l’appellent les nains..., rappela Ander à Bayel.

Le jeune elfe s’était intégré aux hors-la-loi.

Fort de sa réputation, Jeratt fut chaleureusement accueilli par les exilés.

Kerian leur revenait aussi, mais bien changée... La servante trop éloignée de son héritage avait été l’élève méritante de Jeratt dans l’art délicat de la survie.

— Aujourd’hui, on ne la reconnaît presque plus ! s’exclama Bruyère, une elfe aux cheveux roux qui partageait sa couche avec un guerrier blond. Regarde-la... Bon sang, quelle démarche !

Kerian avait cru qu’il y aurait des tensions car Jeratt, jadis le chef, cédait de plus en plus d’autorité à sa protégée. Mais comme il s’en fichait, personne n’y trouvait à redire.

— Elle est ce qu’elle est, dit Jeratt à ses amis, une nuit. Je suis ce que je suis. Ensemble, nous formons une bonne équipe contre l’orage qui se prépare.

L’Ancienne ne fit pas de commentaires, mais Jeratt, qui la connaissait depuis longtemps, comprit en restant à l’écoute de la forêt, de l’air et de la pierre, qu’elle était contente.

Alors, une étrange conversation s’engagea.

Sans en être sûre, Kerian voyait en l’Ancienne une chamane versée dans la magie de la terre, un Art oublié depuis des lustres par les Qualinestis et leurs aristocratiques cousins, les Silvanestis... Dans un monde déserté par la magie, où même les talismans légendaires perdaient de leur efficacité, l’Ancienne se servait des murmures de la terre.

Communiquer avec la chamane n’était jamais facile. Parfois, Kerian avait l’impression de plonger dans un maelström, tant son interlocutrice respirait la magie par tous les pores de sa peau... Et ce dans un monde que l’Art fuyait à la vitesse du vent ! Pourtant, aussi déstabilisantes et terrifiantes que fussent ces conversations, Kerian ne s’éloignait jamais de l’Ancienne sans l’impression tenace qu’elle aurait pu lever à sa guise une armée capable de tenir tête aux envahisseurs...

Une troupe susceptible de délivrer un roi prisonnier.

La ronde hivernale des chasseurs et des trappeurs recommença.

Kerian interdit les raids.

— Laissons nos ennemis tranquilles, pour l’instant, dit-elle. Ils ne perdent rien pour attendre !

De temps à autre, elle envoyait Bayel aux nouvelles, car les villageois et les chevaliers de la région ne le connaissaient pas. Il fréquentait les tavernes et les forges, où les langues se déliaient, et il rendait visite aux fermiers... Ainsi, il apprit que Chance le Bourreau n’avait pas oublié Kerianseray. L’homme traquait toujours les Kagonestis, qui se faisaient rares dans cette partie du royaume.

Bruyère annonça à Kerian qu’une seule tribu subsistait au cœur de la forêt : les Balbuzards Blancs de son frère Dar.

Elle apprit aussi que Gilthas allait bien. Dès qu’elle entendit son nom, elle se languit de ses étreintes. Mais elle se résigna à sublimer son désir, s’abandonnant à des rêves sensuels...

La reine-mère était en bonne santé. Bizarrement, peu de choses avaient changé sur le plan politique. Les nobles considéraient comme un gain chaque jour qui passait sans qu’ils subissent de pertes majeures. Pour le moment, ce petit jeu ne coûtait pas trop cher, car Thagol, ses chevaliers et ses draconiens étaient à l’est du royaume depuis des mois, et la neige les empêchait de regagner la capitale.