Выбрать главу

Son compagnon hocha la tête et lui tendit la main, qu’elle serra à la manière rude des guerriers.

Vêtue de chausses épaisses, d’une chemise de laine et de bottes, elle s’éloigna dans la forêt...

Tous ses sens aux aguets, elle apprit où était son bien-aimé longtemps avant d’atteindre Qualinost. Les serviteurs, Laurana, quelques sénateurs et le roi s’étaient retirés dans la maison de chasse royale.

Ayant trompé la vigilance des gardes, de la reine-mère et de la domesticité, elle se faufila dans les appartements privés du roi.

Kerian se tenait dans le carré de lumière qui tombait de l’ouverture au plafond...

Rouvrant les yeux, Gilthas vit sa bien-aimée baignée de lumière, et il ne sursauta pas.

Il s’assit sur ses draps.

— Kerian... J’ai rêvé que tu venais. J’entendais tes pas.

— Tu n’as pas rêvé, mon doux seigneur.

Il lui tendit les bras. En quelques vives enjambées, l’elfe sauvage combla la distance qui les séparait encore.

— Kerian, souffla Gilthas dans la masse soyeuse de ses cheveux. Est-ce bien toi ?

— Tu en as rêvé... Et maintenant, tu en douterais ?

En guise de réponse, il la serra dans ses bras. Conservés dans des tiroirs parfumés au bois de santal, ses vêtements de nuit fleuraient bon le savon et la propreté. Il étreignait pourtant sur son cœur une jeune elfe hirsute et crottée !

Puis il s’écarta doucement et se leva.

— Viens, tu dois avoir faim, mon amour...

Kerian secoua la tête.

— J’ai juste très envie d’un bain.

— Tu aurais parcouru tout ce chemin pour le privilège de prendre un bain ? Eh bien, qu’il en soit ainsi. J’appelle Planchet. Assieds-toi.

Nuit et jour, on tenait à la disposition du roi des chaudrons d’eau fumante. Dans la salle de bains, attenante à la chambre à coucher, Kerian se lava longuement, savourant sa détente, puis elle prouva à son amant combien il lui avait manqué.

Nichée dans ses bras, elle le regarda dormir, caressant une joue duveteuse, héritage de l’humain mystérieux qui avait engendré son père, Tanis Demi-Elfe.

Gilthas remua.

— Désolée de t’avoir réveillé...

— Eh bien, je ne le suis pas !

Il voulut la serrer fougueusement contre lui, mais elle l’en empêcha.

— Tu me crois rentrée pour de bon...

Ne sachant à quoi s’en tenir, il hocha la tête.

— Tu m’avais prévenue : si je partais, je ne pourrais jamais rentrer. Je ne t’ai pas écouté. J’ai beaucoup voyagé et accompli des actes dont je ne me serais jamais crue capable... Tu avais raison. Je suis de retour, mais à titre temporaire. Laisse-moi te raconter ce que j’ai vécu.

Elle commença par le drame de la Taverne du Lièvre et du Chien de Chasse, mentionna l’incendie de la Croisée des Chemins, puis évoqua ses étranges « retrouvailles » avec son frère – qui l’avait traitée en étrangère et qu’elle avait le sentiment d’avoir définitivement perdu. Se surprenant elle-même, elle passa sous silence l’existence de l’Ancienne, mais tressa des lauriers au demi-elfe Jeratt et au jeune Ander, dont le silence complice l’avait sauvée du pire.

Enfin, elle parla de Felan, de sa veuve et du pauvre bébé qui naîtrait sans père.

— Nous sommes des hors-la-loi, mon amour, et pourtant, nous ne devrions pas nous donner ce nom. Au fond, nous représentons bien davantage encore.

Gilthas tendit l’oreille. Elle éveillait son intérêt.

— Certains d’entre nous sont bel et bien des hors-la-loi, continua Kerian avec un sourire ironique. Les dieux disparus savent combien ma tête est mise à prix ! Mais la plupart de mes frères d’armes sont des Kagonestis ou des guerriers perdus du Silvanesti et du Qualinesti qui ont combattu aux côtés de ton oncle.

Dans le couloir, les amants entendirent Planchet s’adresser à une servante. Puis des bruits de pas se rapprochèrent et s’éloignèrent.

— Mon roi, reprit Kerian, vibrant de fierté, l’été et l’automne durant, nous avons constamment harcelé les chevaliers à l’ouest du royaume !

Planchet avait porté les vêtements à laver et à raccommoder. Mais il n’avait pas touché aux armes.

Au clair de lune, Kerian dégaina sa lame, qui scintilla.

— Par cette épée, sache-le, tu as l’allégeance de mon cœur et la loyauté de tous ceux qui ne renonceront jamais à leur liberté !

L’âme de poète de Gilthas s’enflamma.

Bientôt, l’aube pointerait.

Soudain, le jeune souverain se rembrunit.

— Pour nous, la situation se détériore..., avoua-t-il.

— L’alliance ?

— Depuis toujours, ma mère a placé tous ses espoirs dans une alliance avec les nains. Et aujourd’hui, nous en avons besoin plus que jamais. Béryl amasse ses trésors. L’occupant a signifié au Sénat de lui fournir un tribut plus conséquent en armes. (Gilthas eut un sourire amer.) Bien sûr, les versements d’or et de pierres précieuses ne devront pas baisser.

« D’après nos amis, les autres dragons voient tout cela d’un mauvais œil. Une fois que Béryl aura sous ses ailes une montagne de richesses, qu’en fera-t-elle ? Il nous faut absolument trouver une issue. C’est désormais une question de vie ou de mort !

Une issue !

Aussi soudain que l’éclat de la lune sur la lame de l’épée, le moment qu’attendait Kerian se cristallisa.

— Mon amour, tu as besoin de temps... Pour l’instant, nous n’avons aucun moyen de nous débarrasser de Béryl et de Thagol. Mais ce n’est plus notre objectif, n’est-ce pas ? Pour l’heure, il s’agit de les occuper jusqu’à ce que Thorbardin se décide...

« Je sais comment te gagner un répit. Je suis venue t’offrir des guerriers. Nous ne sommes pas nombreux, mais les elfes sauvages nous apprécient. Je crois pouvoir grossir nos rangs jusqu’à ce que ton armée ait une taille conséquente.

Rayonnant d’espérance, Gilthas dévisagea sa bien-aimée.

— Qui es-tu ? murmura-t-il, une note d’émerveillement dans la voix.

Kerian prit ses mains dans les siennes.

— Je croyais que tu le savais... La Rebelle du roi ! Je suis ton épée et ta maîtresse, mon seigneur. N’en doute jamais.

À la lumière dorée du feu, il la dévora des yeux comme il eût couvé du regard un puissant talisman magique.

Le sien.

Les amants abordèrent alors un sujet que nul n’avait osé évoquer depuis tant d’années d’occupation, et ce en dépit des exactions perpétrées par les chevaliers. Tandis que le sénateur Rashas et ses pairs, vendus à l’ennemi, jouissaient des largesses d’un roi qu’ils feignaient de respecter et d’honorer, Gilthas et son intrépide maîtresse parlèrent de résister à tout ce qu’ils avaient dû supporter jusque-là.

Le lendemain, par un jour gris et glacial, Kerian quitta son bien-aimé. Gilthas lui avait remis de la nourriture et une bourse pleine. Elle portait son arc à l’épaule et son carquois attaché à la cuisse. À son ceinturon, le couteau au manche en os qu’un nain lui avait donné et son épée ne la quittaient pas.

Vibrante d’espérance, Kerian retourna dans la forêt. Son rapport sur les Kagonestis était fondé. Elle tenterait de rallier les tribus et de les convaincre d’épouser la cause du roi.

À commencer par Dar.

Elle connaissait l’emplacement du camp du Vol de l’Aigle grâce à Jeratt, qui rendait souvent visite à sa cousine.

Son frère ne lui ferait pas un bon accueil. Mais Kerian s’en fichait. Il n’avait pas à lui dicter ses faits et gestes !

Quand elle le rejoignit, elle découvrit un être qui vacillait au bord du gouffre...

Les narines agressées par la puanteur des chairs brûlées et des os carbonisés, sous un ciel gris acier, Kerian trouva Iydahar agenouillé devant un cratère d’où montaient encore des volutes de fumée...