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Son sang gicla entre ses doigts et autour de la dague qui venait de le foudroyer.

— Non ! hurla Kerian.

— Pour Jeratt ! cria un guerrier.

Pour Ander ! Pour Felan !

Pour le Qualinesti !

Ils chargèrent. Les deux flancs composés de chevaliers et de draconiens se retournèrent pour leur faire face.

Du haut de la colline, commandant les archers, Kerian vit les guerriers tomber devant l’ennemi, comme du blé sous la faux...

Furieuse, elle se tourna vers les archers. Tous étaient si pâles qu’ils en paraissaient exsangues.

Stanach semblait pétrifié par la brutalité insensée des combats...

— Là, par Réorx ! cria soudain le nain.

La forêt tremblait. Une obscurité insolite apparaissait et disparaissait constamment, comme si les bois avaient des yeux... L’ombre et la lumière s’entremêlaient, non pour tacheter le sol, mais pour se ruer l’une sur l’autre, tels des tourbillons dotés de vie impatients de s’étreindre...

Des hurlements de terreur humains et elfiques éclatèrent. Ceux des draconiens leur firent écho.

Le sol se souleva, et les arbres dansèrent, arrachant leurs racines du limon. La terre s’ouvrit pour engloutir des combattants.

Pas une victime n’était un elfe.

Kerian voulut rappeler ses guerriers, mais se ravisa.

Une bête énorme jaillit d’une gangue de glaise, avec des bras de la grosseur de troncs et des jambes-rochers. Stanach pria. Kerian eut l’impression de tomber dans un cauchemar... Elle avait vu ce spectacle dans les feux de l’Ancienne !

À l’écoute d’une magie disparue, elle avait entendu les pensées des Elémentals et rêvé de cette bête à la lumière du feu... Aujourd’hui, la créature difforme aux yeux de braise se dressait devant eux, à ciel ouvert.

Une entité composée d’air et de terre.

Une voix surnaturelle gronda.

Les premiers à tomber furent les draconiens, nés de la magie noire et des œufs des bons dragons.

Ils moururent piétinés sous des pieds massifs.

Leur poison acide se vaporisa et disparut.

Au-dessus de la forêt, l’air même devint aussi destructeur que les flammes... Certains chevaliers moururent de terreur. D’autres, en fuyant, furent transpercés par les épées de leurs ennemis ou celles de leurs camarades rendus fous.

L’un d’eux frappait ses hommes du plat de la lame en jurant... Le Chevalier du Crâne.

Épée au poing, Kerian dévala la colline. Eamutt Thagol se tourna vers elle en rugissant... Dans son esprit, l’elfe l’entendit hurler comme un loup...

Elle allait abattre son arme quand une main invisible lui immobilisa le poignet. Elle ne put détacher son regard de celui du chevalier.

La terre se cabrant autour d’elle, Kerian resta comme pétrifiée.

Un grondement d’orage...

L’éclair de l’acier ennemi...

L’elfe eut l’impression que des doigts à la froideur surnaturelle venaient de se refermer sur son cœur...

Le Chevalier du Crâne voulait goûter la mort de Kerian.

Aveuglé par l’éclat de sa lame et assourdie par sa voix psychique, la Lionne hurla. Et perdit l’équilibre. La voyant à terre, Thagol se jeta sur elle. Kerian se débattit, mais la lourde cotte de mailles lui rentrait dans les chairs. L’haleine du chevalier était glacée...

Désarmée, Kerian réussit à le mordre à la joue, lui arrachant un lambeau de chair.

Thagol s’écartant, elle lui flanqua un coup de genou à l’entrejambe.

Hurlant de douleur, il s’effondra sur elle au moment où elle refermait la main sur la poignée de son épée...

La forêt entière retint son souffle.

Kerian abattit sa lame sur la nuque de Thagol, lui coupant la tête.

Mais il continua de hurler dans son crâne...

Un silence irréel enveloppa les bois.

Dans la forêt au sol gorgé de sang, Kerian retrouva son frère, au nom duquel elle était partie de Qualinost. Un coup de hache à la poitrine l’avait abattu.

— Dar..., murmura-t-elle.

Elle caressa la joue d’Iydahar, encore humide de sueur et suivit les contours de son visage...

Agenouillée près de lui, Ayensha ne pleurait pas.

— Thagol est mort ? demanda-t-elle.

— Oui.

Ayensha se pencha pour poser sa joue sur le torse de son époux.

— Il ne voulait pas venir. Je l’y ai forcé. L’Ancienne l’a supplié.

Kerian releva la tête.

— L’Ancienne...

— Tu l’as vue à l’œuvre.

— Son...

— Sa magie. Sa fureur.

L’Ancienne commandait aux Elémentals.

— Dar est venu en son nom, et parce que j’avais épousé ta cause... Tu as tué mon violeur, me sauvant d’un sort atroce... Puis tu as tout fait pour bouter les chevaliers hors du royaume. J’ai dit à Iydahar que nous te devions au moins ça.

Mais le prix était trop élevé.

Les deux elfes veillèrent celui qu’elles avaient aimé.

Personne n’osa les déranger.

XXIII

— Kerian, ma Lionne..., souffla Gilthas, une main posée sur la joue de sa bien-aimée.

L’elfe avait de nouveau rêvé du loup... Elle prit la main du roi pour la porter à ses lèvres et l’attira dans ses bras. Blottie contre lui, elle sentit son odeur familière, un mélange d’épices exotiques de la lointaine Tarsis... Cela lui rappela l’époque où, servante enjouée et malicieuse, elle espionnait son maître pour le compte de son amant...

Aujourd’hui, si elle portait les vêtements et les parfums qui lui avaient appartenu, elle n’était plus la Kerian d’hier.

— Qu’a répondu Thorbardin à ta mère, Gil ?

Le roi s’assit. Une brise fraîche entrant par la fenêtre ouverte, il remonta le drap sur sa bien-aimée.

— Les nains établiront une voie pour nous, en cas de besoin. Dès que Stanach sera de retour chez lui, il s’adressera au Conseil des Chefs en notre faveur. Il doute qu’un seul d’entre eux nous refuse encore son soutien.

— Béryl ne patientera plus très longtemps – sa cupidité et sa soif de pouvoir sont sans bornes...

Kerian se glissa de nouveau sous les couvertures.

Gilthas écarta la chevelure soyeuse de sa maîtresse pour poser un baiser sur sa nuque.

— Tu repartiras bientôt...

Kerian avait déjà prévu son retour dans la forêt. Au cours de leur dernière bataille contre le Chevalier du Crâne, les Ombres de la Nuit avaient subi de lourdes pertes. Un autre seigneur viendrait veiller sur le royaume de Béryl... Il arriverait sans doute avec la certitude qu’Eamutt Thagol avait écrasé la rébellion et laissé la population si soumise qu’elle serait prête à tout accepter sans broncher...

La Lionne eut un sourire carnassier.

Le nouveau seigneur aurait de rudes déconvenues...

— Tu partiras bientôt, soupira Gilthas. Mais avant, je referai ce qu’aucun roi de Krynn n’a jamais tenté aussi souvent que moi...

Kerian leva les yeux. Dans le silence qui suivit, elle repensa à toutes ses nuits sans rêves, aux jours interminables sans lui... Une existence vouée à la solitude...

Mais comment lui donner la réponse qu’il espérait tant?

— Kerian, tu as risqué ta vie pour moi. Ma Lionne, je te le redemande : sois ma femme et la reine dont mon peuple a tant besoin. Nous pourrions nous marier en secret et ne rien changer à nos habitudes... Kerian, tu te donnes à moi, tu combats en mon nom... Pourquoi refuses-tu de m’épouser ?

— Comment pourrais-je l’accepter ? Qu’en diraient tes sujets ? Combien de tes ennemis politiques s’en serviraient contre toi ? Gil, tu veux l’impossible !

Au fond des yeux de son amant, Kerian vit luire une royale impatience... Il la prit par les épaules pour l’embrasser, puis l’écarta.