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— Si la pente n’est pas moins raide sur la façade, était-il en train de se dire, il faudra que j’en fasse mon deuil, car j’aurai toutes les chances de me mettre en pièces détachées. Bah, nous verrons bien.

À cet instant, il se trouvait exactement à l’angle de l’hôtel, il venait de découvrir avec une grimace que la gouttière n’allait pas plus loin :

— Hé, hé, j’ai joué les deux premiers actes, on dirait que le troisième va tourner tout ce qu’il y a de plus mal. La gouttière ne continue pas. Fichtre, quelle complication.

Or, non seulement la gouttière ne continuait pas, mais encore, sous le poids de celui qui la parcourait, elle lâchait lentement, avec de sinistres craquements. L’homme ne s’y trompa pas :

— Encore quatre minutes, murmura-t-il, et, par la voie des airs, je vais me trouver transporté vers le royaume souterrain. Fichue idée que j’ai eue de ne pas emmener un aéroplane, ou même une simple petite échelle.

Il n’était pas bon cependant de s’attarder à plaisanter. La situation se faisait de plus en plus critique de seconde en seconde.

— Voyons à nous en aller d’ici, murmura-t-il.

Ce n’était pas chose facile.

Toutefois, il ne perdait pas courage. S’accolant plus étroitement encore à la pente du toit, il avait attrapé des deux mains une saillie du zinc, bordure très pentue de ce toit. Déployant alors une vigueur musculaire réellement extraordinaire, il parvint à se hisser, à la force du poignet, jusqu’au sommet du toit lui-même. Personne ne réussit jamais ce tour de force. Il l’avait fait presque en se jouant. Genoux en sang, mains écorchées, vêtements en lambeaux, l’homme qui escaladait de la sorte, au péril de sa vie, le toit de Rita d’Anrémont était assurément pourvu d’un caractère audacieux : au lieu de se désespérer, de geindre, d’avoir l’air de souffrir terriblement, il sifflait une valse anglaise, dont il traduisait le refrain à sa façon :

«  Je ne suis pas joli… joli… mais je suis tout de même bien séduisant… »

Ses instincts musicaux assouvis par cette chanson, interprétée d’ailleurs de façon déplorable, l’homme se secoua, puis décida :

— J’ai bien mérité de me reposer trente secondes et il y a là une cheminée qui m’a l’air d’être parfaite pour jouer le rôle de paravent.

Il s’en approcha. Quelques secondes plus tard, il était à l’abri de la rafale, étendu de tout son long sur la toiture, contre la cheminée :

— Et maintenant, réfléchissons. Élève Fandor, continuait-il, que savez-vous ?

C’était en effet Jérôme Fandor, l’extraordinaire Jérôme Fandor, le roi des reporters, le journaliste que nulle enquête n’avait jamais rebuté, Jérôme Fandor, l’ami de Juve, ce héros d’aventures fantastiques qui venait, à neuf heures du soir, d’escalader le toit de Rita d’Anrémont et qui, après s’être ainsi interrogé, répondait :

— Je sais que je ne sais rien du tout. En résumé : Hier, Juve m’a dit : « Mon petit Fandor, il y a une histoire extraordinaire Villa Saïd, chez une nommée Rita d’Anrémont, maîtresse d’un certain Sébastien Marquet-Monnier ». Il me raconte tous les détails de l’affaire et conclut le plus gravement du monde en m’annonçant que Rita d’Anrémont a dû faire le coup avec la complicité d’un certain François Bernard, terrassier de son état, devenu assassin, par amour peut-être pour la dame.

« Bon, voilà ce que m’a dit Juve. Qu’ai-je appris par moi-même ?

« Ce que j’ai appris par moi-même n’est déjà pas mal non plus. Le nommé François Bernard, s’il n’est pas de mes amis, ne m’est cependant pas inconnu. C’est un excellent garçon, un travailleur honnête (en apparence du moins) qui habite Belleville, dans une maison que fréquentent deux crapules de qualité supérieure : Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz. Bon. Sur les indications de Juve, tout à l’heure, j’ai pris en filature cet excellent François Bernard. C’était déjà bien. Ce qu’il y a de mieux c’est que je l’ai vu s’introduire, après l’avoir pisté pendant près de deux heures, dans l’hôtel de Rita, dans cet hôtel dont je viens d’escalader proprement les murailles. Mais que pouvait-il y aller faire ?

Il y avait bien quatre minutes que Jérôme Fandor se reposait au long de la cheminée et déjà il était prêt à reprendre la lutte.

— Voyons, pensa le journaliste, j’ai mis un quart d’heure à peu près à monter ce toit. Il y a donc un quart d’heure bien compté que François Bernard est entré dans cet hôtel. En un quart d’heure, il n’a pas pu dire encore tout ce qu’il avait d’intéressant à dire. Utilisons un procédé qui m’a rendu service dans les enquêtes que je faisais relativement au malheureux Dollon, et voyons à trouver un téléphone perfectionné.

En réalité, Jérôme Fandor ne se rendait pas justice quand il s’affirmait à lui-même n’avoir rien découvert de bien intéressant. Le jeune homme avait fait preuve d’une prodigieuse habileté pour filer, à travers tout Paris, le brave terrassier François Bernard qui, quoique feignant de marcher à l’aventure, s’était rendu de Belleville à la porte Dauphine, puis, sans sonner, utilisant probablement une clé en sa possession, s’était introduit à l’intérieur de l’hôtel de Rita d’Anrémont. Qu’y venait faire le terrassier ?

Juve, qui tenait de plus en plus comme assurée la culpabilité de Rita dans la tentative d’assassinat et le cambriolage de l’hôtel, n’aurait pas été long à conclure que l’ouvrier était venu s’introduire auprès de sa complice. Fandor, lui, n’en était pas sûr.

Un quart d’heure plus tard, Fandor était sur le toit et, cinq minutes après, se penchait sur les cheminées avoisinantes.

Il fallut peu de temps au journaliste, ainsi qu’il l’avait prévu, pour trouver la cheminée correspondant à la pièce où le terrassier se tenait avec Rita. L’oreille tendue, Jérôme Fandor distinguait très nettement des éclats de voix. Il n’en entendit pas davantage. Hélas, le vent qui soufflait avec rage faisait un tel vacarme, hurlant si bien dans les autres cheminées que les paroles de ceux qu’il soupçonnait d’être complices ne parvenaient qu’absolument indistinctes jusqu’à ses oreilles. Que faire ?

Jérôme Fandor n’avait guère hésité pour monter sur le toit du petit hôtel. Il n’hésita pas plus sur la suite.

— De plus en plus l’affaire Dollon, murmura Jérôme Fandor. La cheminée est assez large pour que je puisse tenter l’aventure avec succès, il y a assez de potin, grâce à la tempête, pour qu’on ne s’aperçoive pas du bruit que je vais faire. Et puis, si on me découvre, je ne risque qu’une balle de revolver ou un coup de couteau après tout.

« Après tout », c’était le mot de Fandor, le mot qu’il lançait comme un défi à la Destinée, à chaque fois qu’il s’engageait dans quelque entreprise désespérée.

Le journaliste se débarrassa de sa veste qui pouvait le gêner. Il retira ses bottines pour faire moins de bruit et être plus sûr de ses mouvements, puis, ces préparatifs sommaires terminés, délibérément il entreprit de déchausser le champignon de tuiles qui terminait la cheminée où il venait en vain d’écouter.

Le champignon de tuiles enlevé, le conduit proprement dit de la cheminée apparaissait. Jérôme Fandor s’y introduisit, comme s’il eût accompli la chose la plus naturelle du monde.

— Si c’est large comme ça jusqu’en bas, ce sera parfait, murmura-il.

Et c’était en effet le moyen que venait d’inventer Jérôme Fandor pour surprendre la conversation de Rita et de François Bernard, de se glisser dans la cheminée communiquant dans la pièce où se trouvaient la jolie femme et le terrassier, s’y tapir et de la sorte, sans être vu, tout apprendre. Cependant, Jérôme Fandor, encore qu’il fît grande attention, ne pouvait empêcher de faire du bruit. La cheminée était large, en effet. Pour éviter de dégringoler, il dut s’arc-bouter du dos et des genoux, en se retenant aux moindres saillies. De temps à autre, il entendait en frissonnant des gravats qui se détachaient et tombaient à grand bruit.

— Si mes bonnes gens remarquent cela, se disait le journaliste, continuant à descendre et trouvant de plus que son entreprise n’allait pas sans de réels inconvénients, car il était à moitié suffoqué par la suie que détachait son passage et qui lui entrait dans la bouche, dans le nez, dans les oreilles, dans les yeux, s’ils remarquent cela, je suis fichu, ni plus ni moins.