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Le banquier lut la dépêche, puis demanda aussitôt une communication téléphonique :

Pendant une bonne demi-heure, les deux hommes s’entretinrent ainsi.

Lorsque Juve eut terminé, M. Marquet-Monnier put réfléchir un instant, enfin.

— Monsieur, déclara-t-il, après les incidents de l’autre jour, je m’étais bien promis que je n’aurais plus le moindre rapport avec mon malheureux frère. M me Marquet-Monnier et moi, nous avions décidé qu’il était désormais rayé de la famille, rayé du monde et que nous affecterions de ne plus jamais prononcer son nom. Ce que vous me dites modifie complètement ma décision. Il est bien évident que mon pauvre frère est désormais dans une situation épouvantable, tant au point de vue physique que moral. Avec l’aide de Dieu, j’essaierai de le reprendre, je ferai mon devoir, quelque pénible qu’il puisse être, et je le ferai jusqu’au bout. L’essentiel toutefois, n’est-ce pas, c’est que le monde ignore ce qui se passe. Nous occupons dans la société protestante parisienne une situation qui, vous le comprenez, ne doit prêter à aucun commentaire et ce que j’exigerai en tout cas de mon frère, c’est qu’il ne fasse plus jamais parler de lui.

— Monsieur, je vous assure que ce que vous me dites là n’a qu’une importance très relative pour le moment. Je vous répète que votre frère est malade, gravement, il est aveugle. On le lui a dit. On l’a informé que son infirmité qu’il croyait passagère est définitive. Je ne sais pas si vous concevez toute l’horreur de cette situation, mais il me semble qu’à votre place…

— Monsieur, interrompit le banquier, soyez assuré que je prends la plus grande part aux souffrances de mon frère. Je suis d’autant plus désireux de le voir que j’ai peur qu’il ne se laisse prendre complètement par cette fille qui a surpris sa confiance. Voyez-vous qu’il l’épouse. Même qu’il veuille l’épouser. Ce serait un scandale inouï dans le monde.

— Il y a plus à craindre, monsieur, pour votre frère, que le mariage, il y a…

Juve s’interrompait encore, le banquier avait regardé sa montre, fait un geste de désespoir.

— Je vous demande pardon, bien pardon, monsieur, assurait-il, mais je n’ai plus une minute à perdre. Il faut que je sois au Havre, avant quatre heures, voici qu’il est déjà onze heures vingt.

— Vous allez au Havre ? Vous ne venez pas à Paris voir votre frère ?

— Hélas, je le voudrais, mais je ne le peux pas. Je vous assure que c’est véritablement impossible. Il est indispensable que je reçoive au Havre mon correspondant d’Amérique. De gros intérêts financiers sont en jeu.

— Puis-je vous déposer quelque part ? demanda M. Marquet-Monnier, alors qu’il revêtait une épaisse fourrure et s’affublait de lunettes avant de monter en automobile.

— Non merci, monsieur, fit Juve, qui ne tenait aucunement à prolonger le tête à tête avec le banquier.

— Alors, poursuivit ce dernier, en s’adressant au chauffeur, faites vite, il faut que nous allions au Havre le plus tôt possible.

Cependant que le mécanicien mettait son moteur en route, M. Marquet-Monnier murmurait à l’oreille de Juve :

— Je vous en prie, monsieur, faites l’impossible pour que les journaux ne racontent pas, comme ils ne l’ont que trop fait, les aventures de mon malheureux frère. Le silence, l’oubli, voilà ce que nous voulons, M me Marquet-Monnier et moi. À ce propos j’ai oublié de vous remercier, monsieur Juve, de votre intervention au sujet du scandale de l’Œuvre des Loyers. La Presse n’a-t-elle pas enflé cette affaire dans laquelle nous avons à déplorer si malheureusement l’inconcevable conduite de M me Gauthier ? Avez-vous des nouvelles de cette personne ? Sait-on ce qu’elle est devenue ?

— On ne sait rien, monsieur, absolument rien.

L’automobile démarra.

— Monsieur Juve, cria encore Marquet-Monnier en saluant de la main le policier, je vous recommande mon frère, je vous en supplie veillez sur lui. Je serai de retour après-demain.

***

Juve, à la fin de l’après-midi, était rentré chez lui. Le policier commençait à goûter les charmes du repos, il s’était dévêtu et s’étirait sur le canapé pour y lire les journaux, lorsque son domestique lui apporta une dépêche. Juve déchira le pointillé et lut :

«  Vous supplie venir urgence me rejoindre au Havre au sujet affaire excessivement grave et totalement incompréhensible, suis descendu Grand-Hôtel »

C’était signé : Nathaniel Marquet-Monnier.

— Çà, par exemple, murmura Juve, jamais de la vie. Cet homme-là ne m’inspire pas assez de sympathie pour que je me dérange. Et puis d’ailleurs, il pourrait s’expliquer.

Juve s’étendit à nouveau sur son canapé. Mais il faut croire que le policier n’avait pas exprimé sa pensée définitive puisque, quelques secondes plus tard, il sonnait son valet de chambre.

— L’indicateur ? demanda-t-il.

À neuf heures, Juve montait dans le rapide du Havre.

9 – LE TRENTE-SIXIÈME MÉTIER

Rue Bonaparte, dans l’escalier conduisant à l’appartement que Juve occupait depuis des années et où maintes et maintes fois s’étaient déroulées des scènes tragiques, Jérôme Fandor demeura stupide, l’air furieux.

Il était à peu près sept heures du matin et le journaliste avait vainement carillonné à la porte de son ami.

Jérôme Fandor était furieux :

— Où diable peut-il être ? murmurait-il, voilà maintenant que Juve découche sans prévenir. Eh bien, je lui ferai compliment de ses mœurs, à mon vieil ami. Ah, il peut s’attendre à une chanson pas ordinaire.

Fandor avait monté l’escalier de la rue Bonaparte en sifflotant un air guerrier qu’il trouvait du plus bel effet :

— Juve va faire des gaffes, se disait le journaliste, si je ne le préviens pas. Si je ne lui raconte pas en détail tout ce que je viens d’entendre, il est évident qu’un jour ou l’autre il va mettre les pieds dans le plat et arrêter Rita. Or, Rita et François Bernard sont innocents.

— Où le pêcher ? se redemandait Fandor. Un homme du genre de Juve doit être chez lui ou nulle part. Or, comme il n’est pas chez lui, il n’est nulle part. C’est vraiment bien commode pour le découvrir.

En fin de compte, Fandor quitta la place. Or ce jour-là, c’était le printemps. Lassée d’avoir fait rage, la tempête s’était calmée. Les bourrasques avaient balayé le ciel devenu d’un bleu prometteur. Le soleil brillait, l’air était parfumé, tout invitait à la promenade, tout était joli ce matin-là.

— J’en aurai le coeur net, murmura Fandor, puisque Juve est en vadrouille, puisqu’il ne peut pas enquêter ce matin, c’est moi qui enquêterai à sa place.

Jérôme Fandor longea les quais, traversa le pont des Saints-Pères, gagna les Tuileries et, parvenu rue de Rivoli, s’engouffra dans le métropolitain.

Le journaliste, quelques instants plus tard, se trouvait à la Porte-Maillot, gagnait les grilles, entrait dans Neuilly. Une fois à Neuilly, d’ailleurs, Jérôme Fandor, en bon parisien qu’il était, semblait complètement perdu. Il connaissait les moindres rues de la capitale, son métier d’informateur l’avait conduit depuis des années dans les quartiers les plus excentriques. En revanche il ignorait, ou presque, Neuilly.

Neuilly est une ville calme, une paisible retraite adoptée par les bons bourgeois riches qui n’ont jamais d’affaires et qui ne sont jamais touchés par l’actualité. Ils y coulent des jours tranquilles sans souci de ce qui se passe à quelques mètres d’eux, dans la Ville Lumière.

— Par où passer ? se demandait le journaliste. Dans ce patelin-là, toutes les avenues se ressemblent, on n’y rencontre que des curés et des vieilles femmes.

Et pourtant non. Jérôme Fandor s’était rappelé soudain l’affaire qui avait bouleversé sa vie et celle de Juve, le mystère dont les péripéties s’étaient précisément déroulées à Neuilly et où n’étaient pas mêlés des personnages de curés ou de vieilles femmes, mais bien de terribles héros : Fantômas et Lady Beltham.