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« — Monsieur le commissaire, je viens d’être victime d’un vol important, on m’a pris dans ma malle pour un million de valeurs en billets de banque français.

« — Un million, m’écriais-je, comme vous y allez ! mais c’est donc une fortune entière que vous transportez ?

« — C’est possible, me répondit Backefelder, toujours est-il que ce million a disparu.

« Je trouvais l’attitude de ce passager au calme imperturbable, si étonnante, si étrange, que je me méfiais aussitôt, et, pour mettre la Compagnie à couvert, j’ai dit à M. Backefelder :

« — Ce malheur qui vous frappe, monsieur, nous ne saurions en être responsables. La somme importante que vous aviez sur vous, si j’en crois votre déclaration, ne nous a été ni annoncée, ni confiée, par conséquent…

« M. Backefelder m’a interrompu d’un geste de la main :

« — Inutile d’insister, monsieur le commissaire, fit-il, je n’ai aucunement l’intention de demander à votre Compagnie le remboursement de l’argent qui m’a été volé. Je viens uniquement vous mettre au courant de ce qui s’est passé et vous demander votre précieux concours pour m’aider à découvrir le voleur.

« — Dans ce cas, lui ai-je répondu, je suis tout à votre disposition.

« M. Backefelder m’a alors raconté une histoire étrange, que je vous résume en m’efforçant de traduire aussi exactement que possible, le sens des propos qu’il m’a tenus : …M. Backefelder était parti de New York avec deux liasses de billets de banque français, représentant chacune une valeur d’un million. Ces liasses étaient dissimulées dans le double fond d’une malle contenant des vêtements et que M. Backefelder avait fait déposer dans sa cabine avec d’autres sacs, d’autres valises. Ce passager, qui avait l’intention de repartir dans une huitaine pour l’Amérique, n’apportait pas de bagages plus importants et n’avait fait enregistrer aucun autre colis. Or, ce qui étonnait M. Backefelder, c’est qu’on lui ai volé seulement la moitié de l’argent qu’il apportait. Je me suis rendu avec lui dans sa cabine que nous avons inspectée minutieusement, mais en vain, nous n’avons trouvé aucune trace anormale, aucun indice pour nous mettre sur la piste du voleur. Le lendemain, sitôt mon travail du matin terminé, je suis allé frapper à la cabine de M. Backefelder pour savoir si il y avait du nouveau, mais mes appels sont restés sans réponse. Inquiet, redoutant quelque malheur, un accès de désespoir, j’ai fait ouvrir la porte par le serrurier. La cabine était vide, la couchette n’était pas défaite. M. Backefelder ne devait pas avoir passé la nuit chez lui. Redoutant un drame, par précaution, j’ai fait fermer à double tour la cabine en question et ordonné que l’on recherchât immédiatement le passager. Or, il nous a été impossible de le retrouver.

— Pourvu, s’écria M. Marquet-Monnier, que l’audacieux voleur qui s’est emparé des billets de banque n’ait pas aggravé sa faute en commettant un crime.

— Je ne sais pas, monsieur. Tout est possible.

Juve suggéra :

— Un accident arrive facilement… Vous parliez tout à l’heure, monsieur le commissaire, d’une soirée de gros temps, quelqu’un d’inexpérimenté se promenant la nuit sur un pont peut très bien être précipité à la mer par un coup de roulis.

Mais le commissaire interrompit le policier :

— Je vous ai précisément signalé le roulis de tout à l’heure, avec l’intention bien nette de vous répondre lorsque vous envisageriez l’hypothèse d’un accident, que la mer, quoique houleuse, n’était pas assez mauvaise pour qu’on puisse former une telle supposition. Non. Je m’arrêterai plutôt à l’hypothèse d’un crime, à un suicide. Car il est bien évident que monsieur Backefelder après avoir disparu n’a pas reparu.

— Un suicide, murmura Juve, je me demande pourquoi. M. Backefelder avait-il l’air très affecté par la perte de son argent ?

— Pas beaucoup, monsieur.

— Ah, fit Juve, qui, après avoir réfléchi quelques instants, demanda :

— Cette cabine, peut-on la voir, monsieur le commissaire ?

Après une seconde d’hésitation, l’officier y consentit :

— Vous êtes inspecteur de la Sûreté, monsieur Juve, il n’y a, je pense, aucun inconvénient à ce que je vous donne cette autorisation. Si jamais on me faisait un reproche.

— J’en prends toute la responsabilité, déclara Juve.

Accompagné du commissaire et de M. Marquet-Monnier, l’inspecteur de la Sûreté visita la cabine, étroite, basse du plafond, mais confortable néanmoins, qui avait été occupée par le mystérieux disparu.

Juve, du premier coup d’œil, avait avisé la malle, la fameuse petite malle dans laquelle le voleur – puisque voleur il y avait –, avait fouillé et de laquelle il avait extrait, aux dires de M. Backefelder, une liasse sur deux de billets de banque.

— Personne, interrogea Juve, n’est entré dans cette cabine, derrière vous, monsieur le commissaire ?

— Non, personne.

— Avez-vous vérifié, monsieur le commissaire, si la seconde liasse de billets de banque, la liasse respectée ou passée inaperçue aux yeux du voleur, se trouvait toujours dans la malle ?

— Elle y était, monsieur, lorsque j’ai fait ma perquisition.

— Et qu’en avez-vous fait, monsieur le commissaire ?

— Je l’ai laissée à sa place. J’ai loqueté la porte, nul ne pouvait l’ouvrir, sauf cependant, le titulaire de la cabine qui avait sur lui la clef du verrou de sûreté.

Juve, cependant, se pencha, renversa la malle, vérifia l’intérieur du double fond :

— C’est bien imprudent, monsieur le commissaire, déclara-t-il, ce que vous avez fait. Il est regrettable que vous ayez laissé ce million en billets de banque dans la cabine inoccupée. Car si il était là lorsque vous avez refermé soigneusement la porte, actuellement il n’y est plus.

— Mon Dieu ! s’exclama le commissaire terrorisé, que dites-vous là ?

— Je dis ce qui est, fit Juve, ou plutôt je dis ce qui n’y est pas.

— Ah, s’écria le commissaire, ce n’est pas le moment de plaisanter, monsieur, mais c’est épouvantable ce qui arrive, et pourtant ma responsabilité ne saurait être engagée. L’absence de M. Backefelder n’est pas officiellement déclarée, je n’avais aucun droit pour intervenir chez lui, pour prendre, même dans un but de protection, des objets lui appartenant. D’autre part, j’ai agi conformément au règlement du bord, j’ai fait mon rapport au commandant de La Touraine, je suis dégagé. D’ailleurs qu’auriez-vous fait à ma place ?

— Moi, fit Juve, c’est à moi que vous demandez cela, monsieur le commissaire ?

— Certainement, monsieur l’inspecteur de la Sûreté…

Mais Juve, affectant un air de parfaite innocence, se contenta de répondre :

— Je ne sais pas. Je ne sais absolument pas.

Puis se tournant vers M. Marquet-Monnier :

— Je crois, déclara-t-il, que nous abuserions désormais inutilement des précieux instants de monsieur le commissaire en prolongeant notre entretien avec lui. Voulez-vous que nous nous retirions ?