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— Ma foi, monsieur Juve, je vous remercie du service que vous venez de me rendre.

Et il proposa :

— Si nous allions fumer un cigare ?

***

Dix minutes plus tard, Juve obtenait enfin du flegmatique compagnon qu’il s’était donné des renseignements sur sa nuit.

— Par pitié, dit Juve, énervé de voir Backefelder tranquillement installé dans un fauteuil du salon-fumoir tirer de larges bouffées d’un excellent havane, par pitié, que vous est-il arrivé ?

— Des choses bien extraordinaires, monsieur Juve, et d’abord, je vous apprends ceci : à peine étiez-vous parti que j’ai reçu la visite d’un envoyé du Comptoir d’Escompte. On m’a remis le million que j’avais demandé d’urgence en Amérique.

— Et alors ?

— Oh alors, en vérité, cela était extrêmement fâcheux. Le million est arrivé, et il est reparti.

— On vous a volé ?

— Oui, lui et l’autre.

— Comment, lui et l’autre ?

— Le million qui me restait. Cela était très simple. Sur le bateau qui me menait en France, je vous l’ai dit, j’avais deux millions. On m’en a pris un. Bon. Et on me laisse l’autre. Je demande un nouveau million en Amérique, pour remplacer le million disparu. Ce soir, le million nouveau est arrivé. Bon. On le prend, en prenant le premier aussi. Mon coffre-fort est fracturé.

Déjà Juve n’était plus dans la pièce. Comme un fou, il s’était jeté hors du salon, il courait à la chambre de l’Américain. La cassette d’acier, comme l’avait dit Backefelder, avait été fracturée à l’aide l’instruments perfectionnés évidemment. On avait réussi à faire sauter le couvercle et maintenant elle était vide. Les millions étaient envolés. Juve, une seconde, devant le coffret, demeura immobile, furieux.

Ah, il le comprenait. Tout cela n’était pas l’effet d’un hasard. Tout cela découlait d’une volonté nette, sûre d’elle. Si Backefelder n’avait été d’abord, sur le bateau, dépouillé que d’un million sur deux, c’était évidemment que l’auteur du larcin avait merveilleusement prévu les intentions de l’Américain. Il avait supposé que Backefelder remplacerait le million volé.

La ruse était bonne. Au million déjà volé sur le transatlantique, le voleur ajoutait le million dédaigné par lui sur le bateau et aussi le million envoyé d’Amérique. Jamais deux sans trois.

Juve, toutefois, le premier moment de stupeur passé, se sentit repris d’une folle curiosité. Comment tout cela était-il arrivé ? Le policier, abandonnant la chambre du vol, retourna auprès de l’Américain. Traversant la pièce, il aperçut, tombé contre le mur, une sorte de petit chiffon noir. C’était peu de chose et cependant Juve tressaillit à voir ce morceau d’étoffe. Il se baissa, il le ramassa, il le déploya et des gouttes de sueur lui perlèrent au front. Cette loque était une cagoule, une cagoule noire, la cagoule de…

Puis, le policier s’était ressaisi, il avait rejoint Backefelder, toujours flegmatiquement occupé à fumer dans le petit salon, et maintenant il le pressait de questions.

— Allô, vous étiez très difficile à contenter, monsieur Juve, disait l’Américain, vous vouliez savoir tout, et vous questionnez tout le temps. Cela était impossible pour moi de vous répondre.

— Parlez donc, monsieur Backefelder, dites-moi ce qui vous est arrivé.

— Je parle. Donc, j’étais en train de dîner. Tout seul et tranquillement. Je venais de recevoir le million envoyé et de le placer dans la cassette, sous mon lit. Je dînais avec un appétit raisonnable et une rapidité grande, parce que je pensais me coucher de bonne heure. J’étais au moment où je mangeais une banane.

— Oui, alors ?

— Alors le domestique, Joseph, a passé derrière moi, et puis il m’a attaché :

— C’est lui qui vous a attaché ?

— Bien fait, je vous assure. Tout de suite, il m’a mis une serviette sur la bouche. Et puis j’avais les bras liés, les jambes aussi à ma chaise. Je ne pouvais plus rien dire, rien faire.

— Assurément, répondait-il. Mais après, nom d’un chien ? que s’est-il passé ?

— Il ne s’était pas passé d’abord grand’chose. Le domestique Joseph, après m’avoir attaché, il s’est versé un grand verre de vin et il l’a bu, tranquillement. J’ai entendu qu’il ouvrait la porte et qu’il y avait un quelqu’un qui entrait.

— Qui ?

— Pas si vite. Le quelqu’un qui entrait, je l’ai vu sans le voir. Un homme grand, beau, bien fait, un bon boxeur s’il voulait. Mais sans doute il ne veut pas. Un grand vêtement noir, et puis sur le visage il avait un masque, une sorte de grand masque d’étoffe noire.

— Une cagoule.

— Oui c’était Fantômas, ce était lui tout juste. Je l’ai entendu plusieurs fois appeler par Joseph.

— Et qu’est-ce qu’il a dit ? qu’est-ce qu’il a fait ?

— Il a dit d’abord en entrant dans la salle : « Joseph, ce n’est pas la peine de le tuer, il est trop bête pour mériter la mort. Attachons-le, ce sera suffisant. »

— Mais vous étiez déjà attaché ?

— Sans doute. Mais beaucoup moins parfaitement bien. Le Fantômas il avait des cordes et une grande habileté, il m’a attaché lui-même et je ne pouvais plus ni bouger, ni voir.

— Et alors ?

— Et alors, le Fantômas il a dit : « Emporte-le dans sa chambre, cela retardera toujours un peu l’enquête de cet animal de Juve. « Alors, ils ont levé ma chaise, ils l’ont emportée dans la chambre. J’ai entendu qu’ils fouillaient dans la cassette et puis ils sont partis, après avoir fermé la porte à clef. Oh, je m’embêtais beaucoup fort, monsieur Juve, quand vous êtes rentré. J’entendais bien que vous m’appeliez, mais je ne pouvais pas répondre, et puis je me disais : Il va se coucher dans son lit, et moi qui voudrais bien me coucher dans le mien. Et je me disais aussi : Bien sûr que M. Juve il ne va pas avoir l’idée de venir me retrouver. J’étais très satisfait quand vous avez enfoncé la porte.

Juve n’écoutait plus. Dans son esprit, un lent travail se faisait. Et d’abord comment Fantômas avait-il pu avoir l’audace de revenir voler à deux reprises, Backefelder ? Car c’était lui certainement qui l’avait déjà volé à bord du transatlantique, lui ou un de ses complices. Quel rapport pouvait-il y avoir encore une fois entre lady Beltham et le terrassier François Bernard, ce terrassier qui déjà se trouvait mêlé de si intime manière au vol et à la tentative d’assassinat de la Villa Saïd, ce terrassier qui était sans doute, le complice de Rita d’Anrémont ? Juve réfléchissait, mais ne trouvait rien. Tout lui semblait décousu. Que deviner ? Que comprendre ? Où s’efforcer de découvrir Fantômas ?

Backefelder cependant, s’était levé, il avait fini son cigare, il souriait à Juve. Le policier demanda :

— Qu’allez-vous faire maintenant ? Comprenez-vous quelque chose à ce qui se passe ?

— Je comprends que je étais très fatigué. Je vais commencer par me coucher et par dormir jusqu’à demain.

— Bon, mais demain ?

— Demain ? Oh cette fois c’est bien simple, je dirai au commissaire que je porte plainte, et qu’il faut que l’on arrête Fantômas.

14 – L’AVEUGLE ET LE TERRASSIER

— Allons, murmura Juve en s’installant de son mieux sur le balcon qu’il venait d’escalader, je crois que j’arrive au bon moment.

Le policier écarquilla les yeux, se pencha vers la fenêtre dont les persiennes à jour lui permettaient de voir l’intérieur de la pièce brillamment éclairée. Depuis plusieurs jours déjà, le policier s’était, avec un acharnement et un entêtement dignes du plus pur des Bretons, attaché à la filature du terrassier Bernard. Depuis que Juve avait découvert les relations de cet ouvrier avec la demi-mondaine, il était convaincu que tôt ou tard ils finiraient pas se rejoindre à nouveau et que de leur rencontre résulterait presque à coup sûr un drame qui éclairerait définitivement la mystérieuse affaire de la Villa Saïd.