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— Voulez-vous me faire apporter mon courrier, ma chère amie ? Je pense que je puis avoir des lettres urgentes. Vous permettez, monsieur Juve ? D’ailleurs je serais heureux d’apprendre ce qui me vaut l’honneur de votre visite. Est-ce au sujet de mon correspondant Backefelder ?

Juve admirait le calme immuable de Nathaniel Marquet-Monnier. Une minute auparavant, alors qu’il n’était pas encore là, Juve lui-même commençait à partager l’inquiétude de M me Marquet-Monnier.

— Non, monsieur, ce n’est pas au sujet de M. Backefelder, c’est au sujet de votre frère. Vous m’aviez promis de l’aller voir.

— Et je n’en ai pas encore eu le temps, répondait le banquier qui remercia d’un sourire sa femme, lui apportant elle-même le courrier. Que voulez-vous, j’ai des occupations qui m’accaparent entièrement. Mais ce qui est promis est promis. J’irai demain, peut-être, si je trouve le temps.

— Vous irez demain, il le faut, monsieur. Votre frère est entre les mains d’une coquine, cette Rita d’Anrémont, d’une coquine qui a failli le tuer pour le voler, qui est capable de l’assassiner, d’une coquine en tout cas qui, sans moi, allait peut-être vous jouer un méchant tour.

— M me Rita d’Anrémont allait me jouer un méchant tour, à moi ? Je ne peux craindre qu’un scandale et je ne le crains guère, car elle n’aurait rien à y gagner.

— La maîtresse de votre frère s’était emparée de ces effets déjà payés, et allait vous les faire payer à nouveau. Voici le méchant tour qu’elle méditait.

— En effet, c’était un méchant tour, mais je ne comprends pas très bien. Ces traites ont été remises par moi à mon frère, les lui avait-il donc données ?

— Non, monsieur, elle les lui avait prises.

— Cette femme est une misérable. Vous avez raison, il faudra que j’obtienne coûte que coûte de Sébastien qu’il s’en sépare. Je vous remercie du service, monsieur. Vous m’excuserez, dit le banquier à Juve, pour gagner du temps, je vais immédiatement serrer ces traites dans mon coffre-fort et je reviens vous trouver, car j’imagine que nous avons encore à causer.

Le policier resta en tête à tête avec M me Marquet-Monnier.

— Terrible scandale, commença celle-ci.

— Plus terrible le malheur de votre beau-frère, répondit Juve.

— Il a péché, il est sévèrement puni. Dieu veuille…

Mais Juve ne devait jamais savoir quoi. Un bruit venait d’éclater.

D’un même mouvement, l’épouse du banquier et Juve se levèrent :

— Que se passe-t-il ?

— Vous avez entendu ?

Puis tous deux coururent à la porte par laquelle le banquier était sorti. Juve ouvrit, et du premier regard il vit le cabinet de travail sobrement meublé de quelques chaises, d’un bureau-ministre, d’un grand coffre-fort. Sur le bureau brûlait une lampe que le banquier avait apportée en entrant. Le coffre-fort était fermé, le cabinet de travail en ordre. La pièce était vide. Pourtant, le banquier venait d’y pénétrer par son unique porte.

Juve se précipita sur la fenêtre. Elle n’était pas fermée, il l’ouvrit grande : le banquier n’avait pu sortir par là puisque la fenêtre surplombait la rivière. Juve se retourna, considéra le cabinet de travail où M me Marquet-Monnier, livide, se tordait les mains de désespoir.

Et Juve, sans même prendre conscience de ses paroles, jura :

— Crédibisèque, je deviens fou. Qu’est-il donc devenu ? Il était là, il n’est pas sorti, donc il y est et pourtant il n’y est pas.

16 – L’HOMME QUI MARCHE SUR L’EAU

Tandis que M me Marquet-Monnier restait écroulée dans un fauteuil, roulant des yeux convulsés, Juve traversait la pièce, revint à la fenêtre qu’il rouvrit, puis il se pencha au dehors, il scruta de ses yeux perçants l’horizon morne des eaux de la rivière. Il ne faisait pas clair de lune, mais une demi clarté, un reflet de lumière flottait à la surface des eaux.

Le génial policier, désespéré, abruti par la surprise, promena un morne regard sur l’horizon lugubre. Tout d’abord, il ne vit rien. Puis, brusquement, mains crispées, il jura encore. Il prononçait aussi une phrase en apparence stupide :

— Crédibisèque, nous le cherchons et il est là. Il est là qui marche sur l’eau.

M me Marquet-Monnier, secouée dans sa torpeur, se précipita à ses côtés Elle voulait voir. Elle vit au lointain, dans la direction que Juve lui désignait de son bras tendu, une silhouette sombre, la silhouette d’un homme qui paraissait s’enfuir avec une grande rapidité. Et cet homme n’était pas dans une barque, cet homme ne nageait pas… cet homme marchait, littéralement marchait à grandes enjambées sur les eaux clapotantes du fleuve.

Ayant vu son mari le banquier filer debout sur les eaux, M me Marquet-Monnier s’évanouit. Ce n’était pas pour simplifier la situation. Juve ouvrit la porte du cabinet, appela de toutes ses forces :

— Au secours, au secours.

La petite bonne, une minute après, arrivait, livide, elle aussi, bégayant des paroles que, d’abord, Juve ne comprenait pas.

— Aidez-moi, ordonna le policier. Votre maîtresse, très malade, vient d’avoir une crise nerveuse.

La petite bonne s’empressa en gestes maladroits :

— Ah, monsieur, monsieur, c’est abominable. Il y a des fantômes ici, il y a des revenants, je viens d’en voir un qui marchait sur les eaux.

L’appel de Juve, cependant, lancé à toute voix, avait retentit dans la villa entière.

Derrière la femme de chambre, la cuisinière d’abord, puis un homme, sans doute le jardinier, firent leur apparition, tous effarés :

— Monsieur a vu ? demandait la cuisinière. Il y avait une apparition sur les eaux.

— Ça, sûr et certain, c’était l’âme d’un noyé qui se balade sur le fleuve.

Juve, seul, gardait son sang-froid. Il brusqua son monde :

— Allons. Vous dites des sottises. Les revenants, les fantômes, les morts, ça n’existe pas. Aidez-moi plutôt à relever votre maîtresse.

On transporta M me Marquet-Monnier, toujours évanouie, sur le canapé du salon, puis, comme elle n’avait besoin, après tout, que d’un peu de repos, Juve commanda :

— Vous allez tous rester ici, dans cette pièce, et m’attendre. Il faut savoir qui est l’individu qui marche sur l’eau.

— Monsieur ne va pas nous laisser seuls. Monsieur va se faire tuer ! Il ne faut pas que monsieur s’en aille !

— Vous ne courez aucun danger. Ce qui devait arriver est déjà arrivé.

— Et M. Nathaniel, où est-il ?

— Je n’en sais fichtre rien. À moins que ce ne soit lui qui, tout à l’heure, marchait sur les eaux. Allons, voilà mon revolver, ajouta Juve, tâchez de reprendre un peu de calme. Pas d’émotion. Je vous dis que vous ne courez plus aucun danger. D’ailleurs, je serai de retour dans un quart d’heure.

Et seul, sans armes, dans la nuit inquiétante, il sortit de la villa et se lança à la poursuite du fugitif.

***

Juve ne mit que quelques secondes à traverser le jardin. Il franchit la haie en passant au travers sans se soucier des écorchures. Courant toujours, il traversa le pont, gagna la berge, se dirigea vers l’endroit où il avait aperçu – ou cru apercevoir – le piéton des eaux reprenant terre.

La nuit froide et pluvieuse s’épaississait à mesure.

Le policier, hors d’haleine, éprouva bientôt quelque peine à se diriger. Il passait à travers champs et des obstacles invisibles le faisaient trébucher. N’importe. Il allait, toujours plus ardent, de plus en plus curieux d’avoir la véritable explication du mystère de la chambre vide. Or, au beau milieu de sa marche folle, Juve, à l’improviste, tomba sur un groupe de personnes qui semblaient discuter avec passion.

— Allo, cria Juve, tout comme aurait pu le faire l’Américain Backefelder, vous n’avez rien vu, les uns ou les autres ?

Les quatre personnages, des pêcheurs, des riverains, se retournèrent terrifiés en entendant la voix de Juve et répondirent en chœur :