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— Effroyable, murmura lady Beltham, cependant que Fantômas ajoutait :

— C’est-à-dire que tout s’est arrangé au mieux de mes intérêts. C’est ainsi, lady Beltham, qu’après cette première opération j’ai pu désintéresser dans une certaine mesure des créanciers fort exigeants. Savez-vous que les membres de la bande des Ténébreux se sont permis de me poser des conditions ? Il m’a bien fallu passer sous les fourches caudines. Bien entendu, si j’ai courbé le front, je ne tarderai pas à redresser la tête et alors, on verra ce qu’on verra.

— Ces criminels, cette bande des Ténébreux, reprit lady Beltham, que vous paraissez considérer comme des adversaires, des ennemis, vous vous en servez, cependant. Vous les utilisez, ce sont vos complices.

— Qu’en savez-vous ?

— Je le sais, reprit la grande dame, parce que j’ai vu, compris, deviné, lorsque je suis venue sur vos ordres là où vous savez. Et c’est beaucoup pour cela que je n’y suis pas restée.

— Femme susceptible, vraiment trop délicate. Vous n’étiez pas ainsi autrefois, lady Beltham. Serait-ce qu’au fur et à mesure que votre passion pour moi s’émousse, vos nerfs deviennent plus sensibles et votre conscience plus tatillonne.

— Ah, ne raillez pas, ne raillez pas. Si vous saviez ce que je souffre, vous seriez touché. Pour être criminel comme vous l’êtes, pour vivre comme vous vivez en dépit de tout ce que vous avez fait, il faut avoir un cœur de fauve.

— Assez. Je n’aime pas les questions, mais il me déplaît encore plus d’entendre des reproches.

Puis, se penchant affectueusement vers la grande dame, l’Insaisissable reprit plus doucement :

— Songez aussi, lady Beltham, songez que ce cœur de fauve, s’il est tel qu’il est, n’en est pas responsable. Songez que Fantômas est isolé dans la vie, dans le monde, dans l’humanité, et songez que moi aussi pourtant j’aime et que je souffre également. L’être auquel j’ai donné en même temps qu’à vous mon cœur s’écarte avec horreur de moi, perpétuellement, rigoureusement. Oui, je vous jure, lady Beltham, que si, fréquemment, mon cœur d’amant souffre de vos reproches, mon cœur de père saigne à l’idée de la répulsion que j’inspire à ma fille.

— Ah, si seulement tout ça pouvait finir. Si, comme je l’ai toujours rêvé, une vie calme, simple, tranquille pouvait être la nôtre.

— Ne désespérez pas lady Beltham. Ainsi que je vous l’ai toujours dit, seuls deux êtres au monde, par leur acharnement à nous poursuivre, s’opposent à notre bonheur. Juve et Fandor se sont jurés de me prendre, ils ont fait l’impossible. Jusqu’à présent ils n’ont pas réussi. Le jour où vous voudrez être ma collaboratrice effective, assidue, je sais tout un plan que nous pourrons mettre à exécution et qui nous livrera ces deux hommes pieds et poings liés. Juve, je le tuerai comme un chien. Fandor, quelque chose de sacré m’empêche de le traiter comme je le voudrais.

— Quoi donc ?

— J’aime deux êtres au monde, autant que je déteste Juve et Fandor. Vous, lady Beltham, et Hélène, ma fille.

L’automobile ralentissait. Le véhicule avait amené ses clients au milieu du Bois de Boulogne. La mécanicien se pencha vers l’intérieur de la limousine.

— Où faut-il aller ? demanda-t-il après avoir frappé au carreau.

— À Neuilly, répondit Fantômas.

Le véhicule repartit. Lady Beltham questionna, inquiète :

— À Neuilly ? fit-elle, vous voulez donc que je retourne ?

— Je veux, dit Fantômas, que vous obéissiez. En outre, je médite quelque chose et j’ai besoin de vous.

— Grâce. Épargnez-moi, ne me mêlez pas à un crime.

— Ne m’avez-vous pas dit, tout à l’heure, que l’existence vous importait peu et que vous voudriez être morte ?

— Fantômas, si vous voulez ma mort, je ne résisterai guère. Un crime de plus pour vous ne compte pas. Voilà longtemps que j’ai le pressentiment que lorsque l’heure de la mort sonnera pour moi, c’est vous qui viendrez me la donner.

— Lady Beltham, ces sentiments vous honorent, mais votre pensée est injurieuse pour moi. Contentez-vous donc d’agir comme je vous le demande. J’ai besoin de vous, ne cherchez pas encore à savoir pourquoi. Que vous importe, n’est-il pas vrai ?

La voiture s’arrêta, le long d’un mur, à l’angle d’une rue. On était arrivé.

21 – LES VÊTEMENTS DU MORT

Célestin Labourette commençait à trouver que vraiment la vie était belle et confortable. À sa droite, il avait, décolletée fort bas et très en beauté, une jeune femme qui n’était autre qu’Adèle. À sa gauche, toute dépeignée par les caresses successives dont il l’accablait, se trouvait une seconde amie : Chonchon. De plus, Célestin Labourette, qui ne détestait pas les plaisirs de la table, achevait, en compagnie de ses invitées, un magnifique dîner.

Célestin Labourette n’était pas gris parce qu’il appartenait à cette variété heureuse d’individus qui ne le sont jamais. Depuis si longtemps il s’adonnait à l’absorption de boissons capiteuses qu’il pouvait facilement supporter ce que les marins appellent le « grand carquois », sans perdre la tête. Il n’était pas gris, mais il était largement gai et gai de cette gaieté spéciale qui rend communicatif, qui fait traiter tout le monde en amis, qui fait voir la vie en rose et porte à une merveilleuse charité envers les défauts du prochain. Et puis, Célestin Labourette chantait faux, mais il chantait fort, mêlant les couplets sentimentaux à des refrains grivois, puis, entonnant à l’improviste, d’une voix de basse, un air d’église. À côté de lui, cependant, les femmes qu’il avait invitées dans le désir de se payer une petite noce à la hauteur, n’étaient pas grises, elles. Elles avaient l’habitude des parties fines analogues à celle-ci et connaissant de longue date le fâcheux état où met l’abus des mélanges, elles avaient su résister suffisamment aux offres de Célestin Labourette pour garder un peu de sang-froid, insuffisamment peut-être pour suivre avec netteté tout ce qui était en train.

Célestin Labourette avait bien fait les choses. Le gros marchand de cochons s’entendait à merveille à organiser des repas qu’il qualifiait lui-même de « gueuletons n° 1 ». Le service même n’avait pas été détestable, car Jérôme, l’extraordinaire Jérôme, probablement pour donner satisfaction à son excellent patron, s’était multiplié, s’ingéniant à deviner les désirs des convives, à changer les assiettes, à apporter les plats, à renouveler les vins, avec une telle prestesse qu’on l’avait à peine vu apparaître et disparaître, durant tout le dîner. Or, comme Jérôme finissait de disposer sur la nappe quadrillée de rouge un superbe saint-honoré, Célestin Labourette cessa de chanter pour taper sur la table l’un de ses vigoureux coups de poing qui lui servaient d’ordinaire dans les bars voisins des abattoirs à effrayer les garçons trop lents à le servir.

— Jérôme !

— Patron ?

— Va nous chercher une bouteille de fine. Non, reste là !

L’ordre donné, changé, Célestin Labourette éclata de rire, puis, étendant les bras, attrapa à droite et à gauche les têtes d’Adèle et de Chonchon qu’il pressa amoureusement contre ses épaules. Il grasseya :