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— Hein, mes petites chattes ? c’est fameux tout ce qu’on s’empiffre et mon petit rouge ordinaire est vraiment un vin rigolo. Qu’est-ce que vous en dites ?

— Tu ne devrais pas tant boire, répondit Adèle.

— Allez, coupe le gâteau, dit Chonchon.

Célestin Labourette était tout à son contentement intérieur :

— Eh bien, reprit-il, si mon vin est rigolo, il y a quelque chose de plus rigolo encore. Jérôme !

— Patron ?

— Croises-toi les bras. Reste debout, là contre la table, bien en face de nous. Dieu que tu es beau, mon garçon. Çà, une petite amie qui ne le trompe pas. Dites donc, vous, vous qui êtes femmes et rosses tout juste ce qu’il faut, lorgnez-moi un peu ce coco-là, qu’est-ce que vous en dites ?

— Qu’est-ce qui te prend ? interrogea Adèle.

— Coupe donc le gâteau, dit Chonchon.

— Eh bien, qu’est-ce que tu fiches là ? C’est-y que vous voyez, c’est un homme heureux. Regardez-le bien sur toutes les tranches, et songez qu’il m’a appris hier qu’il avait une petite amie, ça va vous la couper, m’entendez bien, qui ne le trompe pas, qui lui est fidèle. Non, mais regardez-moi cette tourte-là. Regardez-le, avec sa mine sournoise et dissimulée, ses épaules en portemanteau et son air godiche dans sa livrée. Eh bien, ça n’empêche pas. Il prétend avoir trouvé une femme honnête, une femme fidèle. Ah, je t’en ficherai des femmes fidèles. Regardez-le, continuait-il toujours, s’échauffant de plus en plus, regarde-le Chonchon, regarde-le Adèle, crois-tu qu’il dégotte, mon domestique ! Hein, il est plus chic qu’aucun de tes amants, Adèle, plus rupin qu’aucun de ceux qui t’entretiennent, Chonchon, car, ou ça m’étonnerait fort, ou il n’y en a pas un qui pourrait affirmer que sa maîtresse ne le trompe pas.

Et comme, amusées par la remarque du gros marchand, Chonchon et Adèle éclataient de rire, Célestin Labourette, content du succès qu’il venait d’obtenir, changeait brusquement d’idée :

— Eh bien, qu’est-ce que tu fiches là ? C’est-y que tu veux faire de l’œil à Chonchon ou à Adèle ? Peste, mon gaillard, tu te mets bien, mais heureusement que je suis là. Allez, ouste, à la cave. Va nous chercher une bouteille de fine, et presto, encore.

Fandor s’éclipsa.

***

Dès qu’il fut sorti, Célestin Labourette trouva qu’Adèle et Chonchon décidément, étaient tristes. Il le leur reprocha :

— Alors, quoi, qu’est-ce que vous avez ? Dites tout de suite que la maison n’est pas bonne, qu’il n’y a que l’eau de Vichy qui vous aille et que Célestin Labourette ne sait pas recevoir. Chonchon, t’as donc perdu un oncle à héritage qui t’a déshéritée que tu fais une gueule d’enterrement ? et toi Adèle, pourquoi que tu ne dis rien ? ma parole, t’as l’air, sauf ton respect, aussi désolée qu’une vache à qui on vient de tirer son veau. Allez, hop, les enfants, le verre à la main et le sourire sur les lèvres.

Et le gros homme entonna un refrain :

À boire, à boire, à boire,

Et si mon auditoire

Approuve ce refrain

Recommençons à boire

Du vin, du vin, du vin.

Puis, ayant chanté, Célestin Labourette se versa force rasades qu’il avala d’un trait, s’excitant de plus en plus, après quoi, brusquement il ne disait plus rien, il fermait les yeux, sa tête dodelinait sur ses épaules, le sommeil lourd de l’ivresse appesantissait ses paupières.

— Il est parti, Adèle.

— Il est saoul, dit Chonchon.

Et, un instant plus tard :

— Qu’est-ce qui te prend, Adèle ?

— Rien, j’sais pas, et toi ?

— On a marché ?

— T’es pas folle ? c’est le domestique.

— Il met du temps à revenir.

— P’t’être bien qu’il goûte à la fine pour son propre compte.

Chonchon recommença à manger, mais Adèle écoutait toujours. À la fin. Chonchon s’impatienta :

— Bouffe donc, dit-elle avec un haussement d’épaules. Papa cochon dort, il ne nous embête plus, c’est le moment d’en profiter. Eh bien qu’est-ce qui te prend ? où qu’tu vas ? t’es pas folle ?

Adèle s’était levée. Elle posa sa serviette sur la table, repoussa doucement sa chaise, se débarrassa lentement du bras que Célestin Labourette avait laissé appuyé à son épaule, puis, sur la pointe des pieds, elle traversa la salle à manger, se dirigea vers la porte du vestibule :

— Et puis zut, déclara Chonchon, fais ce que tu veux, moi je bouffe. C’est toujours ça de gagné.

Et avec une ardeur nouvelle, Chonchon attaqua sa part de saint-honoré.

***

Dans la cave, Jérôme Fandor ne se pressait pas de prendre dans l’un des casiers la bouteille de fine demandée.

— C’est assommant, se disait Fandor. J’ai beau peser le pour et le contre, comment savoir si ces deux bonnes femmes m’ont reconnu ? Je ne pense pas que Chonchon, qui ne m’a vu qu’à Saint-Calais, en élégant, puisse m’identifier maintenant que j’ai passé larbin, mais Adèle ? Elle me regardait avec un drôle d’air. Décidément, ce gros gaffeur de Célestin est stupide d’attirer l’attention sur moi. Bon, je m’en vais encore faire mon service aujourd’hui, mais je crois que demain je rendrai mon tablier. La place est parfaite, évidemment. Mais puisque je n’arrive pas à découvrir quoi que ce soit d’intéressant en étant ventre-blanc chez ce marchand de cochons, je n’ai aucune raison de m’attarder dans un emploi qui n’a, pour moi, rien de profitable ni d’honorifique.

Et soudain, là-haut, ce fut le tohu-bohu.

En guise de plafond, le réduit ne comportait que le plancher de la salle à manger, plancher rustique, grossier, mince. Jérôme Fandor, très étonné de ce qu’il entendait, écouta mieux, et brusquement il pâlit. Une voix qui n’était celle ni d’Adèle ni de Chonchon ni celle de Célestin Labourette, disait :

— Eh bien mon vieux, le marchand de cochons, j’crois qu’il est proprement saigné.

Puis Fandor entendit :

— Le salaud, il va tout abîmer et flanquer du raisiné partout.

— Couche-le par terre, quoi.

Un bruit pesant ébranla le plafond de la réserve. À la lumière clignotante de son rat de cave, Jérôme Fandor vit une tache se dessiner, s’agrandir, s’élargir avant de commencer à couler goutte à goutte. C’était un liquide rouge, un liquide épais qui tombait du plafond. Du sang.

— Ils l’ont assassiné, pensa Jérôme Fandor, bon Dieu de bon Dieu, on vient de le tuer. L’assassin est entré alors que je descendais. D’ailleurs, si Chonchon, après tout, était fille de joie, Adèle avait été femme de chambre chez Rita d’Anrémont, au moment où Sébastien Marquet-Monnier avait été vitriolé. Elle avait des accointances au bureau Thorin qui avait installé Backefelder volé par Fantômas et où fréquentait lady Beltham. Nul doute, l’affreuse créature avait dû introduire les assassins, ici comme à la Villa Saïd.

Un instant plus tard, Jérôme Fandor se précipitait dans l’escalier, armé de sa bouteille de fine et prêt à frayer son chemin à travers les rangs de l’ennemi. Il allait ouvrir la porte de la cave et se précipiter lorsqu’il s’arrêta net. Dans le vestibule on parlait. La voix d’Adèle, d’abord :

— Écoute, disait la jeune femme, maintenant que le type aux cochons est clamecé, faudrait un peu s’occuper de l’autre. J’en suis sûre j’te dis, je l’ai reconnu sous sa livrée de domestique, c’est Fandor. Vas-y, Bedeau.

Voix du Bedeau :

— On va y aller !

— Surtout, on va rire, se disait Fandor. Si le Bedeau vient ici avec l’intention de me surprendre et de m’assommer dans ce trou noir, hé, hé, nous sommes de vieilles connaissances, le Bedeau et moi.

Peut-être était-ce parce qu’il y avait de la poudre dans l’air, Jérôme Fandor se frottait les mains avec une conviction, une ardeur. Et le journaliste, à pas précautionneux, redescendit l’escalier de la cave. Un bruit de clef dans la serrure, la porte de la cave s’était ouverte, puis refermée.