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— Des preuves ? j’en ai ! Venez plutôt, vous allez voir comment Bébé sait travailler lorsqu’il s’est dit de venger les copains.

L’élan de l’apache était irrésistible. Malgré ses efforts, le Barbu ne put l’empêcher de pénétrer dans le logement du Bedeau. Ivre de fureur, Bébé, s’élançait le couteau ouvert, levé, le bras menaçant.

La porte s’ouvrit sous la violente poussée, mais sur le seuil, l’apache s’arrêta un instant interdit. Il venait de voir, gisant par terre, rouge de sang, terrible, le corps du Bedeau, cependant qu’agenouillée auprès de lui, lui prodiguant ses soins, se trouvait la Guêpe, plus belle que jamais. L’hésitation de Bébé avait inspiré Mort-Subite, qui, brusquement le désarmait, ce qui lui valut l’approbation des camarades. Il ne fallait pas laisser faire Bébé, sans savoir exactement ce dont il accusait la Guêpe, ce qui s’était passé.

Bébé, d’ailleurs, se laissa arracher son couteau sans la moindre résistance. Sa première surprise passée, il réfléchissait, un sourire cruel errait sur ses lèvres. L’apache se disait qu’évidemment il aurait eu tort de faire justice en un instant, que le plaisir de la vengeance devait être savouré, et que le châtiment, pour être terrible, devait être lent. Un silence subit régna. Les apaches regardaient Bébé et celui-ci fixait la Guêpe qui avait baissé les yeux, semblait ne plus s’occuper que de son malade.

Mais Bébé l’apostropha :

— Oh, oh, voilà qui n’est pas mal imaginé. Mademoiselle met des gants et veut faire sa chipie, pas bête le moyen, donner ses soins maintenant à ceux qu’on a voulu faire crever et jouer les sœurs de charité lorsqu’on a été la cafarde.

Ces derniers mots firent tressaillir la jolie fleuriste. Elle restait à genoux auprès du blessé, mais elle releva fièrement la tête. Ses yeux admirables se fixèrent sur Bébé, et d’une voix qui ne trahissait aucune émotion, elle interrogea :

— Que veux-tu dire, Bébé ? Si j’ai bien compris, c’est de moi que tu parles ?

— C’est de toi, parbleu oui, mouche et garce, voilà ce que t’es.

La Guêpe frémit sous l’outrage. Elle rougit d’abord puis devint horriblement pâle.

— Oui, reprirent en chœur les autre, faut t’expliquer, Bébé. Nous autres, on connaît la Guêpe pour une bonne fille, un copain, on peut pas l’accuser ni la condamner sans savoir.

Bébé ne sourcillait pas.

— Je vous ai dit que j’avais des preuves, je vais vous les donner. Mais attendez d’abord que je l’interroge, et si elle n’est pas caponne, elle avouera.

— Vas-y Bébé, cria Mort-Subite, et grouille-toi. On est pressé de savoir. Moi, ça me tortille dans le ventre d’être comme ça dans l’expectence.

Bébé parla enfin :

— C’est-y, oui ou non, la Guêpe ? commença-t-il, que tu as fait connaître aux gens de la police et particulièrement au journaliste Fandor, qu’on allait faire le coup du marchand de cochons ? N’essaie pas de dire le contraire, mes femmes l’ont deviné, l’ont su. J’en ai causé tout à l’heure avec Adèle et Chonchon. Elles y mettraient leur main au feu.

Un murmure désapprobateur accueillit les propos de Bébé :

— Tu te trompes Bébé, répondit la jeune fille, ou bien on t’a trompé, jamais je n’ai vendu personne. J’ignorais même ce que vous deviez faire. Avez-vous donc commis un nouveau crime ?

— Ça, interrompit Le Barbu, péremptoirement, c’est des choses qui ne te regardent pas.

Puis, se tournant vers Bébé, le robuste compagnon du Bedeau ajoutait :

— Qu’est-ce que tu as encore à dire, Bébé ? Faut préciser.

— J’ai à dire, continua l’apache, ceci : il y a quelques jours, on avait, vous vous en souvenez, décidé de faire son affaire au policier Juve. Tout était combiné, on le tenait au restaurant du Crocodiledans lequel précisément je servais comme ventre-blanc. C’est-y pas vrai qu’on avait décidé ça ?

— Oui, reconnurent les apaches, mais l’affaire a raté. On a été mouchardé. Fandor est venu sauver son copain.

— Et pourquoi, c’est-y, je vous le demande, qu’il est venu comme ça, le Fandor, sans que l’on sache ni comment, ni pourquoi ?

— C’est-y, suggéra Mort-Subite avec ironie, que tu vas encore accuser la Guêpe de nous avoir trahis ?

— Je l’accuse, fit Bébé, et je le prouve. Écoutez, lisez vous-mêmes.

L’apache tira de sa poche un petit papier sale et tout chiffonné. Il lut à haute voix les quelques lignes qui avaient été tracées par une main féminine. Elles étaient ainsi conçues :

Vite allez auCrocodile , en face, votre meilleur ami y court un véritable danger.

Des cris de rage s’échappèrent alors de toutes les poitrines :

— C’est pas possible, c’est abominable, on est vendu, mouchardé. Qui c’est-y donc qui a pu rédiger ce papier-là ?

— C’est la Guêpe, dit Bébé.

La Guêpe se releva, croisa les bras sur sa poitrine, puis regardant fièrement les hommes qui l’entouraient, qui la menaçaient de leurs faces hargneuses, elle déclara :

— C’est moi, oui, et après ?

— Après ? jura le Barbu, c’est infâme ce que tu as fait. Nous trahir, nous. Risquer de nous faire poisser tous par la police, d’en envoyer la moitié sur l’échafaud et l’autre moitié à la Nouvelle. Ah, Bébé a raison de le dire, puisque tu l’avoues, tu n’es qu’une garce, qu’une misérable. Mais, sois tranquille, ton affaire sera vite réglée.

— J’ai fait comme j’ai voulu, dit la Guêpe, il me plaisait à moi de sauver Juve, parce que sauver Juve c’était arracher Fandor à une mort certaine.

— Et qu’est-ce que cela peut te foutre ?

— Cela me fait, dit la Guêpe, que je tiens à la vie de Fandor.

— Parce que tu l’aimes, peut-être ?

— Parce que je l’aime, en effet.

Un gémissement étouffé s’éleva. Dans leur colère, dans leur rage, les apaches s’étaient bousculés, rapprochés de la Guêpe et ils avaient heurté l’infortuné blessé, le Bedeau qui gisait toujours à terre.

Son bandeau avait glissé de sa tête tuméfiée ; instinctivement la Guêpe voulut se pencher auprès du malade pour arranger son pansement. Mais, quelqu’un s’interposa entre elle et lui : Fleur-de-Rogue.

— Non, pas toi, hurla-t-elle, caponne, moucharde, tu es indigne de toucher à mon homme, et tout à l’heure il faudra bien qu’il m’accepte, qu’il me reprenne. Moi seule je le soignerai. Tu n’as plus rien à faire ici. On a soupé des mijaurées de ton espèce, des sucrées de ton genre, des crâneuses comme toi qui viennent faire leurs manigances au milieu de nous. Toi à qui l’on a jamais connu un amant, toi qui ne veut de personne parmi les aminches, allumeuse que tu es et propre à rien au bout du compte.

— Fleur-de-Rogue, hurla la Guêpe, tais-toi, tu ne sais pas ce que tu dis.

Mais Le Barbu avait empoigné la pierreuse par le bras, cependant que Mort-Subite repoussant la Guêpe en la frappant à l’épaule, l’envoyait à l’autre bout de la pièce.

— Assez jaspiné les femelles, hurla le Barbu, toi, Fleur-de-Rogue, fit-il, occupe-toi de ton homme et boucle ta babillarde. Quant à toi, la Guêpe, on a un compte à régler, le tien et c’est le dernier. Bouge pas de là, on va décider.

Immobile, la Guêpe ne bronchait pas, défiant tout le monde.

— Faut la crever, disait-il, la crever comme une chienne, comme une bête puante qu’elle est.

Mort-Subite, avec un sourire féroce, avait pris son revolver. Il en caressait la crosse, comme un amant caresserait sa bien-aimée, il vérifiait le contenu du barillet.

— Encore cinq pruneaux, murmura-t-il, de quoi la moucher de la belle façon.

Mais le Barbu s’interposait :

— Pas de rigolo, décida-t-il, ça fait du tapage, allons-y les copains, à coups de lingue.

Mort-Subite imitant le Barbu, prit dans sa poche le terrible couteau à la lame aiguisée dont l’acier scintilla dans la pénombre de la pièce. Mais Fleur-de-Rogue intervint :

— Pas ici, les copains, qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse ? j’en ai bien assez d’un sur le point de crever, faudrait pas me coller un cadavre dans la carrée.