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Mais, outre qu’il leur aurait été difficile de s’en aller sans qu’on le remarquât, il se trouvait que leur situation auprès de la fleuriste ne devait se trouver aucunement modifiée.

La Guêpe observant un mutisme absolu ne sortait de sa cellule que pour aller prendre ses repas, et ceux-ci étaient silencieux, moroses. La Guêpe demeurait perpétuellement la tête basse, le nez planté dans son assiette, sans souffler mot.

Conformément à l’habitude, ce matin-là, la Guêpe était venue se joindre à ses deux gardiens pour prendre son repas. Il était environ onze heures et quart du matin. Soudain, les trois convives s’arrêtèrent brusquement, écoutèrent un bruit étrange suivi de plusieurs autres, également surprenants et mystérieux, qui venaient de l’étage au-dessus, c’est-à-dire du rez-de-chaussée. On aurait dit une détonation sourde, puis des bruits de pas précipités, des clameurs étouffées.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda la Guêpe.

Bec-de-Gaz, profitant de sa haute taille, monta sur la table qui, appuyée le long du mur, constituait pour lui un véritable escabeau lui permettant d’arriver jusqu’à la hauteur du soupirail ouvert au niveau du sol. Bec-de-Gaz s’agrippa aux barreaux de fer. Il y réussit avec peine, mais c’était en vain qu’il regardait ainsi à l’extérieur de la maison. Plus rien. Il redescendit.

— Si qu’on recommencerait à bouffer ? suggéra-t-il.

C’était aussi l’avis d’Œil-de-Bœuf, mais la Guêpe était allée jusqu’à la porte d’entrée de la salle. Elle avait entendu du bruit, des pas précipités, et comme elle s’avançait, elle dut s’arrêter net pour reculer ensuite. La clef avait tourné dans la serrure, sous une violente poussée, la porte s’était ouverte, sept ou huit individus pénétrèrent dans la salle de la prisonnière et de ses gardiens.

Or, si la Guêpe et les deux apaches, rivés à son existence, étaient stupéfaits de cette brusque irruption, parmi les individus qui pénétraient ainsi, il s’en trouvait qui n’étaient pas moins étonnés.

Bec-de-Gaz venait d’apercevoir l’un d’eux, dont le visage terreux paraissait plus sombre encore éclairé qu’il était par un rayon de lumière et il s’écriait :

— Le Barbu. Ah mince alors. Le Barbu, ici et fringué comme un larbin de grande maison.

Le Barbu, en effet, qui avait sacrifié sa moustache et sa barbe, ne conservant que des favoris noirs et épais, était vêtu d’un pantalon de drap sombre, liseré de rouge à la couture, et au lieu de veston, portait un gilet rayé jaune et noir avec des manches de lustrine.

Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz étaient à peine revenus de leur stupéfaction que la Guêpe, à son tour, poussait un cri de terreur et d’inquiétude. Elle venait de reconnaître, parmi les arrivants, son plus redoutable ennemi, l’homme qui l’avait accusée, trahie auprès des Ténébreux : le subtil et féroce Bébé.

Celui-ci était enveloppé des pieds à la tête, dans une sorte de capote grise à deux rangs de boutons et coiffé d’une casquette à visière cerclée de cuivre. Bébé affectait ainsi l’allure d’un mécanicien de taxi-automobile.

Derrière lui venait une femme : Adèle, et la maîtresse de Bébé ne portait pas ce jour-là une de ces toilettes tapageuses et voyantes dont elle avait le secret, mais bien la robe noire, simple et modeste, de femme de chambre. Son déguisement, d’ailleurs, se complétait fort bien par un tablier blanc attaché à la taille.

À ces apaches, ainsi travestis, se mêlaient quelques bonnes figures de domestiques véritables, dont les regards inquiets, stupéfaits, les physionomies abasourdies et honnêtes, faisaient contrastes avec les faces hargneuses et mauvaises des membres de la bande des Ténébreux.

Mais que signifiait tout cela ?

Cependant que Bébé foudroyait du regard la Guêpe qui lui avait échappé par suite de la volonté de Fantômas, Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz s’entretenaient à mots couverts et rapides avec le Barbu :

— De quoi qu’y retourne ? avait interrogé l’un d’eux, cependant que le Barbu, haussant les épaules, répliquait à mi-voix :

— On ne sait pas, on était là dans la tôle, convoqués par Fantômas, histoire de se faire passer pour des larbins, tu sais le patron, il a toujours des combines à la manque que l’on ne comprend pas. Voilà t’y pas que tout d’un coup, y a pas cinq minutes, on était en train de blaguer tous ensemble, dans les salles là-haut, lorsqu’on a entendu comme qui dirait une explosion. Un coup de pétard.

— C’est vrai, dit Œil-de-Bœuf, même que j’étais en train de prendre mon quatrième vin blanc, j’ai failli l’avaler de travers, j’en ai toussé pendant près de cinq minutes.

Le Barbu continua :

— Une seconde après ce coup de Trafalgar, voilà-t-y pas qu’une petite bonne s’amène en poussant des hurlements comme si elle avait vingt-cinq diables derrière. Puis, dame. Après, il y a eu le bordel, le grand chambard. On est resté pendant plus d’une demi-heure à ne pas savoir quoi faire, à courir de tous les côtés : personne ne voulait nous laisser entrer dans le bureau du patron, faut croire que c’est là que c’est passé le tabac.

— Le patron ? Quel patron ? demanda Bec-de-Gaz. Fantômas a un bureau ici ?

À son tour, Œil-de-Bœuf imposa silence à son ami :

— Ta gueule, grande bête, fit-il, on voit bien que tu ne comprends rien pour demander de pareilles choses, le patron que veut dire le Barbu, c’est le père Thorin.

— Naturellement, dit le Barbu.

Cependant, la Guêpe, triomphant de son mutisme et se décidant à parler, interrogea :

— Fantômas est ici ? L’avez-vous vu ? Est-ce lui qui avait…

Le Barbu haussait les épaules :

— T’en as de bonnes, ma fille, est-ce qu’on sait jamais de quoi qu’il retourne avec Fantômas ? Voilà bien deux heures qu’on ne l’a pas vu. Mais ce qui est sûr et certain c’est qu’il est entré dans cette tôle avec nous et qu’il n’a pas dû encore en sortir.

— Tout ça, grommela Adèle, qui allait et venait dans la pièce, l’arpentant furieusement de long en large, tout ça c’est des trucs à la manque, qui ne me vont pas du tout.

Puis, elle se rapprocha de Bébé, lui passa le bras autour du cou, l’embrassa sur la nuque :

— Dis voir, mon chéri, murmurait-elle, t’as pas le trac ? paraît qu’il y a des flics plein la boutique.

— Laisse donc, l’Adèle, pas la peine de nous faire remarquer.

En disant ces mots, le jeune apache jetait un regard sournois dans la direction de deux valets de chambre, qui, tapis au fond de la pièce, semblaient prêter l’oreille et vouloir écouter plus qu’il n’était correct peut-être la conversation du Barbu et de Bec-de-Gaz, à laquelle se mêlait naturellement Œil-de-Bœuf.

Les deux valets de chambre parurent un instant gênés d’être ainsi dévisagés par Bébé. Ils tournèrent la tête, firent quelques pas, comme pour se dissimuler dans la pénombre à contre-jour. Mais, à ce moment, des rumeurs montaient et l’on percevait au-dessus du sous-sol des voix de gens qui se disputaient, on entendait des pas précipités, des allées et venues.

Bec-de-Gaz qui avait repris son poste d’observation et était monté sur la table afin d’avoir les yeux à la hauteur du soupirail, poussa un juron :

— Ah nom de nom, fit-il, qu’est-ce que tout cela signifie ? Il s’en amène tout le temps. Voilà encore deux flics qui viennent de rentrer dans le jardin.

L’apache redescendit de son observatoire. Ses camarades se groupaient autour de lui.

— Je ne sais pas si je me trompe, grogna Le Barbu, mais j’ai comme une idée que ça va chauffer. Fantômas a dû faire une combine qui ne réussit peut-être pas, et à nous faire descendre ainsi dans cette espèce de cave, il nous met dans une sale position. Moi je donnerai bien dix ronds pour débiner.