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Bébé s’approcha :

— Sûr qu’on a été mouchardé. C’est un traquenard. On est vendu, on va être bouclé.

— Qu’est-ce que tu dis ? balbutia Bec-de-Gaz qui jetait autour de lui des regards de plus en plus troublés et négligeait absolument de s’occuper de la prisonnière.

— Je dis, répéta Bébé, qui a des mouches parmi nous.

Et, imperceptiblement, il désignait d’un coup d’œil les deux valets de chambre qui, quelques instants auparavant, écoutaient leur conversation et qui, s’étant glissés le long du mur, paraissaient commander la porte d’entrée faisant communiquer la vaste salle du sous-sol avec l’escalier conduisant au rez-de-chaussée.

Les apaches dévisageaient les suspects que leur désignait Bébé et, soudain, Œil-de-Bœuf murmura :

— Bébé a raison. Je crois bien que je les reconnais. C’est des flics de la préfectance.

Le Barbu aussi les reconnaissait :

— Léon et Michel, ce sont eux, les inspecteurs.

Soudain, les apaches prirent une décision spontanée et, sans même se donner le mot d’ordre, avec des souplesses de félins, ils bondirent vers la porte, décidés à s’enfuir, à sortir de là, à ne pas se laisser prendre et à disputer chèrement leur existence si on leur faisait quelque opposition.

Les membres de la bande des Ténébreux ne s’étaient pas trompés. À peine avaient-ils esquissé ce geste, que les deux valets de chambre suspects à leurs yeux se précipitaient sur eux.

Deux coups de revolver retentirent, suivis de cris, puis on entendit des gémissements sourds, des plaintes. Les chaises et les tabourets volèrent. La grande table fut démolie en un instant. Les barricades se dressèrent et le sous-sol se trouva brusquement transformé en champ de bataille.

Les apaches s’étaient imaginé qu’ils auraient rapidement raison de Léon et Michel. Mais ils avaient compté sans les trois ou quatre domestiques qui se trouvaient également là. Appartenaient-ils aussi à la police ? ou simplement, honnêtes gens, avaient-ils compris que leur conscience leur ordonnait de se mettre du côté de ceux qui avaient à se défendre, plutôt que de celui des gens qui se prétendaient attaqués.

Certes, les Ténébreux remportèrent un premier succès en jetant à bas l’infortuné Michel qui reçut à l’épaule un violent coup de couteau et s’effondra sur le sol, dans une mare de sang. Mais le Barbu, d’autre part, était à demi assommé par un violent coup de poing. Œil-de-Bœuf, surpris, se sentit passer les menottes et, s’il restait libre dans la salle, il était désormais inoffensif. En revanche, dans le camp des assaillis, un homme encore tombait par terre, la figure à moitié démolie par un coup d’escabeau. Bec-de-Gaz, prudemment, était resté en arrière, se contentant de passer des projectiles à ses copains. Soudain, il poussa un cri de rage :

— Ah, nom de Dieu, la garce, la voilà qui se débine. Bébé avait raison. C’est une mouche de la police et elle nous a roulés.

La fleuriste, en effet, avait réussi à se distraire pour ainsi dire de la foule, à y passer inaperçue. Puis, profitant de la première bagarre, elle s’était éclipsée. Certes, elle avait eu un moment d’émotion lorsqu’elle avait frôlé les deux valets de chambre qui n’étaient autres que Léon et Michel, mais ceux-ci favorisaient son évasion, lui sembla-t-il. Il n’en était rien, mais au moment précis où la fleuriste se glissait derrière eux, ils avaient à parer à une autre difficulté, autrement grave, qui surgissait devant eux, c’était la bande des apaches prêts à bondir, désireux de se frayer un chemin par la force, au besoin, pour sortir du sous-sol.

Cependant que la bataille continuait, la fleuriste, dont le cœur battait à rompre, gravit lestement les trente marches du petit escalier tournant qui permettait d’arriver au rez-de-chaussée. Elle se trouva en face d’un étroit couloir, obscur, long et désert. Où conduisait ce couloir ? Elle n’en savait rien, mais peu lui importait. L’essentiel était de fuir. Il n’y avait pas d’autre issue. La Guêpe s’engagea dans le boyau étroit et parvint à une porte qui, précisément, s’ouvrit au moment où elle allait la pousser.

— Jérôme Fandor. Ah, mon Dieu, cria la Guêpe.

Mais la jeune fille n’eut pas le temps de rebrousser chemin. L’homme qui s’était présenté devant elle – et c’était bien le journaliste – l’avait prise par les poignets, l’attirait au milieu de la pièce, la regardait en pleine lumière, les yeux dans les yeux. La jeune fille atterrée, se laissait faire, épouvantée du spectacle qui se déroulait autour d’elle. Et il y avait de quoi, en effet, demeurer terrifiée d’émotion. Ses yeux hagards considéraient le plancher, les murs, le plafond, et partout où son regard s’arrêtait, partout il y avait des éclaboussures rouges, des ruisseaux rouges, du sang. Rien que du sang, du sang toujours.

Quel était ce spectacle horrible et que signifiait cette effroyable aventure ?

La malheureuse crut défaillir tant son émotion était forte, mais elle eut encore une telle surprise que sa nouvelle découverte, au lieu de l’abattre définitivement, surexcita ses nerfs, la ranima, lui donna comme une vigueur nouvelle pour résister aux émotions qu’elle éprouvait.

À côté de Fandor, dans la salle, se trouvaient encore deux hommes. L’un d’eux n’était autre que Juve, le célèbre policier, que la fleuriste, assurément, devait connaître, car ses lèvres tremblantes murmuraient machinalement son nom.

Et enfin, un troisième personnage était un petit homme gros, court, trapu, aux épaules courbées et dont le visage indéfinissable semblait, pour ainsi dire, dissimulé sous une chevelure mystérieusement longue, et une barbe anormalement épaisse.

La jeune fille demeura un instant immobile, puis, elle esquissa un geste de recul, mais Juve à son tour, s’était approché d’elle, et la reprenait par le bras. Fandor l’avait lâchée, mais il était devenu terriblement pâle. Juve la considéra un instant, puis, brutalement, lui ordonna :

— Allons, avouez. Inutile de jouer plus longtemps la comédie. Je vous reconnais. Nous savons qui vous êtes et vous n’échapperez pas.

La Guêpe leva les yeux vers le policier et une vive rougeur empourpra son visage, un sanglot lui monta à la gorge. Elle eut une révolte soudaine.

Juve laissa tomber au milieu du silence ces étranges paroles :

— La Guêpe, membre de la bande des Ténébreux, la fleuriste de nuit, la femme qui rôde dans les bouges de Belleville, celle que courtisent depuis si longtemps les apaches Bec-de-Gaz et Œil-de-Bœuf, celle que Bébé dénonce comme traître et parjure, c’est vous, et cela n’étonnera personne que vous ayez à la fois cette réputation d’honnêteté et de culpabilité. Allons, la Guêpe, ne nous dissimulez pas plus longtemps que vous êtes Hélène Gurn, la fille de Fantômas.

— Juve, s’était écrié Fandor.

Mais le policier, d’un geste brusque, intimait à Fandor l’ordre de se taire.

L’inspecteur de la Sûreté, avec une profonde ironie, se tournant du côté du personnage qui avait assisté muet à cette scène, et le regardant fixement, lui déclarait :

— Oui, monsieur Thorin, permettez-moi de vous présenter, en la personne de mademoiselle, la fille du plus sinistre bandit qui soit au monde, la fille de Fantômas. Soyez, du reste, assuré que cette découverte ne me surprend pas. Il y a déjà longtemps que je soupçonnais qui était la Guêpe, en réalité. Je suis heureux de l’avoir percée à jour, d’autant plus que la présence de la fille me rassure. Du moment qu’elle se trouve ici, c’est que le père n’est pas loin.

Juve, tout en prononçant ces paroles, se livrait à une mimique étrange et surprenante. Sur une table toute voisine de lui et bien en évidence, il venait de placer un couteau-poignard ouvert. Une lame longue, épaisse, effilée, étincela dans la pénombre de la pièce. Juve qui avait fait ce geste machinal, semblait oublier volontairement cette arme et se rapprocha tout en parlant de M. Thorin.

Il répéta avec une surprenante insistance :

— C’est que Fantômas n’est pas loin.

Et après avoir prononcé ces paroles qui ne diminuaient en aucune façon le trouble du tenancier du bureau de placement, le policier jetait un coup d’œil furtif par la porte entrebâillée, qui donnait sur le couloir, en même temps qu’il regardait, par la porte voisine qui communiquait avec l’extérieur, dans la direction du jardin. Le policier était perplexe, il semblait chercher quelque chose. Fandor s’était reculé au fond de la pièce avant que Juve eût parlé, il avait reconnu la Guêpe.