Certes, elle était merveilleusement changée, grimée ; sur ses cheveux blonds et bouffants, elle avait disposé avec une adresse remarquable une perruque de cheveux noirs de jais, mais il était impossible pour quelqu’un qui la connaissait comme Fandor, et qui cette fois la voyait en face, de ne point la reconnaître. Et malgré les tragiques circonstances dans lesquelles il se trouvait, malgré le mystère angoissant qui régnait autour d’eux, Fandor oubliait les gens qui l’entouraient, les choses qui se passaient, pour ne plus avoir d’yeux et de pensées que pour la fille de Fantômas.
Brusquement, le journaliste poussa un hurlement sauvage et se précipita. Trop tard. L’espace d’une seconde avait suffi.
Alors que Juve s’était approché de la porte donnant sur le jardin, M. Thorin, avec une extraordinaire agilité, s’était élancé dans la direction de la table où Juve avait oublié, comme par négligence, le couteau-poignard. Redressant son dos courbé, bondissant comme un tigre, M. Thorin s’était saisi de l’arme, et, levant un bras meurtrier, il l’abaissa avec une féroce violence entre les épaules du policier.
Mais M. Thorin, en même temps qu’il frappait recula, abasourdi de ce qui se produisait. Il semblait que la lame du poignard n’avait pas pénétré dans le corps de la victime. Instinctivement, Thorin regardait l’arme avec laquelle il venait de frapper. Il poussa un cri de dépit : le poignard, en effet, était une arme truquée et à la moindre pression la lame rentrait dans l’intérieur du manche creux.
Juve, cependant, qui avait chancelé sous la violence du coup, se retourna et, revolver au poing, hurla, l’air ravi :
— Ah cette fois je vous y prends, Thorin et Fantômas ne font qu’un. J’attendais cette agression pour me convaincre. Ne bougez…
Juve n’acheva pas. Plus vif que l’éclair, le faux Thorin n’avait pas hésité une seconde, il avait bondi sur Juve, et cette fois, avec le manche du poignard il le frappait à la tête : Juve tomba inerte sur le plancher, en poussant un sourd gémissement. Sans s’attarder pour achever son plus redoutable ennemi, Fantômas sauta dans le jardin. L’arrêterait-on dans sa fuite ? Fandor avait emboîté le pas. Mais, entre Fantômas et lui se dressait qui ? La Guêpe, la fille de Fantômas, parbleu.
— Fandor, supplia-t-elle, tuez-moi si vous voulez, mais moi vivante, vous ne le poursuivrez pas.
Des cris, cependant, de tous côtés. Ils venaient du sous-sol. Aux imprécations des apaches se mêlaient les appels des policiers. De part et d’autre, on criait au secours et de temps en temps, on entendait des coups de revolver auxquels succédaient des cris de douleur, des gémissements.
— Hélène, disait Fandor, c’est infâme, je ne puis consentir.
— Pour l’amour de Dieu, écoutez-moi, Fandor. Écoutez celle qui veut vous sauver, vous et votre ami Juve. Écoutez celle qui vous aime.
Fandor eut une seconde d’hésitation. La fille de Fantômas lui prit le bras. Elle le fit se retourner.
— Regardez, il vit mais il souffre.
Et la jeune fille désignait Juve étendu sur le sol, à demi évanoui, mais dont le visage crispé grimaçait. Fandor eut un regard de désespoir pour son plus cher ami. mais que pouvait-il faire ? Son devoir ne rappelait-il pas sur les traces de Fantômas, qui, assurément, allait pouvoir être pris si Fandor le rejoignait dans le jardin, s’il avait le temps d’informer la police qui en gardait les issues de ne pas laisser s’échapper M. Thorin. Un mot suffisait. Fandor allait mettre son projet à exécution, mais encore une fois la fille de Fantômas l’en empêcha :
— Écoutez, dit-elle.
Un grand bruit de portes brisées venait de retentir. Puis des pas sonores dans l’escalier.
— Les voilà qui montent, souffla la fille de Fantômas, nous sommes perdus, et Juve dans une seconde sera mort si vous l’abandonnez.
— Hélène, je vous comprends, vous faites l’impossible pour sauver votre père. Erreur, ceux qui remontent sont les inspecteurs de la Sûreté. Ils sont descendus tout à l’heure pour arrêter les membres de la bande des Ténébreux.
— Mais ils auront été les moins forts, croyez-moi, Fandor, restez-là et préparez-vous à vous défendre contre les agresseurs si vous voulez qu’ils épargnent Juve, pas un mouvement.
Fandor venait d’apercevoir du fond du couloir ceux qui s’approchaient, referma la porte d’un geste brusque :
— Vous avez raison Hélène, et je vous remercie.
En effet, Fandor venait d’apercevoir en tête de ceux qui s’approchaient, le sinistre Bébé suivi de Bec-de-Gaz, derrière lequel marchait Œil-de-Bœuf. Fandor l’arme au poing attendit malgré l’ébranlement des coups de poing contre le bois.
— Ouvrez, hurlaient les voix terribles et coléreuses, pas la peine de résister, nous vous aurons.
La fille de Fantômas, très pâle, s’était agenouillée auprès de Juve qui venait d’ouvrir les yeux.
— Je souffre, gémissait le policier.
Un panneau de la porte céda sous l’effort et une balle tirée alla s’aplatir sur la muraille.
Fandor jugeait la situation désespérée. Dans quelques secondes la porte allait être enfoncée. Les forcenés se précipiteraient sur lui, sur Juve hors d’état de se défendre. Sur l’innocente victime coupable seulement d’être née fille de son père. Il se rapprocha d’Hélène.
Les deux jeunes gens attendaient.
— Rien à faire, n’est-ce pas ?
— Rien, à moins que la police n’arrive.
La fille de Fantômas leva les yeux au ciel, puis, désignant du geste de la main la porte qui, peu à peu pliait, menaçait de céder :
— Jurez-moi, Fandor, dit-elle, que lorsqu’ils entreront, votre premier coup de feu sera pour moi. Je ne veux pas tomber entre leurs mains.
Fandor ne répondit rien mais il se rapprocha de la jeune fille, ouvrit ses bras, la serra sur sa poitrine :
— Hélène, murmura-t-il, je vous aime, follement.
Les deux jeunes gens tressaillirent. Une balle venait de siffler à leurs oreilles. On entendit la voix de Bébé :
— Les salauds s’en payent. Ils nous ont même pas attendus.
Fandor et la fille de Fantômas rompirent, non sans avoir eu soin de mettre Juve toujours inanimé hors d’atteinte des balles meurtrières que les bandits tiraient à travers le panneau de la porte à demi fendue.
— Lui aussi, dit Fandor, en songeant à Juve, recevra le coup de grâce avant que les bandits soient arrivés jusqu’à lui.
Puis, brusquement, des imprécations. Les bandits font volte-face. La fusillade. Fandor s’écrie :
— La police. Nous sommes sauvés.
Et Fandor avait raison. En quelques secondes, les apaches se sont évanouis. Le mortellement des poings sur le bois de la porte s’est interrompu.
Juve, peu à peu, revenait à la vie, il s’asseyait lentement, mais à l’oreille de Fandor, la fille de Fantômas balbutiait :
— La police, mais alors mon père ?
Et la jeune fille avait pour le journaliste un regard douloureux et Fandor à ce moment, bien que Fantômas fût son plus mortel ennemi, aurait volontiers ordonné la mise en liberté du misérable.
Cependant, les policiers se rapprochent, on entend la voix de Léon qui parlemente de l’intérieur du sous-sol, avec les chefs de la brigade mobile convoqués depuis longtemps par Juve et qui arrivaient enfin.
Fandor, par l’embrasure d’une fenêtre, reconnaît un brigadier de ses amis.
— Qui vous a dit, hurle-t-il, qu’il y avait ici toute la bande des Ténébreux ?
— Parbleu, comme nous attendions à l’extérieur les ordres de M. Juve, le patron de l’établissement est accouru comme un fou. Vous savez bien le père Thorin, il nous a dit…
Mais Fandor n’écoutait plus.
— Soyez contente, Hélène, dit-il à celle qui se trouvait contre lui. Il est libre, encore une fois.
FIN